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L'incroyable récit d'un sauvetage en mer de 26 heures aux Marquises


La passagère du voilier de 9 mètres a été secourue en pleine nuit au large de Ua Huka, au terme d'une éprouvante opération de sauvetage. ©Station de sauvetage en mer de Hiva Oa
La passagère du voilier de 9 mètres a été secourue en pleine nuit au large de Ua Huka, au terme d'une éprouvante opération de sauvetage. ©Station de sauvetage en mer de Hiva Oa
Mardi 12 avril 2022 - Un sauvetage en mer particulièrement long s'est déroulé ce week-end aux Marquises au large de Ua Huka afin de porter assistance à une femme à bord d'un voilier alors que le capitaine était décédé d'un arrêt cardiaque. Une opération s'est aussitôt déclenchée dans l'archipel grâce à une solidarité et une coordination sans faille. La navette Te Ata o Hiva a été déployée depuis Hiva Oa et l'équipe de sauvetage a pu secourir la femme, rapatrier le corps et mettre le voilier à l'abri. L'opération, très éprouvante, a duré plus de 26 heures.
 
La station de sauvetage de Hiva Oa est revenue en détail sur les circonstances du sauvetage hors du commun auquel elle a participé ce week-end dans l'archipel marquisien. C'est samedi à 13h30 que la station de sauvetage a été saisie par le JRCC Tahiti pour venir en aide à un couple de septuagénaires à bord d'un navire situé à 120 miles marins (environ 222 kilomètres) au nord-est de Hiva Oa, au large de Ua Huka. Le chef de bord, néo-zélandais, victime d'un arrêt cardiaque est décédé, laissant une femme seule à bord. C'est cette dernière, japonaise, en détresse, qui a demandé de l'aide depuis leur petit voilier de 9 mètres.
 
Comme l'explique la station “les distances sont très importantes et il n’est pas possible à la petite vedette de sauvetage actuelle d’intervenir, pas plus qu’à d’autres navires des autres îles.” Elle a alors proposé d'armer la navette Te Ata o Hiva de la Codim pour lui porter secours et récupérer le corps du capitaine, à la demande du JRCC.
 
C'est à ce moment-là que s'est enclenchée une “course contre la montre”, et qu'une véritable chaîne humaine de solidarité s'est mise en route. Après le feu vert du président de la Codim et maire de Nuku Hiva, Benoît Kautai, il a fallu constituer l’équipage, de repos ce jour-là, qui n'a pas hésité à se déplacer (le capitaine était à Tahuata et le capitaine d’armement dans une vallée de Hiva Oa). Pendant ce temps, la maire de Hiva Oa, Joëlle Frébault, faisait le nécessaire pour approvisionner le navire en carburant. Elle témoigne d'ailleurs de l'engagement exemplaire dont l'équipage a fait preuve : “C'était un week-end, jour d'élection, jour de repos… on les a appelés, ils sont venus sans discuter.” En plus de l'équipage, une équipe de sauvetage s'est constituée pour embarquer : quatre sauveteurs (dont un infirmier et un nageur de bord) et trois pompiers. À 18 heures, le Te Ata o Hiva était prêt et a appareillé pour sa mission.

Conditions difficiles, en pleine nuit

Au large de Ua Huka, là où se trouvait le voilier, les conditions étaient rendues difficiles par un vent de 20 nœuds et de la houle avec des creux de 2,5 à 3 mètres. La femme à bord du petit navire est parvenue à donner régulièrement sa position par messagerie via satellite. Il était minuit et demi, en pleine nuit noire, lorsque le voilier a été retrouvé. L’état de la mer rendant “impossible tout abordage et trop dangereux pour les nageurs de tenter de monter à bord par la mer”, il a alors été décidé de conduire le voilier et sa passagère “à l'abri de la côte Ouest de Ua Huka” où il a été mis au mouillage vers 1 heure du matin. La femme a ensuite été transbordée avec l'annexe du Te Ata o Hiva, puis le corps de son compagnon de voyage.  La navette a ensuite fait route sur Nuku Hiva, afin “notamment de déposer le corps à l’hôpital” en attendant son rapatriement en Nouvelle-Zélande. Benoit Kautai attendait l'équipe sur le quai et a pris en charge la suite des opérations pour la ressortissante japonaise.
 
