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La présence de chats harets est supposée, sera-t-elle confirmée ?


Chat haret - Crédit : Thibaut Vergoz  IMBE-IRD
Chat haret - Crédit : Thibaut Vergoz IMBE-IRD
PAPEETE, le 8 juin 2018 - Le chat domestique est classé dans le top 100 des pires espèces invasives au monde. Cette espèce est introduite généralement de manière volontaire. Des populations indépendantes de l’homme au plan alimentaire se sont établies. Ces chats redevenus sauvages, dits harets, jouent souvent le rôle de super-prédateurs au sein des écosystèmes insulaires. Ils se régalent, notamment, d’oiseaux mais aussi de reptiles dont certains sont menacés. Leur présence est supposée sur des sites de Tahiti et Moorea. Pauline Palmas est sur leurs traces.

"On va voir Estelle ?", lance Pauline Palmas à l’attention de Jean-Yves Meyer. Estelle, c’est le nom donné à un appareil photos attaché au pied d’un arbre sur le mont Marau. Il se déclenche en cas de mouvement devant l’objectif et est capable de prendre des clichés de jour comme de nuit.

Pauline Palmas est docteur en Biologie des Populations et Ecologie. Elle effectue son post-doctorat en Polynésie avec une mission intitulée : Etude de l’écologie et des impacts du chat haret, espèce invasive, sur la biodiversité des îles. Jean-Yves Meyer est le délégué à la recherche, il apporte son soutien dans ce projet lancé en mars 2018 et co-financé par la Délégation à la recherche de la Polynésie française. "Ma mission" précise enfin Pauline Palmas "est un travail mené par des unités mixtes de recherche, l’IMBE-IRD et l’EIO-UPF".

La Polynésie française, un hotspot de biodiversité

Mais pourquoi s’intéresser aux chats harets ? Parce que : "les îles de Polynésie française sont inclues dans un des 36 hotspots mondiaux de biodiversité et abritent une biodiversité unique, notamment au niveau de son avifaune avec une majorité d’espèces endémiques". Or, cette biodiversité est menacée (perte d’habitat, pollution, prélèvements, le réchauffement climatique, espèces invasives).

Les chats harets sont des chats redevenus sauvages. Le chat domestique (Felis silvestris catus) est classé parmi les 100 pires espèces invasives dans le monde. Cette espèce est largement introduite de par le monde, généralement de manière volontaire, et a ainsi établi de nombreuses populations férales.

Le chat, un super-prédateur

Une espèce férale est une espèce qui s’échappe d’un espace où elle était cantonnée, pour s’établir dans un autre espace où elle prolifère. Les populations de chats harets, indépendantes de l’homme sur le plan trophique, jouent souvent le rôle de super-prédateurs au sein des écosystèmes insulaires. Ils consomment des oiseaux, des reptiles.

Le chat est au moins en partie responsable de 26% des extinctions modernes de vertébrés (oiseaux, mammifères et reptiles). Aujourd’hui, dans les îles du monde le chat haret consomme au moins 65 espèces menacées (classées vulnérables, en danger et en danger critique d’extinction dans la liste rouge UICN).

Ce chiffre était arrêté à 45 avant que Pauline Palmas et son équipe s’installent en Nouvelle-Calédonie. Après avoir mené une étude comme celle qu’elle mène en Polynésie française, l’équipe de scientifiques affirmé que le chat haret consommait non pas 45 mais 65 espèces menacées (oiseaux, lézards, chauves-souris). À chaque nouvelle étude dans une île, la liste des espèces menacées consommées fait un bond.

Pauline Palmas est en Polynésie car la présence de chats harets est supposée. "À Tahiti et à Moorea on trouve des fèces, c’est-à-dire des crottes de chat haret, ce qui est un indice de présence indéniable", affirme-t-elle. "Je dois désormais acquérir des éléments de connaissances sur la distribution et les abondances des populations de chats harets sur différentes îles."

Appâtés au saumon

Pour ce faire elle utilise des pièges photographiques ou caméra comme Estelle. Au total, elle dispose de 20 appareils qu’elle installe à la base des arbres, à l’abri des regards indiscrets. Elle asperge la zone alentour d’huile de saumon concentrée pour attirer les chats puis, après 15 jours, elle récupère les données.

Elle a posé une première série de caméras, fin mai sur le mont Marau, et est allée les récupérer mercredi matin. En fin de journée elle annonçait : "A priori il n’y a pas de chats sur la zone, mais il faut le vérifier sur un plus grand écran que celui de l’appareil. Néanmoins il y a pas mal de rats". Cette semaine, elle placera ses caméras à Moorea, puis dans les semaines à venir aux Marquises, dans deux îles des Marquises.

Choix des sites d'échantillonnage

Les sites d’échantillonnage ont été identifiés via le croisement de différents critères, à savoir : la présence d’espèces natives (oiseaux) menacées d’extinction ou à fort enjeu de conservation, des situations contrastées tant du point de vue géographique qu’écologique ou d’invasion (différentes espèces de rongeurs introduits : rat du Pacifique Rattus exulans, rat noir Rattus rattus, rat surmulot Rattus norvegicus, souris Mus musculus) et l’absence de gestion opérationnelle des populations de chats harets ou de rongeurs introduits.

En plus d’acquérir des éléments de connaissance sur la distribution et l’abondance, Pauline Palmas devra : "déterminer le régime alimentaire des chats harets sur les sites sélectionnés à différentes saisons contrastées de façon à identifier les groupes de proies les plus impactés".

Ce sont les fèces de chats qui révèlent ces précieuses informations, par les plumes écailles griffes de proies que l’on peut trouver à l’intérieur une fois de retour au laboratoire. Pour cela, elle est aidée d’une collègue basée en France. Actuellement, Hélène de Méringo, Ingénieure d’étude CNRS l’accompagne pour sillonner pistes et chemins à la recherche de crottes de chats et participera à l’analyse des échantillons une fois de retour au laboratoire.

Enfin, en croisant les résultats obtenus, "on pourra caractériser et évaluer plus précisément la menace des chats harets sur différentes composantes de la biodiversité, notamment la biodiversité indigène".


Rédigé par Delphine Barrais le Vendredi 8 Juin 2018 à 10:19 | Lu 12019 fois