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La politique de “l'ordre resserré”


Tahiti, le 10 novembre 2021 – Ferme face à la démission de Nicole Bouteau qui n'a pas su “dépasser les divergences personnelles”, clément face à Tearii Alpha qu'il “ne peut décemment exclure du gouvernement”, le président Édouard Fritch a présenté mercredi son nouveau gouvernement en “ordre resserré” –au moins jusqu'au vote du budget– et assumé des choix strictement politiques : “J'aime mieux être franc avec vous. Le parti politique travaille pour faire des voix”.
 
Entouré de l'ensemble de ses ministres, à l'exception d'une Nicole Bouteau démissionnaire et d'un Jacques Raynal “au repos” quelques jours après la crise Covid, le président du Pays Édouard Fritch a présenté mercredi en fin de matinée à la présidence son “remaniement” ministériel a minima.
 
Alpha in
 
Une semaine après avoir démis Tearii Alpha de ses fonctions de vice-président, Édouard Fritch a répété ses explications déjà affirmées par communiqué : “En ne se soumettant pas à l'obligation vaccinale qu'il a lui-même soutenu lors des conseils des ministres, il créé un trouble manifeste qui n'est pas compatible avec ces fonctions importantes de numéro deux de l'exécutif”. Debout derrière son président, l'intéressé n'a pas cillé. “C'est un ministre compétent et qui connaît très bien son secteur. C'est aussi un compagnon de route politique”, a néanmoins précisé le président du Pays pour justifier le maintien du maire de Teva i Uta dans son gouvernement au poste de ministre. “Je vous confirme aujourd'hui, il reste dans l'équipe.” Un bémol néanmoins, Édouard Fritch entend toujours voir son ministre se conformer à l'obligation vaccinale lorsque la loi sera effective le 23 décembre prochain. “J'aviserai à l'issue de ce délai, mais j'espère simplement que mon ami, Monsieur Alpha, profitera de ce délai pour se conformer à cette obligation à laquelle j'apporte une très grande importance pour les ministres et ceux qui sont auprès de moi.”
 
Restait donc à trouver un vice-président. Et c'est finalement Jean-Christophe Bouissou qui a hérité de la charge. Décision motivée, selon Édouard Fritch, par les “qualités humaines”, la “grande capacité de travail” et le “sens du devoir” de l'intéressé. “Jean-Christophe est un compagnon de longue date. Nous nous connaissons bien. J'apprécie sa franchise et sa grande loyauté. Il a donc toute ma confiance. J'ai eu l'occasion de l'observer, de mesurer son implication, sa bonne maîtrise des dossiers, des bons résultats obtenus ces cinq dernières années.” Un “choix naturel et logique” a défendu Édouard Fritch, balayant d'un revers de main la question des nombreuses affaires politico-judiciaires, actuelle et passées, de son nouveau vice-président. Déjà condamné définitivement à deux reprises pour des atteintes à la probité dans l'exercice de ses fonctions ministérielles, Jean-Christophe Bouissou est encore mis en examen pour trafic d'influence dans l'affaire Ravel-Le Gayic. “Je n'ai pas fouillé dans les casiers judiciaires des uns et des autres”, s'est défendu Édouard Fritch. Il semble loin le temps où le même président nouvellement élu “surprenait” en “insistant sur l'exigence de rigueur et de probité” dans ses vœux aux chefs de service.
 
Bouteau out
 
Nicole Bouteau en revanche n'aura pas droit à la même clémence que Tearii Alpha. “Madame Bouteau aurait souhaité que j'exclue complètement Tearii Alpha du gouvernement. Je ne peux pas décemment l'exclure du gouvernement”, a expliqué Édouard Fritch. “Je n'ai pas d'autre choix que d'accepter sa décision. (…) Je le regrette.” Le président a visiblement peu apprécié les propos très tranchés de sa ministre, lors de sa conférence de presse destinée à expliquer les raisons de sa démission lundi dernier. “J'ai pensé que tout ce travail réalisé jusqu'à aujourd'hui, toute cette implication auprès des professionnels du tourisme (…) méritait de dépasser les divergences personnelles”, a sobrement taclé le président du Pays. Aucun nouveau ministre n'a été nommé. Les portefeuilles de Nicole Bouteau ont été répartis entre Yvonnick Raffin pour le Tourisme, Christelle Lehartel pour le Travail et René Temeharo pour les Relations avec les institutions.
 
“Je ne nomme pas de nouveau ministre aujourd'hui”, a expliqué Édouard Fritch, “le gouvernement franchira le vote du budget en ordre resserré." Le président du Pays a néanmoins évoqué un remaniement après l'échéance budgétaire des prochaines semaines. “La décision que je viens de prendre est une décision rapide”, s'est-il justifié, attaché visiblement à faire passer cette crise gouvernementale comme une simple “péripétie”. “Les dissensions sont inévitables”, a conclu, philosophe, le président du Pays.
 
Realpolitik
 
Mais le passage le plus intéressant de l'allocution de mercredi s'est joué sans aucun doute dans l'une des dernières réponses du président du Pays et du Tapura huiraatira, à la question de savoir s'il comptait, au nom du parti, “sanctionner” Tearii Alpha et Gaston Tong Sang pour leur refus de la vaccination âprement défendue par sa majorité. “Je vais être franc avec vous. Le parti ne raisonne pas de la même façon que nous au gouvernement, que vous”, a lâché Édouard Fritch, en expliquant au passage, en toute transparence, ses derniers choix politiques par de froids calculs électoraux. “Le parti se prépare à gagner aux élections. Les raisonnements ne sont pas du tout les mêmes.”
 
Rappelant que l'éventualité d'une sanction contre les deux élus et maires de Teva i Uta et Bora Bora n'avait jamais été évoquée lors du dernier conseil politique du Tapura à la mairie de Pirae, Édouard Fritch n'a pour le coup pas joué la langue de bois : “Pour le parti, l'essentiel c'est de faire des voix. On est dans une machine politique, je ne vais pas vous dire le contraire. J'aime mieux être franc avec vous. Le parti politique travaille pour faire des voix. Vous voulez virer un maire ? Vous voulez virer un président du parti aux îles Sous-le-Vent comme Gaston Tong Sang ? Je vous assure que ce n'est pas une simple affaire.” Conclusion et concession toute aussi cash : “Ma responsabilité, c'est de me positionner en fonction de mes convictions. Je vais en parler à mon parti, bien sûr. Mais je vous assure que ce n'est pas évident que mon parti pense comme moi sur ce sujet ou pense comme vous.”
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 11 Novembre 2021 à 15:12 | Lu 2788 fois