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La culture, puissant levier de réinsertion


Cinq jeunes ont suivi divers ateliers culturels au centre Arioi à Papara du 3 juillet au 3 août.
Cinq jeunes ont suivi divers ateliers culturels au centre Arioi à Papara du 3 juillet au 3 août.
TAHITI, le 6 août 2023 - Le centre Arioi a organisé un Heiva pas comme les autres tout au long de ce mois de juillet. Son équipe d’animateurs a accueilli cinq jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse et leurs éducateurs. Une expérience fructueuse qui devrait se pérenniser.

À partir du moment où les jeunes se projettent, c’est gagné !”, affirme Pascaline Teriipaia. Elle est éducatrice pour la Protection judiciaire de la jeunesse, au sein de la Mission d’insertion scolaire et professionnelle. Elle vient de passer un mois avec Stéphane Colombani lui aussi éducateur au centre Arioi de Papara. Les animateurs de ce centre et éducateurs ont accompagné cinq jeunes de 15 à 18 ans, placés entre les mains de la justice après avoir commis des délits. Au programme : chant, danse, musique, mais aussi cuisine, légendes, histoire. La culture a servi de fil conducteur. Le résultat est sans appel : tous ont une porte de sortie. Les cinq jeunes ont des projets.

"Ça t’apporte de la joie de vivre"

Hotu.C* [*Les prénoms ont été changés, NDLR] a 17 ans et demi. Elle ne veut pas parler de l’école qu’elle a quittée depuis des mois. “C’est catastrophique.” Elle pratique la boxe depuis son plus jeune âge. “C’est mon père qui m’a mise dedans, mais finalement je le remercie. Ça m’a servi !” Elle fait aussi de la musculation, du muay-thaï et du combat de rue. Au centre, elle a découvert sa culture, les arts, les légendes. Elle a eu un coup de cœur pour la danse et s’est mis en tête d’entrer dans la Marine. “Le plus vite possible, pour partir.” Le mois passé au centre lui a été bénéfique à plusieurs niveaux : “Quand ça ne va pas là où tu es, à la maison ou au foyer et que tu viens là, c’est tout de suite mieux. Ça t’apporte de la joie de vivre.” Elle sourit. “Ça m’a apporté du bien-être.”

Pascaline Teriipaia et Stéphane Colombani, éducateurs au sein de Mission d’insertion scolaire et professionnelle de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Pascaline Teriipaia et Stéphane Colombani, éducateurs au sein de Mission d’insertion scolaire et professionnelle de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Uranui*, lui, a 17 ans. Il vient des îles. Il a apprécié la percussion, le ‘ukulele, la danse qu’il connaissait déjà pour l’avoir pratiquée plus jeune. Mais ce qui l’a surtout séduit, c’est la cuisine. Il a suivi un CAP agricole qu’il n’a jamais terminé “à cause de problèmes personnels”. Il reprendra un CAP en cuisine. “J’aimerais travailler dans un restaurant, ou bien un hôtel. Et même un 5 étoiles, c’est possible ?” ose-t-il rêver.

Après un mois, les résultats sont évidents en termes de confiance, d’estime de soi”, constate Pascaline Teriipaia. “Les comportements ne sont plus du tout les mêmes. Les jeunes ont trouvé un cadre, des repères, des codes indispensables au vivre ensemble qu’ils n’ont, pour certains, jamais eu chez eux.

"On se sent utile"

Le centre Arioi a mobilisé toute son équipe, au total, une douzaine de prestataires sont intervenus.
Le centre Arioi a mobilisé toute son équipe, au total, une douzaine de prestataires sont intervenus.
Hinatea Colombani, fondatrice et responsable du centre Arioi le constate : “En arrivant, les jeunes ne disent pas bonjour. Ils te regardent, les bras croisés en guise de protection. D’autres gardent la tête baissée. Aujourd’hui, ils nous font confiance. Ils sont plus détendus. Bien sûr, il a fallu des recadrages pour parvenir à ce résultat. Mais, on se sent vraiment utile.” “On”, ce sont les adultes, les éducateurs et surtout la douzaine d’intervenants qui ont œuvré main dans la main.

Le programme a été imaginé avec le centre Arioi car, “même s’il faut une vie pour apprendre sa culture, nous avons pu transmettre des bribes et des envies d’en savoir plus”, indique Pascaline Teriipaia. C’est un socle, une porte d’entrée pour agir auprès d’un jeune public déboussolé, sans envie, ni motivation, sans avenir selon eux. Les cinq semaines se sont achevées sur un spectacle présenté le vendredi 4 août aux familles, aux éducateurs et animateurs ainsi qu’au personnel de la PJJ et à des officiels.

Le centre Arioi n’en est pas à son premier partenariat avec la Protection judiciaire de la jeunesse. La formule d’accompagnement sur cinq semaines, baptisée cette fois-ci Heiva, consolide, s’il fallait, le lien existant. Et d’autres projets sont d’ores et déjà envisagés. “On est là pour ça, c’est dans notre ADN que d’aider. Alors go !”, s’enthousiasme Hinatea Colombani.

30 à 70 jeunes suivis chaque année

Annuellement, la Mission d’insertion scolaire et professionnelle de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) suit 30 à 70 jeunes de 13 à 18 ans (21 ans dans certains cas), de niveaux et d’adaptation hétérogènes, filles et garçons. Suite à une décision judiciaire, le jeune est orienté vers cette cellule. Un bilan sur tous les aspects d’insertion (scolaire, professionnel, relationnel…) est réalisé. À partir des attendus de la décision judiciaire, de ses potentialités, ses envies et désirs, un parcours mettant en œuvre un projet individualisé va être coconstruit entre le jeune, les dépositaires de l’autorité parentale ou référents parentaux et l’équipe éducative de la MISP. Un accompagnement personnalisé est mis en place. Son objectif est de faire “sauter les freins” à l’insertion, de donner aux jeunes des ressources pour une socialisation satisfaisante. Les ateliers permettent d’acquérir des compétences psycho-sociales, favorisant ainsi l’adaptabilité des jeunes aux différents lieux de socialisation qu’ils peuvent rencontrer (école, centre de formation, travail, les institutions…) et dont ils doivent avoir intériorisé les règles de vie, de fonctionnement, de bienséance, de respect, de posture… Le but est de donner aux jeunes un rythme de vie régulier, un emploi du temps personnalisé qui lui permette de se projeter et d’anticiper.



Rédigé par Delphine Barrais le Dimanche 6 Août 2023 à 09:06 | Lu 1316 fois