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La transition énergétique entre émulation et attentes


Tahiti, le 21 février 2023 – Le séminaire sur la transition énergétique organisé mardi matin à la CCISM par la Fedom a démontré toute l'émulation et l'innovation du secteur privé polynésien sur les questions de décarbonation. Un secteur privé qui reste encore en attente de planification, de réglementation et surtout de sources de financement des pouvoirs publics.
 
Un peu plus de 80 chefs d'entreprises, ainsi que quelques responsables publics, ont participé, mardi matin à la CCISM, au séminaire sur la transition énergétique organisé par la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom). La Polynésie avait été choisie comme premier lieu de rendez-vous pour le cycle de cinq séminaires prévus cette année par la Fédération dans l'ensemble des territoires ultra-marins français. “Il y a une exemplarité de la Polynésie française qu'on doit saisir”, a insisté le président de la Fedom et ancien ministre des Outre-mer, Hervé Mariton, soulignant tout le “potentiel” du fenua dans la stratégie nationale de décarbonation. “Il vous faut attirer les compétences et exporter les savoirs.”
 
À moitié vide ou à moitié plein
 
Avant les interventions de représentants des entreprises pour présenter quelques “outils” pour la décarbonation du mix énergétique polynésien, les pouvoirs publics – Ministère de l'Energie, Service de l'Energie et TEP – ont présenté le contexte local. L'enjeu de la décarbonation est important, puisque la Polynésie dépend à 93,9% des hydrocarbures pour l'ensemble de sa consommation énergétique. Le mix électrique actuel est réparti aux 2/3 thermique et 1/3 renouvelable (EnR), dont 3/4 d'hydroélectricité et 1/4 de solaire.
 
“Je ne pense pas que la Polynésie française soit le mauvais élève”, a estimé le conseiller au ministère de l'Énergie, Olivier Delestre, citant le Swac de l'hôpital, l'appel à projet pour les fermes solaires avec stockage, la réglementation énergétique des bâtiments, ou encore l'expérience réussie du 100% EnR à Tahiti réalisée lors d'un dimanche de septembre 2022. Olivier Delestre a également défendu le soutien au Fonds de régulation des prix des hydrocarbures (FRPH) à 10 milliards de Fcfp en 2022. “C'est une stratégie qui peut être critiquable, mais il faut bien comprendre que le Pays est pris entre plusieurs feux”, parmi lesquels celui de garantir le pouvoir d'achat des ménages.
 
Côté perspectives, le séminaire a été l'occasion pour le Pays d'évoquer les tranches 2 et 3 de l'appel à projet de fermes solaires avec batterie, une “réflexion” sur des appels à projets hydroélectriques, ou encore l'utilisation à venir des 7 milliards du Fonds Macron. L'objectif des 75% d'EnR en 2030 n'est plus considéré comme atteignable. Il reste néanmoins un “vœu pieu” à approcher. Pour le Service de l'énergie, le seuil des 50% d'EnR sera rapidement atteint avec les futures fermes solaires, mais le “plafond réel” se situera entre 50 et 60% à l'horizon 2030. Même discours pour EDT qui voit un “plafond de verre normatif” à 70% d'EnR “sauf technologie exceptionnelle”. Mais même pour cet objectif et uniquement pour l'île de Tahiti, le directeur des exploitations d'EDT, Yann Wolff, a rappelé qu'il nécessitait d'augmenter la production hydroélectrique actuelle de 50% et celle du solaire de 400%...
 
Des problématiques en cascade
 
Le séminaire organisé par la Fedom a surtout été l'occasion d'évoquer en détails l'enchevêtrement des problématiques induites par la progression de la décarbonation du mix énergétique au fenua. Conséquence de l'augmentation de la production solaire, l'hydroélectricité est désormais devenue une énergie “de nuit” pour permettre l'équilibre du réseau. Le solaire et sa “forte variabilité” posent des questions d'équilibre et de dimensionnement du réseau de la TEP. Le prochain appel à projets pour les fermes solaires ne pourra d'ailleurs être déployé qu'au nord de Tahiti, puisque le réseau du sud de l'île ne permettra pas de transporter davantage d'électricité. Problème : le foncier nécessaire est davantage disponible au sud de l'île…
 
Qu'il s'agisse d'évoquer la performance industrielle des entreprises, la décarbonation du transport maritime, la question des énergies marines renouvelables, la transformation des déchets en énergie ou encore l'électrification des transports – thèmes abordés par les intervenants privés au séminaire –, l'ensemble des problématiques génère à chaque fois des implications en cascade qui demandent à être anticipées, arbitrées ou régulées. Sur les transports, qui pèsent plus lourd que la production d'électricité en termes d'utilisation d'énergies thermiques, le passage aux véhicules électriques dicté par les objectifs européens demande des adaptations conséquentes. “Aujourd'hui, le parc automobile polynésien consomme la même chose que la Punaruu”, a rappelé le directeur des exploitations d'EDT. Le développement du solaire doit permettre d'absorber cette demande future, mais encore faut-il faire évoluer le réseau, la production et la réglementation sur la revente d'électricité.
 
Une interdépendance public-privé
 
“On en est au stade, aujourd'hui, où il faut proposer des solutions opérationnelles. Ce qui veut dire qu'il faut identifier les freins. Et il y en a un certain nombre, sinon on aurait plus de Swac, de photovoltaïque ou de biomasse”, résumait en fin de séminaire le président du Medef de Polynésie et président de la commission Transition énergétique de la Fedom, Frédéric Dock. De solutions, d’études et d’innovations, les entreprises polynésiennes ne semblaient pas en manquer mardi matin. Elles sont d'ailleurs exhortées à davantage de “prise d'initiative” par les responsables du Pays. Ces derniers appelant à ne pas toujours tout attendre d'une impulsion du secteur public.
 
“Le problème, c'est que le système énergétique en général est complètement dépendant du politique et qu'il est interconnecté entre le politique et les entreprises, avec au milieu de tout ça les communes”, constate Frédéric Dock. “L'initiative individuelle, dans un système énergétique comme la Polynésie, n'a pas de sens. Elle doit dépendre d'une politique, d'une stratégie et de la réglementation qui va avec.” Sur ce dernier point, la programmation pluriannuelle de l'énergie 2022-2030 est notamment attendue avec impatience par les entreprises. Tout comme la synthèse des échanges menés mardi permettra d'adresser à l'État et au Pays une liste de suggestions à intégrer dans les futurs dispositifs d'aide à l'investissement comme la défiscalisation.
 


Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 21 Février 2023 à 19:48 | Lu 1510 fois