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La chambre territoriale des comptes dénonce les effets "pervers" de la défiscalisation locale


La chambre territoriale des comptes dénonce les effets "pervers" de la défiscalisation locale
Dans la lignée de la Cour des Comptes, qui a recommandé la suppression du dispositif de défiscalisation national dit « Girardin » dans son rapport annuel 2012, la Chambre territoriale des comptes de Polynésie française a dressé mercredi matin à Papeete un sombre tableau de la défiscalisation locale. Ce système, dont l’efficacité n’a jamais été évaluée, est « coûteux » et entaché d’« effets pervers », a dénoncé la juridiction financière, qui recommande la révision de ces mécanismes fiscaux et le renforcement de leur encadrement.

« On ne s’est jamais demandé en plus de 25 ans si ces dépenses fiscales très importantes consacrées à la défiscalisation par l’Etat, qui y consacre 1,3 milliards d’euros chaque année, ou par les collectivités d’Outremer, avaient des retombées objectives, ni de savoir s’il n’y avait pas moyen plus efficient. C’est seulement maintenant que les premières évaluations sont faites, avec deux études sur le logement social et la plaisance qui seront publiées en 2012 » a expliqué le président de la Chambre territoriale des comptes, Jacques Basset.

Faute d’étude, il est donc ardu de dresser un bilan objectif du système de défiscalisation local, inspiré de la loi Girardin, et créé par la loi Flosse en 1995. Il permet aux contribuables polynésiens (essentiellement des sociétés, puisque la Polynésie n’a pas d’impôt sur le revenu) de bénéficier des mêmes avantages que les contribuables de métropole, c’est-à-dire de réduire leur impôt en finançant des investissements en logements ou des investissements productifs. 

Les deux dispositifs, local et national, se combinent 8 fois sur 10.  C’est ce qu’on appelle la double défiscalisation. Très avantageuse, elle permet aux investisseurs polynésiens de financer jusqu’à 73% de leur projet. Mais elle est coûteuse pour l’Etat et le Pays. « Ce qu'y consacre l’Etat et les collectivités d’Outremer peut représenter jusqu’à 110% du coût du projet, entre ce qui est donné à l’investisseur local, et ce qui est donné à l’investisseur fiscal (le contribuable) »  a expliqué Jacques Basset.



Montages "avantageux" pour cumuler aides à l'opérateur et crédit d'impôt

La chambre territoriale des comptes dénonce les effets "pervers" de la défiscalisation locale
La CTC  dénonce également l’ « effet d’aubaine » de la défiscalisation. En Polynésie, 3% des entreprises ont mobilisé 60% des crédits d’impôts accordés. « Parmi les bénéficiaires, les banques sont les mieux représentées puisqu’elles ont réalisé (...) environ le quart des crédits d’impôt » précise le rapport annuel de la Cour des Comptes. En outre, les opérateurs ont parfois réussi, par le biais d’ « optimisations fiscales particulièrement avantageuses », à cumuler l’aide à l’opérateur ET le crédit d’impôt réservé à l’investisseur fiscal, en faisant financer un projet par d’autres sociétés du même groupe.

Ce n’est pas tout : le système engendrerait un « effet d’éviction » dans le secteur hôtelier, qui représente 70% du total de la défiscalisation. « Les nouveaux hôtels financés par ce biais font fermer les plus anciens, car la demande n’est pas suffisante en Polynésie, et que le système a abouti à une surcapacité hôtelière » affirme le président de la CTC.

Et l’impact en terme d’emplois ? Il n’a tout simplement jamais été mesuré. « 1 500 emplois ont été créés dans le tourisme depuis 1995 en Polynésie, mais il est impossible de savoir si la défiscalisation y est réellement pour quelque chose » affirme la Chambre, qui recommande donc d’ « étudier les résultats (…) en terme d’emploi et de valeur ajoutée ».

En attendant ces résultats, la CTC suggère de réduire les filières et les zones géographiques aidées, de revoir les paramètres actuels des mécanismes fiscaux pour en réduire le coût budgétaire, notamment par le plafonnement des avantages octroyés, et enfin de renforcer l’encadrement de ces dispositifs.
«On cherche à faire des économies afin de mieux gérer les fonds publics. C’est la priorité absolue, donc il faut trouver des mécanismes d’aide plus efficients (…) d’une autre nature, des subventions par exemple » recommande en conclusion Jacques Basset.

