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La Polynésie aura-t-elle un tribunal foncier en 2015 ?


Pour la rédaction de leurs amendements, les trois députés polynésiens ont travaillé en concertation avec des juristes, notamment Catherine Vannier, magistrate et présidente de l’association des juristes de Polynésie française, Catherine Chodzko, vice-présidente de cette association, mais aussi maître Michel Delgrossi, président de la chambre des notaires.
Pour la rédaction de leurs amendements, les trois députés polynésiens ont travaillé en concertation avec des juristes, notamment Catherine Vannier, magistrate et présidente de l’association des juristes de Polynésie française, Catherine Chodzko, vice-présidente de cette association, mais aussi maître Michel Delgrossi, président de la chambre des notaires.
PAPEETE, lundi 24 février 2014. Les trois députés polynésiens ont défendu ces dernières semaines à l’Assemblée nationale, via la rédaction d’amendements, la création d’un tribunal foncier en Polynésie. Un outil qui permettrait de résoudre plus facilement les litiges et les indivisions. Mais la bataille législative est loin d’être gagnée. Après le dépôt d'amendements défendus par Jonas Tahuaitu devant la Commission des lois la semaine dernière, les députés devront s'exprimer de nouveau en séance publique en mai prochain. La date de cette séance n'a pas encore été fixée dans le programme des travaux de l'Assemblée nationale.

Edouard Fritch, Jonas Tahuaitu et Jean-Paul Tuaiva ont travaillé ensemble sur la rédaction d’amendements pour porter, devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale, la mise en place d’un tribunal foncier en Polynésie. Les textes des amendements qui sont présentés dans le cadre du projet de loi sur la modernisation et la simplification du droit, ont été également travaillés en concertation au cours des dernières semaines avec des juristes, spécialistes des questions foncières locales et des notaires. L’idée est d’obtenir de Paris la création de ce tribunal foncier polynésien, prévu dans le nouveau statut d’autonomie de 2004, mais dont les décrets d’application n’ont jamais été pris, depuis.

En se saisissant de ce véhicule législatif, les trois députés polynésiens espèrent bien obtenir gain de cause mais la bataille est serrée. Sur les dix amendements proposés par les députés polynésiens (parfois cosignés par des députés UMP), trois seulement ont été retenus pour l’instant et adopté par la Commission des lois. Trois autres ont été rejetés, les quatre derniers retirés. Argument le plus souvent invoqué par la Commission des lois : une objection constitutionnelle quand il s’agit de faire accepter des usages polynésiens que la jurisprudence locale reconnait mais qui n’ont pas de valeur juridique. Les amendements qui n’ont pas été retenus par la Commission des lois seront néanmoins défendus, de nouveau, par les députés polynésiens lors de la séance publique prévue sur ce texte dans le courant du mois de mai. En tout cas, la création d’un tribunal foncier polynésien est bien une disposition retenue par la Commission des lois, ce qui fait dire à Edouard Fritch «nous sommes aujourd’hui à 55% de chance de pouvoir disposer prochainement de ce tribunal (…) Les discussions sur ces amendements montrent qu’il y a encore une certaine méconnaissance des spécificités de notre Pays».

Au mieux, il faudra néanmoins attendre 2015 pour la mise en place de ce tribunal foncier polynésien, le temps que la Loi de finances pour 2015 à la fin de l’année en cours puisse livrer les crédits nécessaires à ce nouveau département de justice sur le territoire. Là aussi il va falloir être convaincant. «Le plus gros obstacle est effectivement la prise en charge financière » reconnait Edouard Fritch : ce sera toutefois à l’Etat de trouver les ressources nécessaires pour faire fonctionner ce tribunal dont la création était prévue depuis dix ans. Un tribunal foncier qui devrait certainement être composé de deux magistrats, appuyés par le travail d'assesseurs puisés dans les spécialistes locaux des affaires foncières. L’accumulation des litiges fonciers environ 900 dossiers en cours aujourd’hui en Polynésie est le signe évident qu’il faut absolument faire quelque chose pour débloquer la situation. «C’est indispensable aujourd’hui pour permettre aux familles d’avancer. Le Pays lui-même a du mal à dégager de la terre pour ses projets, l’indivision favorise la flambée des prix » indique encore Edouard Fritch.



