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L'économie bleue, un potentiel aussi vaste que ses enjeux


Tahiti, le 19 octobre 2022 – Le 7e Forum de l'économie bleue s'est ouvert mercredi à la présidence, devant un parterre de représentants des tissus institutionnel, privé et associatif unanimes sur le potentiel du secteur pour la Polynésie française et ses 99% de surface océanique. Le développement “durable” du secteur fait son chemin, au gré des obstacles à lever. Parmi ces derniers, les questions de formation ou encore le sujet d'un indispensable futur dock flottant étaient discutés mercredi matin.
 
Le 7e Forum de l'économie bleue, organisé par le Cluster maritime de Polynésie française, s'est ouvert mercredi matin à la présidence. Deux jours d'échanges, de tables rondes et d'ateliers autour du thème “Azimut 2030, entre préservation, productivité et résilience”. Et le moins que l'on puisse dire, après l'ouverture du Forum, est que le potentiel du secteur de l'Économie bleue ne fait aujourd'hui “plus de débat” à Paris comme à Tahiti, pour reprendre la formule du représentant du Cluster maritime français présent mercredi au fenua, Alexandre Luczkiewicz.
 
“Plusieurs personnes ont rappelé ce matin qu'il y avait 99% de territoires maritimes, avec 1% de terres émergées”, poursuit le responsable des actions Outre-mer du Cluster national. “La vraie question, c'est comment est-ce qu'on utilise la croissance bleue durable pour le développement du territoire, pour les populations polynésiennes et avec une vocation de rayonnement à l'échelon local, régional et international.” Le potentiel de l'Économie bleue ne fait donc plus de débat, mais ses enjeux semblent en être une source intarissable.
 
Tout le monde d'accord
 
Côté Pays tout d'abord, le président Édouard Fritch a défendu dans son discours la “stratégie de développement” d'une Polynésie qui “doit être construite en tenant compte de la protection et de la gestion durable de nos espaces et de nos espèces”. Sa stratégie de l'innovation 2030 validée la semaine dernière à l'assemblée visiblement encore en tête, le président du Pays a vanté l'ambition de faire du territoire une “force d'innovation” régionale. “Notre objectif est de devenir un territoire de solutions, si nous arrivons à régler un problème pour une île, un atoll, alors nous le résolvons pour l’ensemble de nos frères de Pacifique et même au-delà.” Référence et lien également tout trouvé avec la “Stratégie 2050 pour le Continent Bleu du Pacifique” du Forum des îles du Pacifique.
 
Côté État ensuite, le haut-commissaire Éric Spitz n'a pas manqué d'insister sur les “99% d'océans” qui composent la Polynésie française. “Ce 7e Forum de l’Économie bleue a pour objet d’écrire la responsabilité collective, à l’encre 'bleu océan', dans une nouvelle feuille de route pour l’économie maritime en Polynésie française.” Une économie qui compte pour “40% des ressources propres” du Pays et qui contribue pour “80% de ses exportations”, a rappelé le représentant de l'État.
 
Filière porteuse
 
L'intérêt public est donc là. Celui du privé l'est visiblement tout autant. Créé en 2014, le Cluster maritime de Polynésie française est passé de 28 membres fondateurs à 70 aujourd'hui. Et il a quasiment gagné 1 000 emplois sur la même période, précise son coordinateur Stéphane Renard. “Huit ans dynamiques, huit ans d'avancées alors qu'on sortait d'une sorte de stagnation sur le sujet.” Un potentiel et un dynamisme qui ne doivent néanmoins pas faire oublier les obstacles que rencontre le secteur pour se développer. “Cette frustration, on risque de la connaître encore très longtemps. Vu le potentiel, avant qu'on l'exploite de manière conséquente ou sensible, il va se passer du temps”, relativise Stéphane Renard. “On n'a pas beaucoup misé sur le maritime dans les 40 dernières années, donc il faut un rééquilibrage. C'est ce qui est en train de se produire. Pas après pas.”
 
Au programme du Forum, trois tables rondes ont été organisées dès mercredi matin pour soulever quelques-uns des enjeux les plus actuels du secteur maritime. On y retrouvait la “perception et la place de l'économie bleue” – ses craintes, espoirs, amalgames et fantasmes, sous-titre le programme –, la question du “transport et de la modernisation portuaire de la Polynésie” ou encore des “difficultés structurelles liées à l'éparpillement des îles”. De quoi faire émerger quelques sujets récurrents…
 

“La formation, c'est un frein”
 
Le sujet de la formation des Polynésiens a ainsi largement été évoqué comme un enjeu prioritaire du secteur. “La formation, c'est un vrai frein. Mais plus que la formation, l'exigence de titres et diplômes”, explique Stéphane Renard, du Cluster maritime polynésien. “On n'a pas du tout adapté, soit les moyens de formation à cette volonté de titres et diplômes, soit on a des titres et diplômes qui ne sont pas adaptés à la réalité du Pays. Ça, c'est un vrai frein et ça éloigne les Polynésiens de ces filières et de ces carrières.”
 
