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Le 2 septembre 1940, les E.F.O. ralliaient la France libre


Tahiti, le 26 août 2020 - Dans le cadre des commémorations des 80 ans du ralliement des Établissements français d’Océanie (EFO) à la France libre, Tahiti Infos et l’association Mémoire polynésienne vous proposent jusqu'au 4 septembre prochain, une série d’articles consacrés à cet épisode de l’histoire franco-polynésienne, sous la plume de Jean-Christophe Shigetomi, président de l’association Mémoire polynésienne et délégué de la Fondation de la France libre. Aujourd’hui, on s’intéresse à la genèse et au contexte tahitien de ce ralliement.
 
Le 13 mai 1940, les troupes françaises sont bousculées par l’offensive allemande à Sedan, dans les Ardennes. À Paris, certains membres du cabinet de Paul Reynaud, le président du Conseil, penchent pour un armistice. Une solution que soutient également le Maréchal Philippe Pétain. Le général de Gaulle, nommé le 5 juin 1940 sous-secrétaire d’État à la Guerre dans le cabinet Reynaud, y est opposé et prône la poursuite du combat. Le cabinet de Paul Reynaud démissionne le 17 juin. Le général de Gaulle s’envole pour Londres. Le 18 juin, il lance le fameux appel sur les ondes de la BBC dans lequel il exhorte les Français à poursuivre la lutte.
À Tahiti, c’est avec consternation que l’on apprend l’armistice de Rethondes. La surprise passée, s’affirme rapidement une volonté de poursuivre la lutte aux côtés des Anglais. Le général de Gaulle est alors totalement inconnu des Polynésiens. Ses appels à la résistance du 18 juin et du 22 juin 1940 ne sont pas entendus dans la lointaine colonie du Pacifique. Ce sont donc des enregistrements postérieurs aux appels des 18 et 22 juin qui seront entendus par les populations de l’Océanie française. Des émissions relayées sur les ondes de Radio Fidji et dans les programmes en langue française émis depuis San Francisco, Auckland ou Sydney.
Le texte de l’affiche de l’appel du 18-juin, différent de celui du discours, ne sera placardé que courant octobre 1940 dans les diverses officines publiques de la ville de Papeete : à l’entrée de l’ancienne Poste où les nouvelles en bref du front seront par la suite régulièrement affichées.

Une position similaire

Dans un ordre du jour du 23 juin 1940, la Base Marine de Tahiti prescrit la poursuite de la lutte.  Le commandant du navire Dumont d’Urville, à quai à Papeete, invite les notables, les chefs de district et les membres du Conseil privé à intervenir auprès du gouverneur Frédéric Chastenet de Gery pour l’adoption d’une position similaire. L’avis du gouverneur à la population, publié par bulletin de presse le 25 juin 1940, reste cependant mitigé quant à la poursuite de la guerre.
 
Mais de leur côté, Jacques Ravet, chef du service météorologique, Marcel Sénac, administrateur des Tuamotu-Gambier et le lieutenant de vaisseau de réserve Jean Gilbert, gendre de l’industriel Émile Martin, nourrissent ce dessein. Ils seront bientôt rejoints par le Dr. Émile de Curton et par des figures charismatiques de la société civile polynésienne, à quelques exceptions près. 
 
Le 10 août 1940, un Comité français d’Océanie, favorable au maréchal Pétain, est créé sous la houlette du président des anciens combattants et ancien Croix de feu. Le programme de ce Comité est de combattre toute propagande étrangère ou antinationale dirigée contre la France et le gouvernement pétainiste. Ses membres exigent une proclamation solennelle en ce sens. Alain Gerbault, proche de l’Action française, les rejoint. Le gouverneur Chastenet de Gery confirme sa soumission au gouvernement de Vichy en promulguant la loi du 13 août 1940 qui porte interdiction des sociétés secrètes.

La riposte du Groupe de Mamao

Le Groupe de Mamao est né dans le cercle familial d’Émile Martin. Les premières réunions se tiennent notamment au domicile de l’industriel, situé à Aina Pare à l’angle de l’avenue Bruat à côté du bâtiment de la Marine. Ce groupe tient son nom d’une ruelle située dans le quartier de Mamao où plusieurs de ses membres ont élu domicile. 
 