Un nouveau GIP

Pour faciliter le rassemblement des pièces nécessaires à la constitution d’un dossier de reconnaissance de propriété foncière, les trois députés polynésiens ont proposé dans l’un de leur amendement (qui a été rejeté par la commission des lois) la création d’un GIP. Ce groupement d’intérêt public serait chargé de rassembler ces pièces éparses (actes d’état civil, cadastre, conservation des hypothèques etc.) pour faciliter les procédures. Ce GIP pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC) existe depuis octobre 2007 : il a été créé pour une durée de dix ans, renouvelable une seule fois. Dans les départements d’outremer, la situation est encore différente : ces GIP avaient prévu d’être installés par une loi adoptée en 2009, dans le cadre de la revendication par des particuliers de biens fonciers situés dans la zone des 50 pas géométriques. Mais quatre ans plus tard, ils n’étaient pas encore créés. Ils devraient néanmoins l’être d’ici 2016 ainsi que le gouvernement s'est engagé à le faire à la fin de l'année 2012.

Les amendements proposés par les députés polynésiens en Commission des lois et leur argumentaire

CL 22 - Modification de l’article 745 du code civil :

Cet article permet, compte tenu de nos indivisions qui remontent sur plusieurs générations, de ne plus exclure les ayants droits des frères et sœurs du défunt dans le cadre d'une action en partage.

En l'état actuel de la loi, les ayants-droits des frères et sœurs ne peuvent plus succéder au-delà du 7 degré. Or, nos titres de propriété remontent aux années 1800 (tomite). Les successions ouvertes au décès de ces propriétaires n'ont jamais été liquidées à ce jour au motif qu'avant l'introduction du code civil en Polynésie française, la terre appartenait à une famille et non à un individu seul.

Décision de la commission des lois : Adopté.

CL 23 – Extension des articles 985-986 du code civil :

La Polynésie française est composée de 118 iles réparties sur une surface aussi grande que l'Europe. On ne trouve d'offices notariaux que sur Papeete et Raiatea, et seuls certains agents de la Gendarmerie nationale peuvent, dans certaines îles ou atolls, suppléer à cette carence.

Dans ces conditions, il a été jugé important d'étendre ces articles à la Polynésie française afin de permettre aux justiciables de pouvoir faire leur testament et/ou de donner leurs dernières volontés, notamment en période cyclonique ou de dépressions tropicales, moment pendant lesquels les îles peuvent être complètement isolées.

Décision de la commission des lois : Retiré à la demande du rapporteur, cette demande étant à son sens déjà satisfaite par l’article 40 de la loi du 23 juin 2006.


CL 24 – Adaptation des articles 738-2 et 757-3 du code civil :

Nos indivisions remontent sur plusieurs générations. En conséquence, les biens qui composent les successions sont composés d'énormément de biens de famille (fenua fetii) en plus des acquêts (biens achetés par le couple pendant leur mariage).

En cas de décès d'une personne qui possède des biens de famille et n'a pas d'enfant avec son conjoint, qui lui survit, cet article permet à la totalité des biens de famille de retourner dans la famille du défunt en évitant qu'ils ne partent dans le patrimoine du conjoint survivant qui pourrait refaire sa vie et avoir des enfants avec une autre personne.

A ce moment là, des personnes complètement étrangères à la famille seraient susceptibles d'entrer dans ces biens de famille et de créer des tensions qui finissent bien souvent par des bagarres.

En l'état actuel de la loi, seule la moitié de ces biens de famille retourne dans la famille.

Décision de la commission des lois : Retiré à la demande du rapporteur en raison d’objections d’ordre constitutionnel à voir en séance plénière avec le gouvernement.

CL 25 – Adaptation des articles 831 et 831-2 du code civil : attribution préférentielle :

En l'état, le code civil prévoit que, dans le cadre d'un partage, pour pouvoir devenir propriétaire du lot qu'on occupe, il faut l'avoir occupé depuis le décès du défunt.

