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L'insertion des travailleurs handicapés en question


La 5e édition des journées polynésiennes du handicap s’est ouverte ce mardi au parc Aorai Tinihau. L'occasion d'aborder les problématiques de l'insertion professionnelle des handicapés et de leur accessibilité aux espaces publics.
 
En Polynésie, 7% de la population est en situation reconnue de handicap. La 5e édition des journées polynésiennes du handicap a débuté ce mardi matin, en grande pompe, au parc Aorai Tinihau, en présence des associations, du Président Edouard Fritch et de nombreux membres de son gouvernement. Organisée par la fédération Te Niu o te huma, qui regroupe 27 associations, elle se déroule jusqu'au 29 avril avec au programme une allée de stands pour rencontrer les différentes associations, des activités sportives et nautiques et une "course de la mobilité" à la mairie de Pirae pour clôturer l'événement.

Ces journées polynésiennes du handicap se placent cette année sous la double thématique de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés et de l'accessibilité, qui sont au cœur de deux assises : mardi après-midi  pour l'insertion professionnelle et jeudi après-midi, concernant l'accessibilité. Ces deux thèmes sont bien sûr intrinsèquement reliés, comme le confie Henriette Kamia, présidente de la fédération : "Pour qu'un travailleur puisse être recruté par une entreprise, il faut qu'il puisse y accéder, s'il est en fauteuil par exemple, et que le poste de travail lui soit adapté".

Le président de la Polynésie a profité de l'inauguration pour annoncer une extension de l'aide qui n'était jusqu'alors destiné qu'aux seuls adultes handicapés, vers les accompagnants. Des "aidants feti'i" qui doivent parfois renoncer à tout ou partie de leur salaire. Mais, comme le constate Henriette Kamia elle-même, l'allocation qui se monte à 46 000 Fcfp en 2022 est "insuffisante pour vivre décemment". La question de l'accès des personnes handicapées à un emploi et un salaire est donc d'une importance vitale.

Une règlementation non appliquée

Il existe une loi du Pays obligeant les entreprises de plus de 25 salariés à recruter des travailleurs handicapés à hauteur de 4% de leurs effectifs, sous peine de sanctions financières. Mais, cette règlementation bénéficie chaque année d'une dérogation permettant de descendre ce taux à 2%, "en raison de la crise covid", justifie Virginie Bruant, la ministre du Travail et des Solidarités, bien que cette dérogation soit reconduite chaque année depuis 2017. La dérogation actuelle court pour l'année 2022. En 2023, la ministre promet une "évolution vers les 4%" prévus par la loi du Pays et jamais appliqués jusqu'à maintenant.

Cette problématique était au cœur des assises qui se sont tenues ce mardi, réunissant représentants d'associations, travailleurs handicapés et responsables des ressources humaines. Pour ces derniers, recruter des travailleurs handicapés n'est pas une simple question de bonne volonté, comme l'explique Laura Noyez, juriste chez Opus-RH : "C'est important d'avoir des quotas, d'avoir un seuil, même s'il a du mal à être respecté. Il fixe un objectif et pousse à rechercher des solutions pour l'atteindre. Mais à l'heure actuelle, quand on diffuse les offres, dans les personnes qui postulent, on a en proportion beaucoup moins de personnes handicapées. En tant qu'employeur, si j'ai un poste potentiellement accessible à une personne porteuse de handicap, je ne sais pas où aller la chercher. Toutes les entreprises ne sont pas opposées au fait de recruter ces travailleurs, mais il faut les aider à le faire."

Améliorer l'accessibilité… aux informations

"C'est vrai qu'aujourd'hui, il y a des lacunes", avoue Henriette Kamia, dont la fédération est consultée à chaque prolongation du quota de 2% et se prononce favorablement depuis 2017. "Les entreprises disent qu'elles ne trouvent pas assez de candidats ; mais moi je leur dis : "Où avez-vous été demandé ?" La Fédération dispose en effet depuis peu d'un pôle insertion professionnelle pour faciliter le recrutement des travailleurs handicapés. Elle met sa base de données à disposition des employeurs qui la contactent. "Mais nous ne sommes pas une administration", reconnait son directeur, Romain Pinel.

"Il manque une centralisation des informations. Aujourd'hui, il faut aller sur chaque site, chercher les informations. Même en tant que postulant, à qui on s'adresse ? Il faudrait mettre en place une cévéthèque, une plateforme qui centralise les informations. Tout est trop dispersé, pour les travailleurs comme pour les entreprises, le temps, l'énergie perdue est très importante pour le moment", explique Laura Noyez. La réglementation existe. Elle n’est appliquée qu’en partie, et le cadre reste perfectible.

En débattant sur la problématique d'accessibilité des espaces publiques aux personnes porteuses de handicap, ce jeudi, les assises poursuivront la réflexion sur leur inclusion à la vie de la cité, ce qui a aussi des implications concrètes dans le cadre du recrutement professionnel. "Lorsque j'ai été recrutée, la question de mon handicap ne s'est pas du tout posée, témoigne Laura Noyez. Je l'ai quand même abordé en entretien, parce que je savais qu'il allait nécessiter une logistique. Très concrètement, comme j'arrivais de métropole, il me fallait trouver un véhicule adapté pour me rendre au travail. C'est très difficile sur le territoire. La solidarité de mes collègues a beaucoup aidé mais une personne handicapée ne veut jamais être une charge."

Antoine Launey

Rédigé par Antoine Launey le Mardi 26 Avril 2022 à 22:17 | Lu 974 fois