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La fiscalité communale risque de créer des tensions entre "grands et petits"


Les maires des communes de Polynésie étaient invités vendredi à la Présidence du Pays pour une journée d'échanges et d'ateliers avec le Pays.
Les maires des communes de Polynésie étaient invités vendredi à la Présidence du Pays pour une journée d'échanges et d'ateliers avec le Pays.
PAPEETE, le 20 septembre 2015.Il n'existe pas -ou peu- pour l'instant en Polynésie française de taxes communales, car la levée d'impôt est une compétence du Pays. Toutefois, certaines communes se verraient bien gérer des taxes pour leurs besoins propres. Attention toutefois aux déséquilibres.

"C'est une matière complexe qui nécessite une vraie concertation de tous les acteurs et qu'il faut aborder sous deux angles. D'abord, la détermination du pourtour de la future fiscalité communale en prenant compte de l'impact sur le FIP (fonds intercommunal de péréquation) et le budget du Pays. Il y a là, forcément, une discussion à avoir. La deuxième approche est l'optimisation de la fiscalité existante via, par exemple la fiabilisation de l'adressage". Dans son discours aux communes, vendredi dernier sous le chapiteau de la présidence de la Polynésie, Edouard Fritch a été pragmatique. Il s'est d'ailleurs exprimé longuement en tahitien pour être certain que les tavana des archipels comprennent bien la démarche exposée. Actuellement par exemple, le Pays verse 3 milliards de Fcfp aux communes via le FIP récoltés à travers les impôts fonciers, un impôt bien recouvré (à 95%). Mais faute d'un cadastre très précis, certains propriétaires fonciers ne paieraient pas actuellement cette taxe. "Avec les communes on pourrait plus facilement arriver à rectifier des déclarations fiscales qui semblent injustes".

L'approche la plus évidente, pour bâtir une fiscalité communale en Polynésie serait de la faire reposer sur l'impôt foncier. Les recettes de l'impôt foncier reviennent, actuellement, pour les deux tiers au Pays et pour un tiers aux communes. Mais pour l'instant cet impôt foncier n'existe pas aux Tuamotu, aux Australes et aux Marquises. Dans ces îles, les contraintes de l'indivision sont telles que prélever un impôt sur des terres dont on ne connait pas tous les propriétaires est impossible. "Si cette fiscalité communale s'appuie uniquement sur le foncier, des communes comme Papeete vont recouvrer cet impôt et disposer d'une manne financière importante, pendant que d'autres n'auront rien. Pour l'instant, les taxes foncières sont redistribuées, via le FIP, à l'ensemble des communes et bénéficient à tout le monde. Il faudra donc trouver un nouveau système de répartition pour que "la solidarité continue d'exister entre grandes communes et petites communes" détaille Edouard Fritch.

CREER DE NOUVEAUX IMPOTS ?


L'autre possibilité est de créer desimpôts nouveaux. "Une loi du Pays sera votée pour laisser aux communes la possibilité de créer des impôts. Certaines, comme Teva i Uta ou Hitia'a O Te Ra qui hébergent des installations hydrauliques vont pouvoir créer un impôt sur l'eau qui alimente ces ouvrages" poursuit Edouard Fritch, qui pointe néanmoins le fait que le prix de l'électricité pourrait augmenter pour compenser cette nouvelle taxe. D'autres réflexions sont en cours : la commune de Moorea qui voit sa population augmenter durant le week-end pourrait envisager de créer une taxe prélevée directement sur le prix du billet de bateau pour les non résidents de l'île sœur ; à Arue le pompage d'une eau de source mise en bouteille sur la commune pourrait là aussi être l'opportunité d'un impôt communal propre à cette ville. Après tout, des communes touristiques comme Bora Bora ou Rangiroa ont déjà été autorisées, par le passé, à prélever un impôt "touristique" via la taxe de séjour.

Ce sont pour l'instant que des pistes de travail et rien n'est définitivement tranché. Car pour le président du Pays il ne suffira pas de faire plaisir à quelques grosses communes qui ont les moyens d'établir une base fiscale chez elles. "Le plus gros problème de la mise en place de cette fiscalité communale c'est la disparité de nos communes. Certaines n'ont rien à taxer. J'attire donc l'attention sur les déséquilibres possibles" indique le président du Pays. Car même si le Fonds intercommunal de péréquation est parfois accusé d'être une cote mal taillée, les critères d'attribution aux communes ont été revus récemment et semblent, pour l'heure, convenir aux tavana. Pas question donc de faire s'écrouler tout un système sans grande prudence. "Je vais y aller mollo" reconnaissait Edouard Fritch qui veut être sûr de pouvoir gagner la confiance des grands maires sans perdre la reconnaissance des tavana des îles.



Ernest Teagai, maire de Tatakoto.
Ernest Teagai, maire de Tatakoto.
Ernest Teagai, maire de Tatakoto : "créer un impôt ? Impossible chez moi"

Etre tavana de Tatakoto, un atoll situé à 1200 km de Papeete n'est pas une chose facile. Ernest Teagai en est à son 2e mandat de maire, et il fait au mieux pour ses 301 habitants. De nouvelles obligations sont venues alourdir récemment les devoirs des municipalités mais les moyens financiers et humains ne sont pas à la hauteur. "Je vais dire la vérité, nous les tavana des Tuamotu on n'a pas les moyens" explique Ernest Teagai qui est aussi le président du syndicat qui rassemble les 17 communes des Tuamotu/Gambier. "On est obligé d'aller frapper à la porte de l'Etat et du Pays".

A propos d'une fiscalité communale qui pourrait être créée en Polynésie française, Ernest Teagai est catégorique "je n'ai pas l'utilité de cela" affirme-t-il "ce n'est pas possible, carrément pour nous dans les Tuamotu. On ne peut pas".

A Tatakoto, la population a déjà du mal à payer les redevances sur l'électricité et sur l'eau. Au sujet de l'eau, par exemple, alors que la commune a financé une usine de dessalement de l'eau de mer par osmoseur, ouverte depuis 2012, il est impossible pour l'heure de faire payer les 6 francs/litre du prix de la redevance. "De toute manière on ne peut pas faire payer car on n'a pas eu encore la conformité de la potabilité de l'eau par le service d'hygiène" rapporte Ernest Teagai. Pourtant, l'entretien de l'osmoseur coûte, chaque année, au moins un million de Fcfp à la commune dont le budget de 92 millions de Fcfp est millimétré.

Rédigé par Mireille Loubet le Dimanche 20 Septembre 2015 à 22:27 | Lu 1567 fois