Le Groupe de Mamao va répondre par la création, le 27 août 1940, d’un Comité de la France libre et  le vote d’une motion de défiance aux Délégations économiques et financières. Cette manœuvre politique condamne l’inertie du gouverneur. La fibre patriotique n’est pas le seul ferment du ralliement à la France libre. Le ralliement est aussi d’ordre économique pour la survie de l’économie de l’île et le maintien de son ravitaillement par l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Sous la pression, le gouverneur Chastenet de Gery autorise l’organisation d’une consultation populaire.
Le  Dr. de Curton trouve auprès d’Etienne Davio et des marins du Ville d’Amiens, à quai à Papeete, la force armée de protection de leur Groupe. Les jeunes hommes formés au pilotage par Jean Gilbert apportent aussi un concours musclé. Joseph Pommier démontera une mitrailleuse d’un des CAMS 55 de la base aéronavale pour la fixer derrière une camionnette. Lors du ralliement, il arpentera les rues de Papeete avec sa mitrailleuse en intimidation. La compagnie autonome d’infanterie coloniale de Tahiti affiche une certaine neutralité.

Plébiscite pour un ralliement

Des cahiers sont mis à la disposition des électeurs pour répondre à la question suivante : « Devons-nous accepter la capitulation ordonnée par le maréchal Pétain ou devons-nous continuer la lutte comme nous y invite le général de Gaulle ? »
Papeete est la seule commune de Tahiti qui dispose d’une municipalité élue au suffrage universel. Les hommes inscrits sur la liste électorale votent à l’hôtel de ville. Les districts comme certaines îles sont de surcroît sollicités par les membres du Comité de la France libre. Pour la première fois, les femmes participent à un scrutin : Mama Ani, notre grand-mère tahitienne avait dit avec fermeté …vau e metua tāne peretāne tō’u, e mā’iti au a Te Gaulle (moi, j’ai un père anglais, je vote de Gaulle). En septembre 1940, l’Église protestante, majoritairement présente en Océanie française, fera voter par son Conseil une motion favorable à la France libre.
Certains jeunes qui n’ont pas encore l’âge de voter apposent une signature favorable au général de Gaulle. Le 11 septembre, ils s’engageront dans les rangs de la France libre.
Le grand registre de la mairie de Papeete recueille, ce premier septembre 1940, 5 164 signatures pour de Gaulle contre 18 pour le Maréchal.
Le gouverneur Chastenet de Gery est débarqué au profit d’un triumvirat de conseillers privés : Édouard Ahnne, Émile Martin et Georges Lagarde.

Un corps expéditionnaire de 1 000 hommes

Le 2 septembre 1940, Tahiti rallie la France libre. Le capitaine Félix Broche, commandant la compagnie autonome et d’infanterie coloniale de Tahiti adhère au gouvernement provisoire sous réserve de l’envoi d’un corps expéditionnaire du Pacifique de 1 000 hommes, soit l’effectif d’un bataillon d’infanterie de quatre compagnies. Avant cela, les  précédents engagements volontaires  pour la France libre via le consul anglais avaient tous été rejetés par ce dernier. 
Une affiche est placardée à la poste pour appeler des volontaires à former le 1er corps expéditionnaire du Pacifique.
Les engagements dans les rangs de la France libre comme le scrutin du ralliement seront principalement ceux des populations tahitiennes. Les engagements de popa'ā comme le sous-lieutenant de réserve Robert Hervé font l’exception. Les expatriés français réservistes rappelés se rétractent et refusent de se réengager, certains sont restés fidèles au Maréchal ; nombreux sont ceux encore affectés par la tragédie de Mers-El-Kebir. Ainsi, le lieutenant de vaisseau Charles-Edouard La Haye, commandant de la base navale de Fare Ute, quitte Tahiti le 13 décembre 1940, embarqué sur le cargo Limerick pour avoir refusé de rallier la France libre. Arrivé à Vancouver, 15 jours plus tard, il s’engage finalement dans la Royal Canadian Air Force puis rejoindra la France libre.
L’adhésion unanime et spontanée des volontaires tahitiens se reporte donc vers le bureau de recrutement de la caserne Bruat à partir du 9 septembre 1940 à l’appel du capitaine Broche. Les Tamari’i Volontaires formeront avec leurs camarades néo-calédoniens les rangs du glorieux bataillon du Pacifique.

Hommage avenue Pouvanaa a Oopa 

Le 2 septembre 1940, les Établissements français d’Océanie ralliaient la France libre. Du 1er au 15 septembre, dans le cadre des commémorations des 80 ans du ralliement des E.F.O. à la France libre, l’association Mémoire polynésienne pavoisera l’avenue Pouvanaa a Oopa de quelques 30 portraits de Tamari’i Volontaires colorisés. 
Le 2 septembre 1940, les E.F.O. ralliaient la France libre


Rédigé par Jean-Christophe Shigetomi le Mercredi 26 Août 2020 à 11:03 | Lu 1717 fois