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Le Covid a provoqué une augmentation des tentatives de suicide au fenua


Tahiti, le 5 septembre 2023 - La prestigieuse revue scientifique médicale hebdomadaire britannique, The Lancet, a publié mardi une longue enquête sur son site concernant les suicides et les tentatives de suicide en Polynésie française durant la crise Covid.
 
 
 
 
La revue scientifique The Lancet, référence majeure dans les publications médicales, s'est intéressée à un des maux les plus inquiétants en Polynésie française : le suicide. Le magazine spécialisé a analysé le lien entre ce fléau et les 36 mois de crise Covid au fenua sur les tentatives de suicide. Des informations recueillies auprès des hôpitaux de Polynésie française et de spécialistes locaux.
 
Le suicide est une préoccupation majeure au fenua, avec une incidence annuelle mesurée de 79,4 tentatives pour 100 000 habitants entre 2008 et 2010. The Lancet a lancé une étude prospective entre avril 2020 et mars 2023, incluant tous les patients référés au Centre hospitalier de Polynésie française pour tentatives de suicide. Les facteurs démographiques ainsi que les paramètres cliniques ont aussi été analysés.
 
“Au cours de la période d'étude, 895 tentatives de suicide ont été enregistrées et confirmées, avec un taux annuel brut de 106,7 événements et un taux ajusté de 113,2 pour 100 000 habitants, constate la revue scientifique. La majorité de ces tentatives se sont produites sur l'île de Tahiti.
 
Au cours de période d'étude, la ligne d'assistance téléphonique SOS Suicide a enregistré une augmentation de 66,2% du nombre d'appels téléphoniques, passant de 947 appels en 2019, 804 appels en 2020, 1 113 appels en 2021 et 1 574 appels en 2022 qui ont corroboré l’augmentation des tentatives de suicide enregistrées au cours des années Covid-19.
 
Marqueur inquiétant de cette analyse, la moitié des sujets n'avaient pas de diagnostic psychiatrique et une augmentation significative des tentatives de suicide” a été constatée entre la première et la troisième année, surtout chez les jeunes femmes. L'incidence normalisée chez les femmes de moins de 20 ans atteignait 310,4 pour 100 000 habitants.
 

34,4% d'augmentation en 3 ans

Les données recueillies par The Lancet révèlent aussi “une augmentation globale de 34,4% de l’AS en Polynésie française, avec un accroissement frappant de 54,9% au cours de la troisième année de pandémie. “L’incidence record de l’année dernière est confirmée par une activité accrue sur les lignes téléphoniques d’urgence suicide, notamment à Tahiti, explique le rapport. Une corrélation entre l’exposition au Covid et les comportements suicidaires, tant au niveau individuel que social, est suspectée, les jeunes femmes de Tahiti étant les plus vulnérables.
 
The Lancet n'exclut pas dans son rapport l’hypothèse “que la pandémie de Covid-19 pourrait contribuer à une exacerbation des comportements suicidaires, augmentant ainsi le bilan humain global, tout en reconnaissant un niveau d’incertitude notable quant à la progression temporelle de ces événements”.
 
La revue signale d'ailleurs qu'en Australie, en France et aux États-Unis, les taux de suicide sont en fait restés inchangés, voire ont même chuté au cours de la première phase de la pandémie de Covid-19.

“L'âge moyen était de 33 ans”

The Lancet a basé son analyse sur un chiffrage précis autour du drame que représente le suicide en Polynésie française. Sur les 36 mois de l'étude, 895 tentatives de suicide ont été enregistrées et confirmées. 58 événements ont été exclus de l'étude comme 24 idées suicidaires, ou encore 19 comportements d'automutilation accidentels.
 
Premier enseignement, les tranches d'âge de 10 à 19 ans et de 20 à 29 ans représentaient la majorité des sujets (49,3%). “L'âge moyen était de 33 ans, mais La tranche d'âge la plus représentée était celle des 20 à 29 ans (30%), avec une diminution progressive de l'incidence tout au long de la vie”, poursuit l'article.
 
Ce sont les femmes qui sont le plus touchées par ce fléau (484 contre 411 chez les hommes).
La grande majorité des tentatives de suicide (81,6%) a eu lieu dans l'île la plus peuplée de Tahiti, suivie par les Îles Sous-le-Vent (Raiatea, Bora-Bora, Huahine, Maupiti ; 7,9%), Moorea (7,2%), les Tuamotus-Gambiers ( 4,0%), les îles Australes (1,6%) et les Marquises (1,7%).
 
L'intoxication volontaire aux drogues reste le mode de suicide le plus représenté (56,8% des SA), suivie de la pendaison (19,9%), des phlébotomies (6,8%) et des tentatives de suicide avec objets tranchants ou pénétrants (3,0%)
 
Dans 49,6% des cas, aucun diagnostic psychiatrique actuel ou passé n’a été établi. “Au total, 325 tentatives de suicide (36,3%) ont été suivies d'une hospitalisation en service d'hospitalisation psychiatrique après un premier suivi aux urgences”, révèle The Lancet“Ce taux s'élevait à 52,7% lorsque les sujets portaient un diagnostic psychiatrique.

L'après Covid à surveiller de près

Afin de mieux cerner les cas, l'étude a scindé les tentatives de suicide en deux groupes. Les tentatives uniques, et celles répétées. Le groupe “tentateur unique” était composé de 676 sujets. 132 événements tentatives de suicide ont été identifiés comme récurrents au cours de la période d'étude. 
 
The Lancet conclut de ces chiffres que cette augmentation est liée à l’exacerbation des difficultés biopsychosociales causée par la pandémie catastrophique ainsi que par les mesures de confinement prolongées et la réaction au stress dans un territoire isolé dont l'économie dépend largement du tourisme”.
 
“Si l'on ajoute à la situation géographique de l'île de Tahiti et la vulnérabilité du jeune âge, le taux de tentatives de suicide est étonnamment élevé”, explique l'étude : soit 229,0/100 000 habitants pour les 20 à 29 ans. Ces jeunes sont une population à risque en raison des changements sociétaux, du manque de perspectives, de l'isolement et du rôle délétère des réseaux sociaux.
 
Dans ses conclusions, le magazine médical note qu'il est important de continuer à surveiller les comportements suicidaires et les taux de mortalité dans les années à venir, car les conséquences psychologiques de la pandémie pourraient se manifester à long terme”.
 
Pour prévenir les suicides, The Lancet recommande “de promouvoir la santé mentale, de lancer des campagnes de prévention, de créer un observatoire local, de proposer un programme de prévention et d'intervention contre le suicide et d'impliquer les professionnels de la santé, les décideurs politiques et les organisations sociales”.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 5 Septembre 2023 à 18:41 | Lu 4180 fois