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La Nouvelle-Calédonie reste française... et indépendantiste


Au terme d'une soirée électorale riche en rebondissements, les électeurs de Nouvelle-Calédonie ont finalement choisi leur maintien dans la république française par 56,4% des voix contre 43,6% de votes en faveur de l'indépendance. Malgré leur défaite, les indépendantistes sont satisfaits de leur score.

 

C'est un paradoxe de cet autre archipel français du Pacifique : au milieu de la nuit, alors que les résultats définitifs venaient de tomber, les indépendantistes faisaient la fête tandis que les partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France rasaient les murs. Pourtant, les loyalistes venaient de remporter une victoire nette alors que le Front de libération kanak socialiste (FLNKS) avait perdu le référendum.

Le Caillou était toujours français mais « c'est une victoire pour nous, parce que les sondages prédisaient une victoire écrasante du Non, on nous annonçait 70% de non et finalement nous sommes au-dessus des 40% de Oui à l'indépendance », se félicitait Jean-Louis Koroma, l'un des porte-parole du FLNKS. Sa voix était bientôt recouverte par les concerts de klaxons et les vrombissements de moteurs des partisans de l'indépendance.

La situation est certes paradoxale où des perdants célèbrent bruyamment leur défaite, mais il faut reconnaître que les indépendantistes reviennent de loin. Les partis de droite, loyalistes, visaient 80% de Non et comptaient grâce à ce scrutin enterrer toute velléité d'indépendance. « C'est la preuve que la volonté d'indépendance est bien là, que c'est possible et encore si nous ne l'avons pas eue cette fois-ci c'est parce qu'il y a eu des manipulations par l'état français et que beaucoup de Kanak (du peuple autochtone, présent bien avant la colonisation française) ont été empêchés d'aller voter ! » assure Mareka, militante FLNKS de la première heure, originaire de l'île d'Ouvéa.

Jusqu'au bout, cette journée référendaire - que les habitants de Nouvelle-Calédonie attendent depuis trente ans et la fin de la quasi-guerre civile qui les a vus s'affronter pendant les années 80 – aura déjoué les pronostics. Nombreux étaient les Calédoniens qui craignaient une explosion de violence, un remake des « Évènements », lorsque l'armée française patrouillait dans les rues et qu'il y avait des morts chaque semaine.

Pour la plupart des habitants de Nouméa, la capitale, l'étincelle viendrait de Saint-Louis, la tribu kanak la plus proche de Nouméa, frondeuse et rebelle, prompte à bloquer les routes et à brûler des voitures en signe de protestation. Et bien, non, en ce matin de vote historique, tout était calme dans l'écrin de verdure de la tribu de Saint-Louis.

Les gendarmes étaient bien positionnés aux entrées et aux sorties de la tribu mais ils ne sont pas allé au contact direct. Et aucune provocation n'est venue troubler leur tranquillité, si ce n'est un bref – symbolique – feu de pneus en milieu de soirée.

Surtout, la file était longue devant le bureau de vote. L'appel au boycott de la frange la plus dure des indépendantistes, le Parti travailliste (PT) n'a visiblement pas été entendu. Pourtant, Louis Kotra Ureguei, un homme politique puissant sur le Caillou, figure de la lutte indépendantiste avait appelé à la non-participation, à « aller à la pêche » afin de ne pas cautionner « une mascarade, un référendum-bidon » qu'il savait perdu d'avance.

 


« C'est notre jour, c'est le jour J : je ne vois pas pourquoi au dernier moment on ferait marche arrière, s'indignait Clémence Wamytan, quadragénaire habitante de la tribu de Saint-Louis, militante syndicale et FLNKS de la première heure. Ne pas voter, c'est faire le jeu de la droite, c'est leur donner raison. »

Comme elle, la plupart des militants de l'indépendance n'étaient pas vraiment confiants sur l'issue du vote mais ont fait le pari qu'un processus irréversible vers la pleine souveraineté a été engagé et que même si le non l'emportait ce dimanche « il y aura un deuxième, puis un troisième référendum et ensuite nous négocierons directement notre liberté. Parce que c'est de cela qu'il s'agit : de notre liberté ! 

Pour ce qui est des violences urbaines, le raisonnement des habitants de Saint-Louis a été le même que pour la participation au scrutin : il ne fallait pas prêter le flanc aux critiques, ne pas « gâcher » ce moment d'expression populaire.

« Non, il n'y aura pas de problème, parce que nous sommes des gens responsables, quoiqu'on en dise, résumait avec autorité Jean-Pierre Wamytan, responsable coutumier, membre de la chefferie de Saint-Louis. Nous avons eu des contacts réguliers avec les autorités françaises, au haut-commissariat, tous les quinze jours nous avons fait le point et tout va bien ».

Jean-Pierre Wamytan fait partie du FLNKS, il est aujourd'hui satisfait du score des indépendantistes et mise désormais sur les référendums suivants prévus par l'accord de paix de Nouméa (1998) pour que son pays accède enfin à la pleine souveraineté.

Et, bizarrement, ce sont les gagnants du référendum, les non-indépendantistes qui semblent le plus attristés. À partir du milieu de la soirée électorale, quand il est devenu clair que le résultat ne serait pas 70/30 en faveur du Non, il n'était plus question pour eux de parader avec des drapeaux bleu-blanc-rouge dans Nouméa. Leur célébration a tourné court et le siège du parti Les Républicains s'est vidé de ses militants très rapidement.

Au moins ont-ils écarté le spectre d'un retour des violences communautaires qui aurait été causé par l'humiliation de leurs adversaires indépendantistes. Le FLNKS a sauvé la face, prouvé que la revendication indépendantiste est encore bien vivace en Nouvelle-Calédonie et chacun a pu écouter le président Emmanuel Macron saluer à la télévision « le respect et le choix du dialogue ».

Le premier ministre Edouard Philippe est arrivé en Nouvelle-Calédonie. Il est chargé de mettre tous les responsables politiques autour de la table afin de favoriser « le dialogue » et de trouver une feuille de route pour les années à venir. Pour le peuple kanak, cette route mène toujours à l'indépendance et à la pleine souveraineté.

 

De notre correspondant à Nouméa, Julien Sartre


Rédigé par Julien Sartre le Lundi 5 Novembre 2018 à 05:49 | Lu 1431 fois