Tahiti Infos

Le Pays rêve toujours de devenir un hub télécom dans le Pacifique


PAPEETE, le 27 avril 2016. Lors d'une conférence publique au CESC mardi soir, des spécialistes de tout le Pacifique ont présenté l'avenir des infrastructures de télécommunication dans le Pacifique. L'OPT a également présenté ses projets, dont la construction d'un câble sous-marin local (avec deux branches, vers les Marquises et les Tuamotu) et les projets de nouveaux câbles internationaux.

Cette semaine la fine fleur du secteur des télécoms de tout le Pacifique est à Tahiti pour la réunion annuelle de la Pacific Islands Telecommunications Association (Pita). Pour l'occasion, le CESC a organisé une grande conférence publique ce mardi soir avec plusieurs des invités présents, ainsi que l'OPT.

Le p-dg de l'Office des Postes et Télécommunications Polynésien, Jean-François Martin, a ainsi fait le point sur les principaux projets de l'EPIC qu'il dirige. Pas de grosses révélations par rapport à ce qui était déjà annoncé, mais des précisions intéressantes.

UN NOUVEAU CABLE SOUS-MARIN DOMESTIQUE

Le projet de tirer un nouveau câble sous-marin intra-polynésien, avec une branche vers les Tuamotu jusqu'à Hao et une autre vers les Marquises connectant Hiva Oa et Nuku Hiva, a été validé en Conseil des Ministre début mars. Les câbles seront complétés par des faisceaux hertziens pour relier les îles voisines à cette infrastructure qui servira de colonne vertébrale aux Web dans les archipels.

Le p-dg de l'OPT n'a pas dévoilé de calendrier ou de budget pour l'opération, mais précisé que la branche vers Hao sera prévue pour permettre d'y connecter un éventuel câble international vers Rapa nui et le Chili. On sait aussi que l'OPT avait calculé que la liaison satellite pour ces atolls coûterait 7 milliards de francs sur les 25 prochaines années, et donc que le câble avait un sens économique. D'autant que "à chaque fois que l'on double la capacité sur un atoll, elle est utilisée en trois jours !"

DEUX PROJETS INTERNATIONAUX

Si le bout du câble domestique à Hao sera préparé à recevoir une liaison internationale, c'est qu'un vieux serpent de mer réémerge : un câble international reliant Tahiti au Chili. "Nous avons eu des conversations avec le Chili lors du Pita, et la Chine est aussi intéressée pour créer une liaison Asie-Amérique du Sud. Ils ont aussi les moyens financiers" explique Jean-François Martin. Le projet de câble transpacifique, s'il est impossible à financer pour la seule OPT, pourrait voir le jour si les opérateurs sud-américains et chinois s'en emparent. Un arrêt à Tahiti assurerait alors à l'OPT de copieux revenus en droits d'atterrage, débit réservé sur Honotua et frais de gestion…

Le p-dg de l'Office confirme également que les discutions pour une "Polynesian Way", commencée en Nouvelle-Zélande en début d'année, avancent. Il s'agirait de relier les pays du Pacifique Sud par un câble sous-marin, qui passerait entre autres par les Tonga, les Samoa, les Îles Cook et jusqu'à la Polynésie. Les kiwis en particulier veulent absolument desservir les Îles Cook, qui sont nos voisins immédiats. Une bonne opportunité pour la Polynésie française qui pourrait ainsi se relier à la Nouvelle-Zélande à moindre coût et ainsi sécuriser Honotua.

Teva Rohfritsch, ministre de l'Économie numérique, semblait enthousiaste à l'idée de ces deux projets. Ils permettraient, s'ils se réalisent, de faire de la Polynésie le vrai "hub des télécommunications dans le Pacifique Sud". Un titre qui revient pour l'instant aux Fidji, ce qui semble agacer le ministre. Il expliquait en effet que "le problème du projet calédonien, c'est qu'il passe par Fidji, ce qui participe à renforcer leur hub, alors que l'idée est de transférer le hub de Fidji vers Tahiti."

