Tahiti Infos

La croisière entre deux eaux


(Grégory Boissy/Tahiti Infos)
(Grégory Boissy/Tahiti Infos)
Tahiti, le 2 juin 2020 – Si le secteur de l’hôtellerie rencontre d'importantes difficultés, celui de la croisière, qui draine également des milliers de visiteurs chaque année, est également dans l'expectative. De nombreuses croisières prévues dans les eaux polynésiennes ont d'ores et déjà été annulées, alors que plusieurs compagnies restent toujours en attente d’une éventuelle reprise en août.
 
La Polynésie avait accueilli, en 2019, quelques 45 000 touristes pour des croisières intra-polynésiennes. Un chiffre significatif qui n'avait cessé de croitre depuis une décennie, pour finalement retrouver le niveau qui avait été le sien avant la crise financière de 2008. Le nombre de croisiéristes avait alors été divisé par deux en deux ans. L'apport des paquebots doit également s'apprécier au nombre d'excursionnistes. Pour l'ISPF, il s'agit des passagers qui, lors d'une traversée océanique ou de croisières dans le Pacifique Sud, font également quelques escales en Polynésie. Non comptabilisés comme touristes, mais comme visiteurs, ils étaient environ 62 800 l'année dernière. Près de 110 000 passagers maritimes ont ainsi posé le pied sur les rives polynésiennes en 2019. Un chiffre qui sera bien inférieur cette année, du fait de la crise sanitaire.
 
Une activité en déficit d'image
 
Les images du Diamond Princess, bloqué avec quelques 700 passagers contaminés à son bord et 13 décès recensés, ont fait le tour du monde. Par la suite, d'autres cas d'infections sur des paquebots ont pu faire passer ceux-ci et ce mode de vacances, privilégié majoritairement par des personnes âgées et donc à risque, pour des vecteurs de propagation virale flottants. Au total, près de 2 800 cas de coronavirus seront recensés parmi les passagers et les équipages de 33 navires affiliés à Cruise Lines International Association, la principale fédération. Auparavant, l'activité avait subi quelques controverses sur le niveau de pollution dégagée, notamment en oxyde de soufre et particules, mais également par une forme de saturation des capacités d'accueil à terre. Un phénomène qui avait obligé le maire de Bora Bora, Gaston Tong Sang, à souhaiter, en janvier dernier, une limitation à 1 000 passagers par jour sur la Perle du Pacifique à compter de 2022. Il n'est pas sûr, compte tenu de la situation touristique actuelle de l'ile, que cette dernière puisse s'offrir le luxe de refouler des paquebots, quelle que soit leur taille. Néanmoins, le vœu de l'édile risque d'être exaucé plus tôt que prévu. Si plusieurs compagnies ont préféré suspendre leur activité pour les deux mois à venir, des annulations de croisières et d'escales en Polynésie ont d'ores et déjà été confirmées. Les armateurs ont par contre traité différemment leurs passagers par rapport aux compagnies aériennes.
 
Avoirs plus généreux que dans l'aérien
 
Depuis plusieurs semaines, les compagnies maritimes soit annulent des croisières, soit sabordent des saisons entières et sont également amenées à abandonner temporairement des destinations, dans l'attente d'une évolution favorable de la situation sanitaire. Ces annulations massives ne touchent pas que la Polynésie, mais bien tous les continents. Faisant face à des éventuels remboursements et à une possible crise de défiance, les compagnies ont mis en place le Future Cruise Credit, une sorte d'avoir bonifié. Si votre croisière est annulée, elles vous offrent un avoir représentant entre 125 et 150% de la valeur du billet à utiliser avant décembre 2022. À ce montant déjà majoré, certaines compagnies proposent également plusieurs centaines de dollars à valoir sur vos consommations à bord. Des dispositifs qui visent donc à rassurer une clientèle plutôt fidèle et à conserver de la trésorerie pendant près de deux ans, en attendant que le secteur se remette à flots. Selon Bud Gilroy, président du Tahiti Cruise Club, ces avoirs permettent à la clientèle « de maintenir ou d'envisager leurs réservations en toute sérénité », en cas d'annulation les passagers « pourront bénéficier de conditions avantageuses pour les croisières suivantes ». Positif, il note que le taux d'annulation dans le secteur de la croisière est « bien inférieur à l'ensemble de l'industrie touristique mondiale » et il constate « une reprise des réservations surprenante par sa vigueur ». Les croisiéristes perdus en 2020 pourraient donc facilement venir en 2021 ou 2022.
 