Un peu plus loin, le président du syndicat des armateurs, Philippe Wong, confirme pour son secteur d'activité. “Les marins actuels sont limités au niveau de leurs brevets”, explique le patron de l'Aranui. “Les Taporo, Hawaiki, Nuku Hau... Pour piloter ces bateaux-là, il faut au moins passer le brevet de capitaine 3 000. Ce brevet, il n'existe pas depuis un petit moment. Et il y a à peu près 25 dérogations que l'administration accepte de renouveler pour le moment. Ils jouent tous le jeu, mais c'est une mauvaise solution.” Pour ce seul brevet, la formation diplômante devait être lancée en 2019. Elle ne le sera qu'en 2023.
 
Plus généralement, le Pays mise sur son futur Campus des métiers de la mer pour pallier un “manque de formations” et “des métiers en tension”, concède le conseiller technique du ministre des Ressources marines, Christophe Misselis. “C'est un ensemble de parcours de formations qui vont de la production primaire – la pêche, l'aquaculture, la perliculture –, mais jusqu'aux services également – dans le tourisme notamment –, en passant par la construction navale ou la réparation navale”, explique-t-il. “Il s'agit d'organiser la formation et des parcours de bac-3 à bac+3, des CAP aux licences, sur des métiers en tension où il y a véritablement besoin de main-d'œuvre.” Un campus prévu pour septembre 2023.
 
Le dock flottant, une priorité
 
Parlant de construction navale, un second sujet – encore plus concret – a également animé plusieurs des débats mercredi matin : celui de l'opportunité pour le Pays de se doter de son propre “dock flottant”. Depuis plusieurs décennies, c'est le dock de l'Armée qui est utilisé dans le Port de Papeete pour les besoins des navires civils. “Mais aujourd'hui, les besoins des armateurs dépassent la capacité du dock de la Marine. Donc, il y a deux questions”, explique le contre-amiral Geoffroy d'Andigné. “D'une part, celle de l'avenir et de la capacité du dock. Aujourd'hui, il est valide jusqu'en 2030 et il pourrait être prolongé. Les choses sont à l'étude et, des éléments dont je dispose, une décision devrait être prise d'ici 2025. D'autre part, il y a la question du volume, des emplacements et de ce qu'on fait avec ce dock. Et là, les besoins de la Marine pour son dock ne convergent pas avec les besoins du Port.”
 
Côté armateurs et côté Cluster, la priorité du dossier ne fait aucun doute. Certains navires civils, les plus gros et les plus récents comme le Paul Gauguin ou l'Aranui, sont contraints de convoyer jusqu'en Australie pour trouver un dock à leur taille. “Le Pays doit se doter d'un moyen de levage civil pour passer cette transition vers les flottes futures, renouveler les flottes, réduire les impacts des navires, être plus performant économiquement avec ces navires”, insiste Stéphane Renard, du Cluster maritime. “On a besoin d'un outil structurant nouveau et moderne pour les 30 à 40 ans qui viennent.”
 
La clôture du Forum est prévue jeudi après-midi, avec restitution des ateliers et “liste des projets structurants”. Gageons que ces derniers ne manqueront pas.
 

​Alexandre Luczkiewicz, Cluster maritime français : “Le débat ne se pose pas sur le potentiel de l'économie bleue”

Il y a des Clusters maritimes dans tous les outre-mer français, est-ce qu'il y a un potentiel particulier pour celui de la Polynésie française ?
 
“Le premier poncif qu'il faut balayer, c'est qu'on est la deuxième plus grande zone économique exclusive au monde. La vraie question, c'est qu'est-ce qu'on en fait. Et quand on regarde les zones d'influence de la France, où sont placées les zones économiques exclusives ? On a 50% de la zone en Polynésie française. Je pense que le débat ne se pose pas trop sur l'économie bleue. Plusieurs personnes ont rappelé ce matin qu'il y avait 99% de territoires maritimes, avec 1% de terres émergées. Les Océaniens sont des insulaires. La vraie question, c'est comment est-ce qu'on utilise la croissance bleue durable pour le développement du territoire, pour les populations polynésiennes et avec une vocation de rayonnement à l'échelon local, régional et international.”
 
Qu'est-ce qui fait, selon vous, qu'on n'exploite pas à son plein potentiel cette économie bleue en Polynésie française ?
 
“Je pense que le premier élément, c'est connaître. Quels sont les stocks halieutiques ? Où se trouvent les ressources énergétiques ? Comment est composée la topographie des fonds marins ? Toute la problématique de la connaissance de la colonne d'eau… En fait, quel est le patrimoine marin des eaux sous juridiction française en Polynésie ? On n'exploitera bien que si on connaît bien, si on comprend bien et si on est capable de mieux préserver parce qu'on aura mieux compris comment ça fonctionne. Mais l'exploitation est forcément durable. D'abord, les marins sont les premiers à savoir que leur jardin doit être protégé. Ensuite, dans ce siècle où on traverse un dérèglement climatique effrayant, l'océan joue un rôle majeur comme régulateur du climat et son état se dégrade. On ne peut pas aujourd'hui envisager de contrer la montée des eaux, de subir des cyclones et de voir les ressources halieutiques disparaître si on ne prend pas soin de l'océan.”
 
Est-ce que ce n'est pas parfois difficile de concilier exploitation et protection des océans ?
 
“Il y a forcément un équilibre à trouver. On ne peut pas parler de développement durable si les deux termes ne sont pas pesés l'un et l'autre. Il y aura du développement s'il est durable. Et il ne peut pas y avoir de développement sans durabilité.”
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mercredi 19 Octobre 2022 à 22:56 | Lu 1213 fois