La mobilisation n'était pas finie pour autant pour l’équipage du Te Ata o Hiva et les secouristes qui ont ensuite dû ré-appareiller pour retourner à Hiva Oa, pour encore “8 heures de navigation, face à la houle cette fois”. C'est à 16 heures, soit 26h30 après le début de l'opération que les courageux acteurs de ce sauvetage ont enfin débarqué au quai du port de Tahauku, à Hiva Oa. “On est obligé d'être solidaires, on est loin de tout, on répond présent à chaque fois. La solidarité elle est là avec nos pompiers, les sauveteurs en mer, l'équipage du Te Ata o Hiva… toute l'équipe est toujours prête à intervenir. Ça a été deux jours très difficiles pour eux, je les félicite”, a commenté la hakaiki de Hiva Oa.

La courageuse équipe au complet au retour de l'opération : l'équipage du Te Ata o Hiva (à droite), des sauveteurs en mer et les pompiers de Hiva Oa. ©Station de sauvetage en mer de Hiva Oa
La courageuse équipe au complet au retour de l'opération : l'équipage du Te Ata o Hiva (à droite), des sauveteurs en mer et les pompiers de Hiva Oa. ©Station de sauvetage en mer de Hiva Oa

Interview de Marc Tarrats, président de la station de sauvetage en mer de Hiva Oa, responsable de l'organisation des secours.

“On a vraiment vu cette solidarité sur les îles Marquises”


Comment s'est coordonnée l'opération ?
“On a notre propre bateau à la station de sauvetage, il mesure 7,5 mètres. Il ne permettait pas de faire une si grande distance. Le seul qui peut le faire c'est le Te Ata o Hiva. On a donc sollicité le maire de Hiva Oa, qui a prévenu le président de la Codim qui a donné son feu vert. Ensuite, la particularité c'est que l'équipage du Te Ata o Hiva était dispersé, on a dû faire revenir le capitaine depuis Tahuata, un autre était dans une vallée. Voilà pour la partie maritime. De mon côté, sur la partie des secours, j'ai mis en place une équipe avec quatre sauveteurs en mer et trois pompiers, ciblée en fonction des besoins, à la fois du médical pour la personne vivante avec l'infirmier par exemple et nous tous qui sommes secouristes puis pour la partie extraction du bateau, il fallait des nageurs de bord au cas où il fallait intervenir et se mettre à l'eau. À Hiva Oa, on travaille depuis longtemps avec les pompiers sur cette mutualisation des moyens, et c'est tout naturellement qu'on s'est associé, qu'on a fait une équipe, on se complète.”
 
Quel était le caractère exceptionnel de ce sauvetage ?
“Depuis 12 ans, presque 13, que la station existe, c'est la première fois qu'on a une opération si longue. Nous avons été mobilisés quasiment 27 heures, c'est énorme ! Pour les sauveteurs en mer et les pompiers qui ont participé, il n'y a pas eu d'hésitation. On savait qu'on partait, on ne savait pas pour combien de temps mais on savait que ça allait être long. On a des gens bénévoles mais qui dans leur attitude sont très professionnels.
L'autre point à souligner, c'est qu'on a vraiment vu cette solidarité sur les îles Marquises. Les contacts qu'on a, les uns et les autres, ont permis de faire avancer, à chaque niveau, les différents points. Tout le monde était très concerné et souhaitait bien faire. Quand on est arrivé à Nuku Hiva, avec le corps et la dame, le maire était sur place, attendait. On a aussi profité du relais de l'infirmier sur Ua Huka, par radio VHF, qui nous a permis de nous informer sur l'état de la mer qui était différent à Hiva Oa. Les conditions étaient plus dures à Ua Huka, il nous a permis de faire une analyse.”
 
Comment ça s'est passé à votre arrivée à hauteur du voilier à secourir ?
“Quand on est arrivé sur la zone indiquée par le JRCC, on ne la retrouvait pas, on a dû faire une recherche visuelle pendant environ 30 minutes. Cette femme japonaise, de 73 ans, avait quelques notions maritimes mais pas tant que ça. Elle s'est retrouvée pendant quasiment 24 heures, avec le corps de son compagnon au fond du bateau, pendant qu'elle tenait la barre. Elle n'avait pas de pilote automatique, elle a dû tenir la barre 24 heures, pour garder le cap et suivre les directions indiquées. La VHF étant à l'avant du bateau, elle ne pouvait pas lâcher la barre pour répondre à la VHF, tout ça rendait l'exercice compliqué, avec en plus la barrière de la langue. Un autre contact, ancienne habitante de Hiva Oa, a proposé ses services pour faire l'interprétariat par téléphone. Ça a été très important pour rassurer la Japonaise. Quand on l'a récupérée, elle était plutôt en bonne santé mais elle avait soif, elle avait faim et manquait énormément de sommeil. Et bien sûr sous le choc d'avoir passé tout ce temps avec le corps dans le bateau, lui a ajouté du stress.”

Rédigé par Julie Barnac le Mercredi 13 Avril 2022 à 17:16 | Lu 5737 fois