Nos successions remontent sur plusieurs générations, il est donc impossible pour la génération actuelle, qui demande le partage, d'avoir occupé une terre dans les années 1800-1900.

De plus, il existe en Polynésie française plusieurs « partages dit ancestraux » qui se faisaient oralement et permettaient aux membres d'une famille d'occuper les terres familiales sur autorisation orale des ancêtres ou des parents. Cette disposition traditionnelle n’est pas à ce jour reconnue.

Or, ces occupations sont une réalité qui ne peut être ignorée dans le cadre d'un partage. La jurisprudence locale reconnaît donc à ces personnes de demander que le lot qu'elles occupent leur soit attribué, si par ailleurs elles respectent les droits des autres co-indivisaires. Cet article permet de mettre en conformité la jurisprudence locale avec les textes de loi, qui sont inadaptés dans le cas de figure.

Décision de la commission des lois : Retiré à la demande du rapporteur en raison d’objections d’ordre constitutionnel à voir en séance plénière avec le gouvernement.

CL 26 – Adaptation des articles 827 et 887-1 du code civil : reconnaissance du partage par souche :

Nos successions remontent sur plusieurs générations et les familles polynésiennes sont nombreuses (plus de 5 enfants). Il est donc impossible dans le cadre d'une action en partage de pouvoir appeler à la barre du tribunal tous les descendants des propriétaires (cela représente parfois plus de 100 à 150 personnes).

C'est pourquoi la jurisprudence locale permet aux personnes qui demandent le partage de pouvoir appeler une seule personne pour représenter une souche, étant précisé que les droits des autres co-indivisaires sont respectés, puisque, par définition, le lot est mis au nom de l'ancêtre et non à celui de la personne appelée à représenter sa souche.

Article 887-1 du code civil : si, dans le cadre d'un partage, une souche ou une personne a été oubliée, cet article permet de lui donner sa part en nature ou en valeur (argent) sans que tout le partage déjà fait soit annulé. En effet, souvent les terres ont déjà été occupées et bâties et il n'est pas possible de tout anéantir en cas d'oubli, compte tenu du fait, comme il a déjà été dit, de la lourdeur de la procédure. Cet article permet de mettre en conformité le code de procédure civile locale et le code civil qui sont en contradiction sur ce point là.

Décision de la commission des lois : Retiré à la demande du rapporteur en raison d’objections d’ordre constitutionnel à voir en séance plénière avec le gouvernement.

CL 27 – Adaptation des articles 972 et 975 du code civil : règles relatives à l’interprétariat :

Le taux d'illettrisme (personne ne sachant ni lire ni écrire en français) en Polynésie française est très élevé. De plus, les personnes des îles éloignées (notamment l’ancienne génération) ne parle souvent que le tahitien, le paumotu, le marquisien ou le mangarevien.

En l'état actuel de la loi, ces personnes ne peuvent donner leurs dernières volontés (testament) que si le notaire parle sa langue ou s'il a un interprète assermenté. Cet article permettrait à ces personnes de pouvoir faire des testaments avec seulement un notaire et un interprète, qui bien souvent est d'origine polynésienne et maîtrise donc bien les langues du pays. C'est le cas, bien souvent, des clercs de notaire.

Décision de la commission des lois : Rejeté, compte tenu de la proposition d’amendement du rapporteur déjà adoptée.

CL 28 – Dispositions transitoires pour l’application de la loi :

Il y a plus de 900 dossiers de terre en cours devant la Chambre des terres du tribunal de première instance de Papeete et ses sections détachées des Iles-Sous-Le-Vent et des îles Marquises (cf. statistiques).

Il est donc important que l'ensemble des dispositions de la loi leur soient applicables sans délai.

Décision de la commission des lois : Rejeté, dans l’attente du débat en séance plénière avec le gouvernement.

CL 29 – Dispositions du code civil relatives au pacte civil de solidarité (PA.C.S) :

Le PA.C.S est applicable et effectif partout sur le territoire de la République française sauf en Polynésie française.

