Tahiti Infos

Le Conseil constitutionnel consacre un droit de la concurrence "renforcé" pour l’outre-mer


Le Conseil constitutionnel consacre un droit de la concurrence "renforcé" pour l’outre-mer
La situation de l’outre-mer justifie l’instauration d’un droit de la concurrence plus sévère qu’en métropole : c’est ce qui ressort très clairement de l’arrêt rendu le 1er octobre dernier par le Conseil constitutionnel sur la loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie.

Sur le Caillou, ce texte reprend et complète plusieurs dispositions introduites dans certaines collectivités ultramarines par la loi dite Lurel relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer (loi 2012-1270 du 20 novembre 2012).

Or la constitutionnalité de la loi Lurel, comme celle de la loi du Pays en Nouvelle Calédonie, étaient mises en doute par de nombreux spécialistes au motif qu’elles contenaient des dispositions "taillées sur mesure" pour l’Outre-mer et perçues comme "excessives". Et la loi Lurel n’ayant pas été soumise au contrôle du Conseil Constitutionnel, un doute subsistait sur la constitutionnalité de ces dispositions.

Ce doute est maintenant levé : le juge suprême confirme la constitutionnalité desdites dispositions reprises, voire durcies, par la loi néo-calédonienne.

La haute cour se fonde sur la "situation particulière de la concurrence dans certains secteurs économiques en Nouvelle Calédonie" qui justifie des mesures qui, dans un autre contexte, auraient pu être regardées comme attentatoires au droit de propriété et à la liberté du commerce et de l’industrie.

Il va sans dire que sur le "fenua" l’arrêt du Conseil constitutionnel contient un certain nombre d’enseignements précieux à l’heure où la Polynésie française est en passe de soumettre sa loi du Pays sur la régulation de la concurrence à l'avis de la représentation locale. Dans ce contexte, trois points méritent d'être soulignés :

La possibilité de démanteler un groupe en situation de position dominante est reconnue

Le dispositif introduit à l’article L752-27 du Code de commerce par la loi Lurel pour les collectivités d’outre-mer constitue certainement celui qui pouvait apparaître comme le plus attentatoire au droit de propriété. Cette disposition permet en effet dans des conditions déterminées et, sous réserve d’engager une négociation qui s’avère non concluante avec les entreprises concernées, à l’Autorité de la concurrence d’envisager des mesures coercitive en l’absence même d’abus de position dominante de leur part.

L’article précise que les "injonctions structurelles" prononcées par l’Autorité peuvent aller jusqu’à enjoindre aux entreprises concernées de "procéder à la cession d’actifs si cette cession constitue le seule moyen permettant de garantir une concurrence effective".
Autrement dit, si les conditions sont réunies, cette dispositions permet le démantèlement d’un groupe en situation de position dominante sans même qu’un abus de position dominante soit caractérisé.

Mais il y a plus surprenant encore : l’article 16 de la loi du Pays calédonienne apparaît plus préoccupant encore que son homologue métropolitain parce que, d’une part, l’injonction structurelle n’est pas n’est pas prononcée par une Autorité indépendante mais par le Gouvernement calédonien et, d’autre part, elle peut être mise en œuvre dès lors qu’une entreprise ou un groupe d’entreprises détient, dans une zone de chalandise, une part de marché dépassant 25% et représentant un chiffre d’affaires supérieur à 600 millions Fcfp.

En Polynésie française, cette disposition de l’injonction structurelle ne figure pas dans le projet de loi du Pays soumis au CESC et au Haut conseil et qui devrait être débattu à l'Assemblée début novembre.

La possibilité d’interdire des droits exclusifs à l’importation est admise

La seconde de ces dispositions dont la constitutionnalité est confirmée consiste dans l’interdiction des "accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou un groupe d’entreprises".
Le juge constitutionnel valide cette disposition spécifique à certaines collectivités d’outre-mer. Elle est codifiée à l’article 420-2-1 du code de commerce et a été reprise par l’article 24 de la loi du pays néo-calédonienne.

Là encore, la haute cour valide une mesure encore plus "dure" que celle figurant dans la loi Lurel, dans le sens où une amende de 8 500 000 Fcfp est prévue, alors que ce manquement est sanctionné par la simple nullité de l’entente dans le Code de commerce.

Cette disposition est reprise dans le projet de loi du Pays pour la régulation de la concurrence en Polynésie française, bien que l’interdiction des droits exclusifs ne porte que sur certaines catégories de produits de grande consommation dans les secteurs ménager, de l’alimentaire, de l’hygiène.

Un régime rigoureux d’autorisation préalable en matière d’accroissement des surfaces de vente

L’article 10 de la loi du Pays calédonienne soumet à un régime d'autorisation toute mise en exploitation, toute extension, tout changement d'enseigne commerciale, tout changement de secteur d'activité et toute reprise par un nouvel exploitant d'un magasin de commerce de détail dont la surface de vente est supérieure ou devient supérieure à 350 m2.

Outre qu’il pouvait être regardé comme empiétant sur la réglementation relative à l’urbanisme commercial, ce régime d’autorisation préalable pouvait être considéré comme exagérément strict eu égard, tant à son caractère général et systématique qu’au seuil de superficie très faible retenu.

Ecartant ces objections, le juge constitutionnel considère "qu'eu égard aux particularités économiques de la Nouvelle-Calédonie et au degré de concentration dans ce secteur d'activité, l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par la procédure d'autorisation préalable pour les commerces de détail d'une certaine superficie est en lien avec l'objectif poursuivi et ne revêt pas un caractère disproportionné ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre doit être écarté".

En Polynésie française, le projet de loi du Pays contient mutatis mutandis, une disposition tendant aussi à limiter la croissance organique des groupes dans le secteur du Commerce de détail, au-delà d’un seuil de 35% de parts de marché pour les îles de plus de 10 000 habitants.


Il ressort de tout cela que, par l’arrêt rendu le 1er octobre dernier, le Conseil constitutionnel consacre un droit de la concurrence "renforcé" pour l’outre-mer. Et, pour les collectivités océaniennes où la concurrence est tout à la fois quasi-inexistante et regardée avec méfiance sinon défiance, il s’agit d’une révolution culturelle et d’un défi politique à relever.

Rédigé par Antonino Troianiello le Mercredi 9 Octobre 2013 à 08:39 | Lu 1607 fois