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L’île de Pâques veut prendre le nom tahitien de « Rapa Nui »


Seuls les moai (ici ceux de l’ahu Nau Nau, devant la plage de Anakena) connaissent le véritable nom de l’île de Pâques ; mais ils sont restés et resteront muets…
Seuls les moai (ici ceux de l’ahu Nau Nau, devant la plage de Anakena) connaissent le véritable nom de l’île de Pâques ; mais ils sont restés et resteront muets…
RAPA NUI, le 27 août 2018- On ne devrait bientôt plus parler de l’île de Pâques, mais uniquement de Rapa Nui. Les députés chiliens, à l’unanimité (139 voix), viennent en effet de voter en faveur de ce changement de nom assez singulier, puisque Rapa Nui est une appellation d’origine tahitienne… Le projet de loi doit désormais être avalisé par les sénateurs chiliens et la constitution du Chili modifiée, le nom « Isla de Pascua » devant être gommé et remplacé par celui de « Rapa Nui ».


Comment s’appela l’île de Pâques dans le passé ? Personne, à vrai dire, n’en sait rien ; en tous les cas rien de formel ni d’officiel n’a subsisté, faute de trace écrite et de mémoire collective.


Le dimanche de Pâques 1722…

Les Pascuans, dans le passé, ont renversé leurs grandes statues à une période troublée de leur histoire, lorsque le culte des anciens fut abandonné (les moai représentant des ancêtres).
Les Pascuans, dans le passé, ont renversé leurs grandes statues à une période troublée de leur histoire, lorsque le culte des anciens fut abandonné (les moai représentant des ancêtres).
On entend souvent dire qu’avant l’arrivée des Européens, le nom de cette terre loin de tout continent était « Pito o te Henua » (Le nombril du monde) ou « Mata ki te Rangi » (Les yeux qui regardent le ciel, en référence aux yeux que portaient les statues géantes, les moaï). Mais rien ne vient prouver ces assertions.
Toujours est-il qu’au XIXe siècle, l’île de Pâques, découverte le dimanche de Pâques de l’année 1722 par le Hollandais Jacob Roggeveen, était en quelque sorte sous influence française ; les missionnaires français, de la congrégation des Sacrés Cœurs de Marie et de Jésus (les Picpus), vinrent en 1864 puis en 1866 commencer l’évangélisation de l’île, alors du ressort de l’évêque de Tahiti, Tepano Jaussen ; plus grave, Jean-Onésime Dutrou-Bornier, aventurier français ambitieux et sans scrupule, arrivant de Tahiti, vint s’y établir en 1866 et ne tarda pas à se proclamer « roi » de l’île de Pâques, grâce à son union avec une Pascuane supposée de noble lignée (alors qu’il était déjà marié, en France). Il y développa à grande échelle l’élevage de moutons avec son associé de Tahiti, Brander et hissa le drapeau tricolore maintes fois, réclamant l’aide de la France.


Rapa « iti » et Rapa « nui »

Orongo, sur la lèvre du cratère du Rano Kau fut le dernier lieu de culte des Pascuans avant leur évangélisation à partir de 1866.
Orongo, sur la lèvre du cratère du Rano Kau fut le dernier lieu de culte des Pascuans avant leur évangélisation à partir de 1866.
Evangélisation et business furent deux éléments fondamentaux de la fin du XIXe siècle à l’île de Pâques et de ce fait, les échanges par mer furent relativement nombreux entre Papeete et Hanga Roa. Au moins aussi nombreux qu’entre Valparaiso et Hanga Roa. Or, à l’époque, les voiliers, manoeuvrant souvent avec peine, avaient besoin de marins en nombre. Ces équipages étaient évidemment composés essentiellement de Tahitiens.
Il était quasiment impossible pour un voilier de tracer sa route ouest-est en ligne droite entre Papeete et Hanga Roa pour la simple et bonne raison qu’il est toujours difficile d’aller contre les vents dominants. C’est pour cette raison que les bateaux descendaient plein sud, jusqu’à la petite île pelée de Rapa et, de là, ils trouvaient des vents portants pour se rendre plus facilement à l’île de Pâques.
Les équipages polynésiens n’étaient alors pas très instruits (tout comme le reste de la population) et les marins engagés sur ces bateaux de commerce avaient bien du mal à expliquer à leurs proches, à terre, où ils se rendaient.
L’île de Pâques étant alors extrêmement pelée elle aussi, mais étant bien plus grande que Rapa, ils prirent l’habitude de l’appeler Rapa Nui, Rapa la grande, par opposition à la petite Rapa*, « Rapa iti ».