En Polynésie française, 7,3% des recettes fiscales du Pays sont dépensées chaque année dans la défiscalisation. Ce taux n’est que de 2,8 en Nouvelle-Calédonie. Depuis 1995 et la loi Flosse, 108 milliards de francs ont été consacrés à ce dispositif par notre collectivité. 



Comment la défiscalisation peut-elle coûter à la collectivité plus de 100% du montant total de l'investissement financé?

Pour un projet d’investissement défiscalisé en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, les contribuables locaux, sociétés ou personnes 
physiques, financent la phase de réalisation du projet du début des travaux jusqu’à sa mise en exploitation.    
Ils deviennent ainsi les bailleurs de fonds du projet, et si celui-ci est entièrement éligible à la défiscalisation, ils sont alors les seuls financeurs de  ce dernier. Ils jouent donc le rôle habituellement tenu par le secteur bancaire.  

En contrepartie, ils déduisent immédiatement de l’impôt dont ils sont redevables une partie du financement qu’ils ont apporté au projet. Le 
pourcentage est variable, mais peut atteindre 60 %. Cette perte de recettes fiscales pour la collectivité d’outre-mer est la dépense fiscale. 

L’opérateur, c'est-à-dire le promoteur du projet, est financièrement aidé au moment où il rembourse les bailleurs de fonds car la loi locale leur 
impose de lui rétrocéder une partie de leur gain fiscal. Ainsi, au lieu d’être remboursés de la totalité des sommes qu’ils ont versées à l’opérateur, ils lui rétrocèdent environ 70 % de leur réduction d’impôt, ce qui représente 42 % du coût du projet (60 % x 70 % = 42 %). L’opérateur ne rembourse donc aux contribuables que 58 % du montant initialement prêté.  

A titre d’exemple, en Nouvelle-Calédonie, pour un projet de 100 MF CFP entièrement financé par des contribuables locaux, dans les meilleures conditions prévues par la loi du pays, les données sont les suivantes : 
- le promoteur du projet reçoit 42 MF CFP d’aide au moment du remboursement à l’investisseur fiscal ; 
- les contribuables perçoivent 60 MF CFP de crédit d’impôt et 58 MF CFP de remboursement par l’opérateur, soit 118 MF CFP. Leur gain net est 
de 18 MF CFP ; 
- la collectivité enregistre une dépense fiscale de 60 MF CFP. 

En plus de la défiscalisation locale, le même projet peut bénéficier d'une défiscalisation au plan national. C’est le cas de plus de 80 % des projets en moyenne pour les deux collectivités d’outre-mer. Dans cette hypothèse, le même projet est racheté par les contribuables nationaux, à nouveau à hauteur de 100 MF CFP. Ceux-ci obtiennent alors une réduction d’impôt de 50 MF CFP. Lors du rachat par l’opérateur après 5 ans, la loi Girardin prévoit que 62,5 % de ce gain fisca  accordé (soit 31 MF CFP) lui soit rétrocédé. Il ne rembourse donc que 69 MF CFP aux 
contribuables. Ces derniers ont donc perçu 119 MF CFP (50 MF CFP de crédit d’impôt + 69 MF CFP de remboursement), soit un gain net de 19 MF CFP. 
Au total, pour une même opération d’investissement de 100 MF CFP, le bilan en « double défiscalisation » est donc le suivant : 
- l’opérateur reçoit 73 MF CFP d’aides (locale à hauteur de 42 MF CFP et nationale pour 31 MF CFP). Le projet ne lui coûte donc en réalité que 
27 MF CFP ; 
- les contribuables locaux et nationaux  ont un gain net cumulé de 37 MF FCP (18 MF CFP + 19 MF CFP) ;  
- le coût pour les finances publiques des collectivités d’outre-mer et de l’Etat s’établit à 110 MF CFP (60 MF CFP pour les COM, 50 MF CFP pour 
l’Etat), soit un montant supérieur à ce qui aurait été versé si ce projet privé avait bénéficié d’un subventionnement direct en totalité.

Extrait du rapport public annuel 2012 de la Cour des Comptes. Voir le rapport dans son intégralité ICI


le Mercredi 8 Février 2012 à 11:39 | Lu 2651 fois