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La pêche française chamboulée par le climat


PARIS, 5 avril 2014 (AFP) - Face au réchauffement climatique, déjà perceptible sur les côtes françaises, certaines pêcheries aujourd'hui gagnantes risquent de perdre demain en variétés et en disponibilité, selon les experts.

Au large de la Normandie ou dans le Golfe de Gascogne, les patrons pêcheurs ont déjà noté les changements, la présence de nouveaux venus comme le rouget-barbet en Manche depuis une dizaine d'années, d'autres plus ponctuels comme les hippocampes à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).

Des constats qui illustrent les conclusions du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC, mandaté par l'ONU): dans son dernier rapport publié cette semaine, il prévient que les effets du réchauffement devraient aller crescendo dans les prochaines décennies, affectant en priorité les eaux tropicales et polaires sans épargner les plus tempérées.

Si l'atmosphère se réchauffe (+1,5°C en France en un siècle) les océans suivent. Les masses marines européennes ont déjà gagné un degré en 30 ans, souligne Sandrine Vaz chercheuse à l'Ifremer, spécialiste des Ressources halieutiques.

En conséquence, explique Jean-François Soussana, chercheur à l'INRA et co-auteur du GIEC, "on assiste à un changement de distribution des aires de répartition des poissons, les espèces remontent à des latitudes plus élevées".

C'est vrai, confirme Hubert Carré, directeur général du Comité national des pêches, "depuis dix ans, les pêcheurs constatent une migration des poissons (...) cela bouleverse les équilibres".

Ainsi, il faut désormais pousser jusqu'à 200 km des côtes pour trouver du thon blanc, qui nageait auparavant à seulement 50 km du littoral, assure M. Carré. A l'inverse "on trouve aujourd'hui du rouget barbet à Boulogne-sur-Mer", explique-t-il, alors que ce poisson se pêchait traditionnellement dans le golfe de Gascogne et en Bretagne-Sud. Ce que confirme Mme Vaz.

Même chose pour le bar qui, remonté le long du Golfe de Gascogne, "va maintenant au-delà de Cherbourg", poursuit-il. Quant au cabillaud, poisson d'eau froide chouchou des consommateurs français, on remarque "une remontée très nette vers la Norvège".

Vu ainsi, comme l'arrivée du maigre, un poisson "à forte valeur marchande" péché auparavant au large de l'Afrique, ces déplacements constituent une bonne nouvelle, estime M. Carré. Comme la prolifération de crabes et de homards, en "augmentation de 20% depuis 4 à 5 ans".

- REDUCTION DE LA TAILLE DES POISSONS -

Selon le Giec, les pays tempérés verraient dans un premier temps les rendements des pêcheries augmenter de 30 à 70% d'ici à 2055 quand celles des pays tropicaux chuteraient de 40%. "Pour le moment on ne voit pas encore vraiment de perdants et on a même des gagnants", reprend Sandrine Vaz. "En revanche si on extrapole sur ces tendances, va se poser la question des limites des déplacements notamment au sud".

Pour le moment, on voit davantage de poissons au nord et des stocks qui se dégradent progressivement plus au sud. Ainsi le centre de gravité de la morue ou du hareng se déplace vers le nord: "mais jusqu'où où vont ils pouvoir monter?" demande la chercheuse.

Et ceux du pôle? où iront-ils? "L'inquiétude est maximale pour les zones polaires", rappelle-t-elle, celles où le réchauffement sera le plus marqué.

"Le risque principal du réchauffement pour les pêcheries est la fragilisation de la plupart d'entre elles du fait de la surexploitation des ressources", juge Mme Vaz. "Des changements environnementaux auraient pu être encaissés sur des populations (de poissons, NDLR) en bon état, mais quand on additionne, on a des situations de grande fragilité".

Au plan commercial, la valeur des nouvelles espèces reste difficile à évaluer, souligne aussi Jean-François Soussana. D'autant qu'on assiste simultanément à une "réduction de la taille des poissons" liée au réchauffement autant qu'à la surpêche. Et les pêcheurs français sauront-ils, pour les plus artisanaux, s'adapter aux nouvelles espèces: "si des gambas arrivaient, les bateaux ne seraient pas forcément équipés", juge José Jouneau, président du Comité des pêches des Pays de Loire.

Enfin, le pêcheur note que déjà "le comportement de l'océan change. Il y a des houles qu'on ne voyait pas avant, plus importantes", ou des phénomènes à répétition comme les tempêtes cet hiver.

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Rédigé par () le Vendredi 4 Avril 2014 à 21:08 | Lu 245 fois