Cent onze survivants en 1877

On ne devra bientôt plus dire « les Pascuans », mais « les Rapa Nui », si ce nom tahitien est adopté par le Sénat, après le vote unanime des députés chiliens.
On ne devra bientôt plus dire « les Pascuans », mais « les Rapa Nui », si ce nom tahitien est adopté par le Sénat, après le vote unanime des députés chiliens.
Petit à petit, le nom est passé dans le langage courant et se répandit même au sein de la communauté pascuane complètement acculturée en cette fin de siècle. En effet, plusieurs razzias de négriers sud-américains, essentiellement péruviens, déportèrent notamment en 1862 la majorité de la population de l’île pour faire travailler cette main d’œuvre non pas dans les îles à guano comme on le dit souvent, mais dans des haciendas. Les Pascuans y furent traités comme des esclaves et la plupart moururent.
Toute la noblesse, toute l’intelligentsia pascuane, tous les prêtres et érudits décédèrent en déportation, le roi y compris. Seule une petite poignée d’entre eux put être rapatriée, grâce aux efforts conjoints de M. de Lesseps, consul de France à Lima et de monseigneur Tepano Jaussen, évêque de Tahiti.
Mais malheureusement, ces rescapés ramenèrent avec eux des maladies qui finirent de décimer la population.
Entre les épidémies, les déplacements de Pascuans aux Gambier et à Tahiti et toutes les malversations dont ce petit peuple fut la victime, les Pascuans ne se retrouvèrent plus que cent onze en 1877 ; si l’on doit reconnaître que c’est la mission catholique qui, en grande partie, les sauva de la disparition, on ne peut nier que l’évangélisation totale de l’île effaça ce qui avait survécu de sa culture ancienne ; et c’est ainsi que si les Pascuans ont conservé leur langue largement mâtinée de Tahitien, cultuellement et culturellement, ils ne se souvenaient pratiquement de plus rien de leur passé au tournant du XIXe et du XXe siècle. D’où l’adoption facile, faute de tout repère, du nom tahitien « Rapa Nui » dans le langage courant, appellation qui avait l’avantage de désigner à la fois l’île et à la fois ceux qui y habitaient, comme on dit aujourd’hui l’île de Rurutu et les Rurutu par exemple.


Une appellation plus « roots »

L’île de Pâques mesure environ 162 km2, alors que l’île de Rapa ne couvre que 40 km2.
L’île de Pâques mesure environ 162 km2, alors que l’île de Rapa ne couvre que 40 km2.
Si l’on peut comprendre que l’île de Pâques, nom étranger s’il en est (mais adopté depuis 1722 tout de même), pouvait heurter le chauvinisme de certains Pascuans, on ne peut que rester dubitatif quant au choix fait de se draper d’un nom tahitien vieux d’à peine plus d’un siècle et demi. Car jamais dans le passé les Rapa Nui ne s’identifièrent sous cette appellation et jamais au grand jamais il n’avait été fait quelque part référence, jadis, à ce nom pour désigner l’île.
Il n’est pas sûr, aujourd’hui, que beaucoup de « Rapa Nui » connaissent la petite histoire que nous venons de vous conter. Pour certains d’entre eux, Rapa Nui est bien un nom indigène, et non pas une pure invention moderne tahitienne. Comme la mode est au retour aux sources, à n’importe quelle source dans le cas présent, il fallait tout faire pour perdre ce « vil nom » européen d’île de Pâques au profit d’une appellation plus « roots » comme diraient les jeunes.
Soucieux de ne pas déplaire aux demandes de quelques Pascuans influents, les députés chiliens ont donc voté comme un seul homme en faveur de « Rapa Nui », même si, convenons-en au vu de notre bref récit, à part sa consonance polynésienne, ce nom de baptême est totalement exogène…

Texte et photos : Daniel Pardon



Déjà un précédent avec Robinson Crusoe

L'île Robinson Crusoe, un fantasme littéraire
L'île Robinson Crusoe, un fantasme littéraire
Ce n’est pas la première fois que le Chili débaptise une de ses terres ultra-marines. En 1966, deux îles de l’archipel Juan Fernandez, à un peu plus de 600 km au large de Valparaiso, furent rebaptisées : Mas-a-Tierra devint « île de Robinson Crusoe » et Mas-a-Fuera prit le nom d’ « Alexandre Selkirk ». C’est en effet sur Mas-a-Tierra que le marin Alexandre Selkirk vécut seul quatre années, d’octobre 1704 à février 1709. A son retour en Grande-Bretagne, c’est lui qui inspira Daniel Defoe, auteur du célèbre roman « Robinson Crusoe ».

Or, dans les années soixante, le Venezuela avait pour projet de rebaptiser une de ses îles, au large de l’Orénoque (où Defoe situe son roman) « île de Robinson Crusoe », ce qui froissa considérablement l’orgueil des députés chiliens estimant que le vrai Robinson avait vécu sur une île chilienne.
D’où le double changement de nom (effectué à grande vitesse) dans l’archipel Juan Fernandez ; à noter que le vrai Alexandre Selkirk ne mit jamais les pieds sur l’île qui porte aujourd’hui son nom…



Rédigé par Daniel Pardon le Lundi 27 Août 2018 à 14:08 | Lu 7139 fois