Vagues d'annulations
 
La compagnie Princess Cruises a déjà annoncé par deux communiqués du 7 et 22 mai l'arrêt de son activité polynésienne jusqu'à la fin d'une année déjà mal entamée avec le non-accostage en Polynésie du Ruby et du Golden Princess en avril. Le Sea Princess (1 950 passagers) et le Sun Princess (2 000 passagers) ne feront pas escale en août et septembre prochain. Le Pacific Princess (800 passagers) n'écumera pas non plus les eaux polynésiennes, alors qu'il devait enchainer plusieurs croisières au cours du dernier trimestre 2020. Ces navires devaient notamment toucher Tahiti, Moorea, Raiatea et Huahine. La croisière trans-Pacifique du Carnival Spirit (2 700 passager) prévue début octobre étant annulée, les escales prévues à Tahiti, Moorea et Bora Bora ne seront pas assurées.
 
Suspension au moins jusqu'en août
 
Plusieurs autres transporteurs maritimes préfèrent décider en fonction de l'évolution de la situation. Une faible visibilité qui conduit donc les compagnies a annoncé, au fil de l'eau, l'annulation ou la relance éventuelle de leur activité. Les imposants navires de Royal Carribean -  Serenade of the Seas (2 500 passagers), Celebrity Solstice (3 150 passagers) et Ovation of the Seas (4 900 passagers) - ont ainsi encore une chance, certes faible, d'opérer en Polynésie. La compagnie a « pour objectif un redémarrage au 1er août prochain » après avoir déjà annulé les passagers en Polynésie du Radiance of the Seas en avril dernier. C'est le cas également de Norwegian Cruise Line qui a indiqué le 20 mai dernier que « les opérations étaient suspendues jusqu'au 31 juillet » alors que le Norwegian Jewel doit venir en octobre prochain, notamment à Nuku Hiva. Idem pour la Holland America Line dont les navires Zaandam (1 430 passagers) et Maasdam (1 250 passagers) doivent arriver en Polynésie en fin d'année et sur lesquels l'incertitude demeure encore.
 
Reprise prévue pour le Wind Spirit et le Gauguin
 
Deux navires, le Hanseatic et l'Europa 2, devaient croiser dans les eaux polynésiennes à cette même période. La compagnie Hapag Lloyd les a ramenés, comme le reste de sa flotte, au port d'attache à Hambourg et ce jusqu'à nouvel ordre. Une inconnue supplémentaire, alors que quelques lueurs d'espoir sont perceptibles. WindStar a annoncé la remise en exploitation du Wind Spirit (148 passagers) à compter du 3 septembre prochain. Grand habitué du Port de Papeete et tête de proue de la croisière polynésienne, le Paul Gauguin devrait, selon Bud Gilroy, reprendre au mois de juillet (NDLR : La compagnie Ponant qui arme le Gauguin n'était pas aussi affirmative lundi matin). Des redémarrages qui ne devraient cependant pas empêcher le secteur de perdre au moins les deux tiers de son activité et de son apport à l'économie en 2020. En espérant qu'il ne descende pas sous la ligne de flottaison.

