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La réforme qui secoue la vanilleraie


Tahiti, le 15 mars 2021 - Le nouveau cadre réglementaire organisant la filière vanille doit être adopté ce mardi par l’assemblée. Dans les cartons depuis quatre ans, ce texte “décidé en haut lieu”, selon plusieurs professionnels, ne répond que partiellement aux exigences de qualité de la clientèle de cette économie de niche.
 
A l’échelle mondiale, la vanille de Tahiti (Vanilla tahitensis) ne pèse dans les meilleures années guère plus de 0,4% de production globale. Cette épice est pourtant la troisième source de revenus à l’exportation pour la Polynésie française, avec un chiffre d’affaires annuel compris entre 650 et 720 millions de Fcfp. Le prix à l’export du kilogramme de vanille séchée se maintient depuis quatre ans, entre 54 000 et 56 000 Fcfp. Un prix multiplié par 2,6 entre 2014 et 2020, tandis que la production annuelle de vanille mûre, c’est-à-dire non encore séchée, est comprise entre 35 et 38 tonnes, ces dernières années. 

Pour l’instant, la filière Vanille est règlementée par une délibération de 1991 complétée un arrêté gouvernemental de 1992. Trente ans après, la collectivité s’apprête à rafraichir ce cadre en renforçant les étapes de contrôle du producteur à l’exportateur. Un projet de loi est examiné ce mardi à Tarahoi. Il est en réflexion depuis 2017. A la clé : la volonté de mieux encadrer les conditions de production, de préparation et de commercialisation de cette épice produite au fenua par 1 037 agriculteurs sur une surface totale de près de 90 hectares, pour une filière qui compte 26 préparateurs et 12 exportateurs.
 
Nouvelles obligations
 
Ainsi, dans l’objectif déclaré d’améliorer la qualité de la vanille commercialisée, ce texte instaure un régime déclaratif dès la cueillette, pour dissuader celle de productions immatures, jusqu’au stade des exportations, avec la création d’une autorisation préalable. Pour améliorer la traçabilité des ventes de vanilles mûres, la tenue d’un registre des transactions est en outre imposée aux préparateurs, en charge du séchage des gousses avant commercialisation. L’Établissement public Vanille de Tahiti est placé au cœur de ce système de contrôle administratif, tandis que la Chambre d’agriculture sera dorénavant en charge de la délivrance de cartes de producteurs de vanille. Un éventail de sanctions administratives est en outre institué par le volet coercitif de ce texte afin de punir les auteurs de manquements aux obligations qu’il instaure. En filigrane de cette réorganisation, la collectivité souhaite la création d’une Appellation d’origine protégée (AOP), dont le projet est dans les cartons depuis 2003.
Consultée en 2019, l’Autorité polynésienne de la concurrence estime cependant que ce projet de loi “puisse indirectement, par ces réglementations, limiter le nombre d’opérateurs pouvant agir dans le secteur et est ainsi susceptible d’avoir des effets sur la concurrence.”
 
Les limites de la qualité
 
Si ce texte s’appuie sur la volonté “respectable” de rafraichir un cadre réglementaire qui commençait à dater, Alain Abel déplore que rien n’y soit “fait pour améliorer la qualité”. Ce préparateur de vanille et exportateur basé à Raiatea regrette en effet que le projet de loi ne prévoie rien au sujet du contrôle des pesticides utilisés par les producteurs. “Certains agriculteurs utilisent n’importe quoi pour traiter. La qualité n’est pas simplement une question de vanille immature”, explique-t-il. “Les pesticides devraient être interdits. Nous vendons aux plus grands restaurateurs du monde. Ils seraient sensibles à un meilleur contrôle des intrants”. Une clientèle haut de gamme, pour un marché de niche également sensible, selon lui, à une vanille “plus grasse”, entendre avec un taux d’humidité supérieur à 50%, alors que le projet de texte fixe entre 38 et 55% le taux d’humidité de la vanille de première catégorie. “Cela permettrait une meilleure rémunération des producteurs.”
C’est une toute petite filière”, estime quant à lui Philippe Brillant, exportateur, pour qui en principe “l’éducation devrait être assez simple pour sensibiliser les gens sur ce qu’est la qualité”. Une exigence de qualité vitale pour l’économie locale de la vanille et qu’il faut maintenir, coûte que coûte, selon lui. “N’importe qui ne peut pas vendre à Guy Savoy ou au Lutecia.”
Quant au projet de création d’une AOP, si cet exportateur “depuis plus de 30 ans” pense qu’un tel label “amènerait une image de qualité”, il s’adresse à une clientèle de particuliers. “Or nos clients sont des professionnels qui maîtrisent les matières premières utilisées.”
 
Un texte hors sol 
 
Du côté des producteurs, on regarde les nouvelles obligations déclaratives mises en place pour améliorer la traçabilité et mettre un frein au phénomène de vols, comme une nouvelle source de tracasseries. “Pour l’agriculteur tahitien, tout ce qui est administratif, ça le dépasse. Ça va être contraignant” estime cette cultivatrice de Tahiti. Elle préfère rester anonyme parce que “dans ce milieu, c’est la loi du silence…” Elle déplore que le projet de texte n’ait pas été présenté aux agriculteurs, en dehors d’une réunion avec l’Epic Vanille pour “aborder un premier jet en 2017. Mais depuis : plus rien”. Un reproche que partagent avec elle Alain Abel : “Certes, on a été consultés lors de la présentation pour avis d’une première mouture au Cesec (Conseil économique, social, environnemental et culturel) en 2019. Mais dans l’ensemble, ce texte a été décidé en haut lieu. On n’a pas demandé de retour d’expérience aux acteurs de la filière. Ce texte comporte de bonnes choses, mais on aurait pu faire mieux.”
Une demande des professionnels a cependant été entendue. Un projet de taxe à l’exportation que prévoyait d’instaurer la précédente mouture de ce projet de loi du Pays a été abandonné, conformément à la recommandation du Cesec en décembre 2019. Pour le reste “on s’adaptera”, dit Philippe Brillant. Les professionnels de la filière auront six mois pour se mettre en conformité à compter de la promulgation de ce texte dont l’adoption de fait pas de doute, ce mardi.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 15 Mars 2021 à 19:33 | Lu 4313 fois