Les Australiens choisissent la stratégie inverse de la Polynésie pour fibrer leurs habitants

Lors de la conférence, l'intervention de Ray Owen, président de Nokia Océanie et de Mike Jeffs, responsable des réseaux fixes dans l'entreprise (Nokia a racheté Alcatel cette année, faisant de l'entreprise le leader mondial en infrastructures réseau) a beaucoup intéressé l'assistance. Surtout la présentation des choix technologiques de l'Australie pour généraliser la fibre optique, qui contraste fortement avec les choix de l'OPT, dénoncés depuis leur annonce par certaines entreprises polynésiennes du secteur des technologies.

Ainsi, pour accélérer le déploiement du très haut débit, au lieu de fibrer directement tous les habitants puis attendre qu'ils changent leurs abonnements pour en profiter, ce qui est lent, revient très cher et retarde les retours sur investissement, le gouvernement du pays des kangourous a fait le choix de conserver le cuivre le temps de la transition et de fibrer jusqu'aux immeubles ou dans les rues résidentielles. En attendant que les immeubles et maisons soient fibrées elles-aussi, la connexion finale est assurée par le "vieux" réseau cuivre, mais en utilisant les dernières technologies VDSL2 et G-Fast (une technologie Nokia…) pour atteindre des débits de 50 Mb/s à 1Gb/s.

La Polynésie, elle, a fait le choix de fibrer directement jusqu'à l'habitant. En laissant en plus à la charge des abonnés le coût de fibrer leurs logements. Du coup, le calendrier de l'OPT n'est pas très optimiste pour la généralisation du très haut débit : 37 000 lignes posées en 2020, pour 9000 abonnés à la fibre. Sachant qu'en 2014, l'OPT comptait 40 000 abonnés à l'internet… Malgré tout, Jean-François Martin a assuré en fin de conférence que l'OPT étudiait ces technologies de transition, réaliserait bientôt des tests, et pourrait, elle-aussi, déployer la VDSL2 pour augmenter les débits.

Pierre Tremblay, directeur exécutif de Ocean Specialist Inc.

Le consultant spécialisé dans les câbles sous-marins a présenté les projets de nouveaux câbles dans le Pacifique. Ils sont nombreux, car après une vague d'investissements pour connecter les îles, les gouvernements veulent désormais sécuriser leur connexion. Une opération plus difficile à justifier que le premier investissement : au lieu de faire baisser les coûts, ce second câble va les faire augmenter. En conséquence, l'objectif de tous les pays du Pacifique et de poser un câble au moindre coût possible, ce qui favorise la collaboration et le partage entre les différents pays. Nous lui avons demandé s'il était plus intéressant pour la Polynésie de se relier au Chili ou aux îles Cook :

"Je pense qu'il y a des certitudes, et les coûts en font partie. Le coût d'un câble sous-marin est directement proportionnel à la distance, et on s'aperçoit qu'aller vers les Samoa, ou plus encore vers les Cook, c'est beaucoup plus court que d'aller en Amérique du Sud. Aller vers l'Ouest, ce serait grosso modo deux fois moins cher. Ça c'est une quasi-certitude. Par contre, pour les revenus, c'est beaucoup moins certain. Il faut d'abord étudier s'il y a assez de demande pour la route Amérique du Sud/Asie, quelle concurrence il y a sur la route Amérique du Sud/Amérique du Nord, puis trouver les clients, les convaincre que c'est une bonne idée… Mais les revenus potentiels sont bien plus importants. Donc c'est un pari d'entrepreneur, pas un pari de société publique.

Pour moi, un deuxième câble doit avoir des financements publics. Parce qu'il est souvent plus court et moins cher que le premier car on voit que le Pacifique est en train de se "mesher" (créer un réseau de point à point), mais on voit aussi qu'il va faire augmenter le coût unitaire de la bande passante. Et ça, il faut que ça soit financé. Est-ce qu'on va augmenter le coût de l'abonnement, est-ce qu'on va trouver une autre façon de trouver de l'argent ou de générer des revenus ? Donc, compte tenu de la problématique et de la dynamique qui se met en place dans le Pacifique, je pense que le projet polynésien vers l'Ouest est plus probable à court terme que celui vers l'Est."


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mercredi 27 Avril 2016 à 12:05 | Lu 2201 fois