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Le Kivi Kuaka, sentinelle anti-cyclone


Récemment achevée dans l’archipel des Tuamotu, la mission Kivi Kuaka, menée par des scientifiques du Muséum d’histoire naturelle de Paris, en collaboration avec la SOP Manu, partenaire du projet, va permettre de savoir si les oiseaux migrateurs sont bel et bien capables d’anticiper des catastrophes naturelles. Pour le vérifier, des dizaines de courlis d'Alaska ont été équipés de petites balises qui enregistreront leur comportement en temps réel.
C’est une opération hors du commun, menée par une équipe de scientifiques du Muséum d’histoire naturelle de Paris (MNHM) et aidée par la Marine française, qui vient de s’achever dans l’archipel des Tuamotu. Le Projet Kivi Kuaka, initié en 2016, est un programme de suivi comportemental d’oiseaux migrateurs qui vise à étudier leurs réponses aux catastrophes naturelles et notamment aux infrasons produits par les tsunamis ou les vortex de cyclones.
“Nous voulons voir avec quelle anticipation les oiseaux perçoivent ces catastrophes et est-ce qu’on pourrait les utiliser comme système d’alerte précoce complémentaire à ce qui existe déjà”, explique Frédéric Jiguet, le coordinateur du programme. “On sait que les oiseaux ont des sens particuliers, ils ont des protéines au fond de la rétine qui s’orientent selon le champ magnétique et sont donc capables de le voir”. Une particularité physique qui permet aux oiseaux migrateurs de s’orienter. Comme l’explique le coordinateur de la mission, plusieurs études ont montré que des oiseaux migrateurs ont déjà anticipé l’arrivée de catastrophes, notamment de cyclones en détournant leur trajectoire. Les frégates, que l’on a en Polynésie, montent plus haut que le cyclone, le laissent passer puis redescendent. Les fous à pieds rouges, quant à eux, partent en mer, et font une grande boucle pour éviter le passage du cyclone.
“On pense qu’ils perçoivent la vague d'infrasons intense et d’intensité grandissante. Nous, on ne perçoit rien, mais leurs sens à eux permettent de capter cela et de comprendre que quelque chose de puissant approche”, souligne Anne Dozières, directrice du programme Vigie-Nature, revenant elle aussi de l’expédition.  
 
Une logistique militaire
Soutenu par la Marine française qui a mis à disposition le Bougainville durant l’ensemble de la mission, les six scientifiques du MNHM et du CNRS ont pu être débarqués sur les atolls de Hiti, Hariki, Tekokota, Paraoa, Ahunui, Tepoto, Manuangi, Reitoru et Tuanake grâce à l’équipe de baleiniers de la base navale de Papeete et leur baleinière dotée d’un double fond plat, idéale pour passer le récif sans risquer d'abîmer le corail. Durant 12 jours, en restant un ou deux jours sur chaque atoll, l’équipe a capturé des courlis d’Alaska afin de les équiper de balises GPS et de les baguer.
“On a choisi le courlis d’Alaska car c’est un oiseau migrateur qui fait de grandes distances au-dessus du Pacifique”, souligne Frédéric Jiguet. “Il semble être un très bon modèle d’orientation et d’évitement de ce type de catastrophe. Il hiverne dans tous les atolls de Polynésie, donc il est là durant huit mois de l’année, et les jeunes toute l’année”. Une sédentarité qui suggère aux scientifiques que cet oiseau a su s’adapter aux vagues submersives et qu’il est capable de les détecter. “Il y a deux jours à Rangiroa, on a eu de très fortes marées avec la houle qui est montée très haut sur tous les motu dans le lagon, et tous les courlis cette nuit-là se sont perchés dans les arbres alors que l’eau n’était pas encore très haute”, ajoute le scientifique.
Equipé de leur attirail ultra moderne, les oiseaux, qui prennent alors des allures d’agents spéciaux du climat, accumulent des données météorologiques et GPS dans leurs balises et les transmettront aux serveurs du muséum dès qu'ils passeront sous une couverture de réseau téléphonique.
Il suffit maintenant pour les scientifiques d’attendre qu’un événement particulier produisant des infrasons se produise : ils sauront alors si les oiseaux le détectent et modifient leur comportement. La stratégie est plurielle : avoir de nombreux oiseaux équipés sur beaucoup d’atolls, afin de voir se propager un comportement particulier d’atoll en atoll en fonction de la propagation des infrasons. Ou encore sur un même atoll, comme à Rangiroa où 50 courlis ont été équipés de balises, pour voir si à un moment donné tous font la même chose au même moment.

L'équipement ne représente entre 1,5 et 2% du poids d’un oiseau.
L'équipement ne représente entre 1,5 et 2% du poids d’un oiseau.
Un équipement léger
 
Le petit harnais, le baudrier, la balise et la bague représentent entre 1,5 et 2% du poids d’un oiseau. Cela correspond plus ou moins aux vêtements que nous portons. N’étant pas habitués à porter ça, les scientifiques veulent s’assurer que cet équipement n’est pas un handicap trop important pour le volatile. Une partie des oiseaux n'est donc pas équipée, afin de vérifier dans un an, lors d’une prochaine mission, si le taux de retour des oiseaux équipés et non équipés reste le même. Un détail très important afin de savoir si le comportement observé est bien celui des oiseaux, et pas celui d’un animal dont le comportement est modifié par une gêne.

Les chercheurs du Museum national d'histoire naturelle de Paris Anne Dozières, Frédéric Jiguet, le coordinateur du programme, Jérôme Fournier, Pierre Fiquet et Sébastien Pagani.
Les chercheurs du Museum national d'histoire naturelle de Paris Anne Dozières, Frédéric Jiguet, le coordinateur du programme, Jérôme Fournier, Pierre Fiquet et Sébastien Pagani.

Ludwig Blanc, membre actif de la SOP Manu (et apiculteur réalisant un magnifique travail à Rangiroa) représentait la société ornithologique durant toute l'expédition. Son rôle au sein de la mission était le comptage des courlis durant la journée, mais également l'inventaire des plantes et la capture des oiseaux durant la nuit. 

Rédigé par Simon Saada le Mardi 26 Avril 2022 à 19:24 | Lu 1885 fois