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La razzia des bleus


Tahiti, le 19 juin 2022 – La victoire historique et extraordinaire des trois candidats du Tavini Huiraatira aux législatives s'appuie à la fois sur un contexte et des dynamiques politiques plus favorables à Tematai Le Gayic, Steve Chailloux et Moetai Brotherson dans les trois duels Tapura-Tavini du second tour. Des avantages que les candidats du Tavini ont parfaitement exploité pour opérer une véritable razzia sur ces élections.
 
Impensable avant le premier tour. Improbable avant le second. La victoire des trois candidats du Tavini Huiraatira aux élections législatives en Polynésie française s'est pourtant construite au fil de la campagne ces dernières semaines et s'est finalement produite au fil du dépouillement samedi soir. Un dépouillement au terme duquel le parti bleu ciel s'est offert ce scrutin avec un total de 61 430 voix (56,8% des suffrages) contre 46 635 pour les trois candidats du Tapura Huiraatira. Difficile pour autant de porter cette victoire au seul crédit du parti indépendantiste, le Tapura le martelait samedi soir en ruminant une défaite cinglante et le Tavini s'en gardait bien lui-aussi en fêtant une victoire pourtant historique.
 
Car si le parti bleu ciel avait réussi en 2017 une grande première en envoyant un député indépendantiste à l'Assemblée nationale à Paris, que dire de ce résultat qui octroie au parti d'Oscar Temaru l'intégralité des trois parlementaires polynésiens du Palais Bourbon. Un évènement qui s'explique à la fois par un mode de scrutin ayant permis de dégager trois duels Tapura-Tavini au second tour, un contexte politique désormais confirmé au mieux d'un désir d'alternance, au pire d'un climat de défiance à l'encontre du parti d'Édouard Fritch largement majoritaire depuis maintenant huit ans au fenua, et enfin un pari politique audacieux et gagnant d'Oscar Temaru sur la jeunesse et le renouvellement d'une classe politique que l'on croyait beaucoup plus solidement ancrée dans ses communes.
 
Un carton, mais pas rouge
 
Pour aller crescendo dans les surprises politique de cette soirée électorale, il faut remonter de la troisième à la première circonscription. En effet, la réélection de Moetai Brotherson n'est pas à proprement parler une surprise face à un Tuterai Tumahai que l'on sentait dépassé depuis le soir du premier tour et les nombreux débats d'entre-deux-tours. Mais avec 21 937 voix (61,32%) contre 13 837 pour son adversaire, le député du Tavini a surtout plié les débats sur sa circonscription regroupant Faa'a, Punaauia et les îles Sous-le-vent. En progression de plus de 5 000 voix en cinq ans, vainqueur sur huit des neuf communes de sa circonscription, Moetai Brotherson a semblé intouchable alors qu'il ne partait qu'avec une petite avance de 600 voix au premier tour.
 
Sur la deuxième circonscription, la performance est encore plus impressionnante. Steve Chailloux (19 978 voix – 58,9%) a non seulement rattrapé son retard de 1 200 voix au premier tour, mais il a surtout pulvérisé le score de Tepuaraurii Teriitahi (13 947 voix) de plus de 6 000 suffrages au second. Le jeune professeur de reo tahiti surfant sur une impressionnante vague bleue à Tahiti pour sa première élection réalisée sur son seul nom. Enfin, l'exploit est véritablement venu de Tematai Le Gayic, qui a réussi à refaire un retard complètement inenvisageable de 6 600 voix au premier tour pour s'imposer au finish, grâce aux voix des grandes communes des îles du Vent, avec 19 523 voix (50,9%) contre 18 851 pour Nicole Bouteau. Inconnu de la politique locale lors de l'annonce de sa candidature fin 2021, il siégera à l'Assemblée nationale pour les cinq prochaines années en tant que plus jeune député de France à l'âge de 21 ans.
 
Le Tapura prend des bleus
 
Outre les qualités individuelles de ces trois candidats qu'il ne faudrait pas minimiser, plusieurs dynamiques politiques semblent avoir été à l'œuvre pour arriver à une telle razzia du Tavini Huiraatira sur ces élections législatives. La première, que l'on n'imaginait pas aussi flagrante, est un report de voix très majoritairement favorable aux candidats du parti bleu ciel entre les deux tours de scrutin. Le Tapura a été prompt à pointer du doigt samedi soir un "front uni" contre le parti majoritaire. Mais après l'avertissement de la présidentielle et la sanction des législatives, le parti d'Édouard Fritch ne peut désormais plus ignorer le message adressé par les électeurs contre un comportement pas toujours "exemplaire" -le président du Pays et du parti le concédait lui-même samedi soir- de ses élus ces toutes dernières années. Un front anti-Tapura peut-être, mais également favorisé par un vote sanction du parti aux affaires depuis 2014.
 
Autre dynamique en marche, celle d'un Tavini qui a su miser sur un renouvellement du visage de ses candidats. Preuve en est, les trois députés bleu ciel ont systématiquement fait plus que cumuler les scores des candidats éliminés au premier tour dans les grandes communes de Tahiti. Le Tavini est donc allé mobiliser de nouveaux électeurs, comme le Tapura d'ailleurs dont la réserve de voix était loin d'être insignifiante : +5 900 voix pour Nicole Bouteau entre-deux-tours, +5 100 voix pour Tepuaraurii Teriitahi et +4 700 voix pour Tuterai Tumahai… Mais dans le même temps, Moetai Brotherson faisait plus que doubler son score (+12 176), quand Steve Chailloux (+12 472) et Tematai Le Gayic (+13 299) triplaient le leurs… Enfin, force est encore une fois de constater que l'emprise des fameux tāvana du Tapura sur leurs électeurs ne cesse de s'effriter. Ce n'est pas encore trop le cas dans les archipels des Marquises, Tuamotu, Gambier et Australes qui ont majoritairement voté rouge. Mais sur les grandes communes de la Société, la plupart des cadres du Tapura ont été -parfois sèchement- mis en minorité sur leurs propres fiefs. C'est bien simple, seules Pirae et Huahine ont voté Tapura. Et à chaque fois par le plus petit des écarts…
 
Pour la suite…
 
Reste maintenant à savoir quels enseignements tirer de ces élections pour la suite et surtout évidemment pour les territoriales de 2023. Le Tavini a déjà lâché quelques pistes samedi soir sur son ambition d'une plateforme plus "ouverte" et plus rassembleuse pour ces prochaines élections. "Ce n'est pas demain qu'on va être indépendants", a même lâché Oscar Temaru au QG du parti dans la soirée. Le Tapura, quant à lui, va devoir faire son examen de conscience et surtout examiner ses options pour redresser la barre dans une élection qui mobilisera a priori bien davantage qu'aux législatives. Reste à savoir si les autres partis, Amuitahira'a et A Here ia Porinetia en tête, camperont sur leurs stratégies de candidatures uniques aux territoriales après cet incalculable scrutin du week-end.
 
Le Tavini aborde en tout état de cause cette dernière ligne droite électorale avec un avantage psychologique certain sur ses adversaires, mais aussi désormais un avantage pécunier. En effet, c'est l'un des aspects à ne pas oublier après cette grande victoire électorale pour le parti bleu ciel. En difficultés financières ces dernières années, le Tavini va retrouver des couleurs avec un carton plein garanti pour son financement. Et ce pendant ces cinq prochaines années…
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 20 Juin 2022 à 16:25 | Lu 3712 fois