Bud Gilroy, Président du Tahiti Cruise Club : « le flux croisière sera au rendez-vous de la reprise, quel qu'en soit le scénario pour la Polynésie française »

Plusieurs compagnies ont annoncé des annulations touchant la Polynésie jusqu'à la fin de l'année, d'autres ont prolongé la suspension de leur activité jusqu'au 1er août, le Wind Spirit a annoncé une reprise en septembre prochain. Est-il possible d'avoir un état de l'activité croisière dans les eaux polynésiennes pour cette année ?

« La situation est encore incertaine, puisque pour plusieurs compagnies internationales, la visibilité sur les itinéraires, en fonction des ouvertures des frontières de différentes destinations, n'est pas assurée. Cependant, les principales compagnies qui opèrent en têtes de ligne sur la Polynésie ont confirmé la reprise de leurs activités, l'Aranui et le Paul Gauguin en juillet, Wind Spirit en Septembre, et nous estimons réaliste que Ponant puisse programmer également des têtes de lignes sur les 3e et 4e trimestre au départ de Papeete. D'autres échanges se poursuivent avec les autres compagnies sur la révision, le maintien, voire le renforcement de leurs itinéraires initiaux pour la fin de l'année et le début de l'année suivante. Globalement, le flux croisière sera au rendez-vous de la reprise, quel qu'en soit le scénario pour la Polynésie française. »

Le monde de la croisière peut-il souffrir de l'image des infections du Diamond Princess et d'autres paquebots qui peuvent les faire paraitre comme nid d'infections et quelles actions peuvent être menées pour rassurer les clients ?

« Effectivement, l'exposition médiatique de ces cas a altéré encore la perception de l'industrie de la croisière. La première chose à faire, c'est de rétablir les faits. Sur 340 paquebots océaniques en activité, moins d'une dizaine ont connu des cas avérés, et à part deux d'entre eux, les autres cas n'ont pas été exponentiels et n'ont pas causé des clusters spécifiques tant à bord que durant les escales. L'industrie de la croisière gère depuis longtemps les risques épidémiques à bord. Cette pandémie est particulière, tant par son mode de transmission que sa virulence, et elle impose bien sûr des mesures supplémentaires, un surcroît de précaution et de protection. Les compagnies sont prêtes et y travaillent depuis 3 mois. Mais la croisière n'a pas été un facteur majeur de propagation, bien moins en tout cas que les autres modes de déplacement ou de rassemblement. Pour la Polynésie française, et dans le cas des têtes de ligne, les filtres internationaux, notamment aéroportuaires, s'ajouteront systématiquement aux mesures prises par les compagnies (ce n'est pas le cas dans les autres ports d'embarquement dans le monde, notamment en Europe ou aux États-Unis). Nous avons donc le bénéfice de ce filtre supplémentaire. Puis nous avons une surveillance médicale permanente à bord, avec des médecins et infirmiers formés à la lutte contre les épidémies, et avec des équipements médicaux et sanitaires de pointe, parfois bien meilleurs que ce que l'on peut trouver à terre dans certaines îles. Ce sont des éléments factuels de réassurance. »

Des salons internationaux sont-ils prévus dans les semaines à venir afin d’évoquer l'avenir de la croisière, mais également ramener la confiance sur la destination Polynésie ?

« Outre des échanges entre organisations sectorielles liées à la croisière, qui n'ont pas cessé durant la crise et se sont intensifiées ces dernières semaines, et après l'annulation de Seatrade Cruise Global de Miami en avril, le prochain rendez-vous était celui du Seatrade Méditerranée en septembre prochain. Nous venons d'apprendre que ce salon était annulé. Par ailleurs, la South Pacific Cruise Alliance, qui regroupe les principales destinations insulaires du Pacifique Sud, dont Tahiti, et assure la Présidence par intérim, a décidé de repousser la tenue du second South Pacific Cruise Forum, qui devait se tenir à Tahiti en fin d'année. Il est probablement reporté pour une année. »

Rédigé par Sébastien Petit le Mardi 2 Juin 2020 à 09:59 | Lu 3885 fois