Cet état de fait entraine des problèmes, notamment pour les fonctionnaires d'Etat en service en Polynésie française qui ne peuvent pas bénéficier des avantages que le PA.C.S serait susceptible de leur procurer. De plus, cette application impossible crée une réelle inégalité entre les citoyens de métropole et les polynésiens.

Les dispositions relatives au PA.C.S relève manifestement du droit des personnes, compétence d’Etat, et non du droit des contrats, compétence du Pays. En atteste sa place dans le code civil au Titre 13ème du Livre I, intitulé « des personnes », la partie relative aux contrats se trouvant dans le Livre III du code civil. Un avis rendu par le Haut Conseil sur cette question du domaine de rattachement du PA.C.S au sein du code civil a conclu à la compétence étatique au titre de « l’état des personnes ». Cette interprétation est contestée par le gouvernement.

Notre souci est de créer un PA.C.S en Polynésie française qui ait la même valeur sur tout le territoire national et à l’étranger, valable pour le citoyen polynésien qui vient en France métropolitaine comme pour le citoyen français lorsqu'il sert en Polynésie française.

Décision de la commission des lois : Rejeté, dans l’attente d’un avis du Conseil d’Etat sur saisine de la Polynésie française.

CL 30 – Code de l’organisation judiciaire - Régime des assesseurs du Tribunal foncier :

Le tribunal foncier a été prévu dans la loi organique de 2004, voté par le Parlement sans jamais avoir été réellement mis en place, faute de texte d’application. Il permet une réelle avancée dans la gestion des litiges fonciers en prévoyant l'introduction d'assesseurs polynésiens qui ne sont pas astreints, comme c’est le cas des magistrats, à une mobilité.

Les litiges fonciers en Polynésie française s’étalent en effet sur une longue période, compte tenu de leur ancienneté et de leur complexité. Ils nécessitent ainsi, de la part des juges fonciers, une certaine expérience et connaissance du foncier en Polynésie française. Cette expérience et cette stabilité pourra être apportée par les assesseurs du magistrat professionnel qui a vocation à ne pas rester en poste indéfiniment.

Cette nouvelle formation devrait permettre de réduire le nombre de dossiers en stock, qui était au nombre de 900 en décembre 2013, et de réduire les temps d'instruction, qui peuvent aller jusqu'à 2 ou 3 ans de procédure.

Décision de la commission des lois : Adopté.

CL 31 – Code de l’organisation judiciaire : Suppression de la commission de conciliation obligatoire en matière foncière (CCOMF) et mise en place d’un groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété :

A l’origine, en 1996, la commission de conciliation obligatoire en matière foncière (CCOMF) était chargée de mettre en état les dossiers et de trouver des accords entre les parties. Or les statistiques démontrent qu'elle ne remplit pas ce rôle, alors qu'elle avait pour mission d'alléger dans le cas d'entente possible entre revendiquants. La création du tribunal foncier devrait dorénavant répondre à cette attente des Polynésiens, et il y a donc lieu de prévoir la suppression de cet organisme.

Les titres de propriété des terres en Polynésie française remontent au 19ème siècle et plusieurs actes de vente, échanges ou partage ont pu être passés depuis cette date. De même, l'état civil des personnes comportent certaines erreurs et des approximations.

Ces informations sont éparpillées entre la direction des affaires foncières, le tribunal de Papeete, le greffe, les mairies, les notaires... Il est donc nécessaire de mettre ensemble toutes ces bases de données, pour pouvoir écrire plus facilement l'histoire de chaque terre et permettre ainsi de présenter en justice un dossier complet et fiable, facilitant ainsi la tâche de conciliation ou de jugement dévolue au tribunal foncier.

Décision de la commission des lois : Rejeté, dans l’attente du débat en séance plénière avec le gouvernement et dans l’attente d’une étude globale et nationale sur l’intérêt de la création d’un tel groupement.


Rédigé par Mireille Loubet le Lundi 24 Février 2014 à 17:41 | Lu 1290 fois