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La probité à l’épreuve des liens de proximité au fenua


Sémir Al Wardi, maître de conférences en sciences politiques à l’UPF.
Sémir Al Wardi, maître de conférences en sciences politiques à l’UPF.
Tahiti, le 18 mai 2021 - Le clientélisme politique est lié à la grande proximité entre élus et administrés en Polynésie, a observé mardi le maître de conférences en sciences politiques Sémir Al Wardi, lors d’un exposé présenté à l’UPF au colloque sur l’efficacité des dispositifs de lutte contre les atteintes à la probité.

Dans l’amphithéâtre A3, la journée de lundi a été consacrée à l’analyse technique des dispositions instaurées dans le droit français par deux textes de loi adoptés en 2017 pour lutter contre les atteintes à la probité et la délinquance économique et financière et de leurs limites : la loi sur la confiance dans la vie politique et la loi dite Sapin II sur la modernisation de la vie économique et la lutte contre la corruption. Mardi, à l’Université de Polynésie française, le colloque sur l’efficacité des dispositifs de lutte contre les atteintes à la probité s’est penché sur une lecture socio-culturelle des spécificités polynésiennes susceptibles de conduire à des dérives du pouvoir.
Les autorités judiciaires locales s’intéressent actuellement à 31 dossiers de manquements à la probité. Un portefeuille “important, rapporté au nombre d’habitants du territoire”, observait lundi Thomas Pison, le procureur général près la cour d’appel de Papeete. Des délits majoritairement le fait d’élus, et principalement de maires.

"La population ne comprendrait pas"

Mais pour le maître de conférences en sciences politiques Sémir Al Wardi, cette relative importance s’explique par une particularité enracinée dans la culture politique polynésienne. Un fait sociologique nourri par les importants liens de proximité familiaux et affectifs entre hommes politiques et administrés. Autant de liaisons dangereuses susceptibles de pervertir la morale publique. “Il y a une redistribution qui se fait historiquement dans la société polynésienne”, explique-t-il. “Autrefois, un ari’i qui redistribuait mal perdait sa place. Pouvana’a a Oopa, qui a créé la culture politique tahitienne, a maintenu ce rapport avec la population en recevant, en répondant aux sollicitations. Et cette culture politique s’est perpétuée avec Francis Sanford, avec Gaston Flosse. Aujourd’hui, tous les hommes politiques polynésiens, et pas seulement les tavana, reçoivent des demandes de leurs électeurs. Un homme politique est plutôt vu ici comme un pourvoyeur de services. Il se doit de rendre la vie plus agréable. Cela existe ailleurs, mais le fait est qu’en Polynésie nous sommes sur un petit territoire, avec une petite population. Les liens familiaux ou affectifs sont extrêmement larges. Et on imagine bien que ce rapport de proximité a une influence sur la vie politique et la vie économique."
Pour lui, la conséquence est une propension naturelle au clientélisme, avec pour corolaire “parfois une mauvaise utilisation des deniers publics et des dérapages”. Un phénomène consubstantiel à l’équilibre politique local, pour lequel le maître de conférences en sciences politiques rechigne à utiliser le terme de manquement à la probité. “Ce qui m’intéresse est de montrer que structurellement le clientélisme est bien implanté. Et qu’il est difficile de revenir dessus. Pas du fait de la mauvaise volonté des hommes politiques, mais plus parce que la population ne comprendrait pas qu’il en soit autrement.”

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 18 Mai 2021 à 19:31 | Lu 1615 fois