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L’école du bout du monde prépare sa rentrée scolaire


L’école du bout du monde prépare sa rentrée scolaire
PAPEETE, le 13 août 2018 - Vendredi, la commune de Hereheretue a inauguré sa nouvelle école élémentaire. Avec six élèves inscrits cette année, l’instituteur devra enseigner plusieurs niveaux à la fois.

Un grand bâtiment jaune rutilant trône en plein milieu du village principal de Hereheretue. La maire déléguée de Hereheretue, Marie Madeleine Mairihau est fière d’inaugurer sa nouvelle école élémentaire. L’instituteur est satisfait, il pourra enseigner dans de bonnes conditions cette année. « Herehetue est certainement un motu très isolé, mais on a la chance d’avoir une nouvelle école et surtout d’avoir un enseignant titulaire » constate pour sa part la ministre de l’Education Christelle Lehartel.

Effectivement, Hereheretue est un atoll des Tuamotu qui n’est accessible que par la mer. L’île compte environ une cinquantaine d’habitants, six élèves sont inscrits à l’école primaire pour l’année scolaire 2018-2019. « Il est difficile pour nous de défendre à Paris le maintien d’une école pour seulement quatre élèves », explique la ministre « nous allons tenter de maintenir cette école ouverte le plus longtemps possible, mais il faut qu’il y ait plus d’enfants inscrits. Nous sommes en République française nous nous devons de donner l’éducation à chacun. »

L'isolement

L’école du bout du monde prépare sa rentrée scolaire
Quand Arthur Tetuamanuhiri, le professeur des écoles est arrivé à Hereheretue, il y a trois ans, il constate qu’il arrive sur une île quasiment coupée du monde. « Après 18 ans d’enseignement à mon actif, je suis arrivé ici. J’ai enseigné un peu partout en Polynésie, aux Iles-Sous-le-Vent, aux Marquises, mais là je me suis retrouvé vraiment isolé. L’île est loin de tout, il n’y avait pas beaucoup d’élèves. Je suis content parce que le nombre d'élève augmente. »

Le maître d’école a parfois l’impression d’être complètement abandonné par le ministère de l’Éducation. « En trois ans à Hereheretue j’ai vu une inspectrice, une fois. J’aimerais avoir plus de moyens et être mieux accompagné. J’aimerais qu’il y ait plus de moyens de communication parce que parfois je me sens vraiment seul. On n’a pas vraiment de contact, pas internet, notre seule connexion vers l’extérieur se passe par le portable. Une fois qu’on est ici, on est coupé de tout», explique l’enseignant.


"Nous allons essayer de ne pas l’oublier" Christelle Lehartel, ministre de l'Education

L’école du bout du monde prépare sa rentrée scolaire
La ministre reconnaît qu’il est difficile de maintenir le contact avec les professeurs de ces écoles du bout du monde, « La problématique, c’est que nous ne pouvons pas visiter les enseignants aussi souvent qu’on le souhaiterait. Ils n’ont pas de véritable accompagnement contrairement à leurs collègues de Tahiti et des îles plus facilement accessibles. Il faut trouver des inspecteurs et des conseillers pédagogiques qui n’ont pas peur de prendre le bateau, de franchir les vagues et venir jusqu’ici. » Elle admet même, « il est vrai que nous avons tendance à oublier les professeurs des écoles des îles isolées. Nous allons essayer de ne pas l’oublier. »

Pour l’enseignant, cette nouvelle école et le nouveau matériel vont nettement améliorer ses conditions d’enseignement. « Cette année je vais avoir un peu plus d’élèves et je vais enseigner sur tous les niveaux. Il y a des familles qui sont revenues parce qu’ils ont entendu dire qu’il y avait une nouvelle école. On démarre bien l’année. »

Si en trois ans, l’instituteur dit avoir eu le temps de s’adapter, il ne sait pas s’il a envie de rester encore longtemps sur l’atoll. « Je vais essayer de rester au moins encore un an. Après, tout dépendra des conditions d’enseignement et de mes conditions de travail… »
La mise en service de Natitua avec une liaison internet haut débit par voie hertzienne vers l'atoll devrait révolutionner le monde de cet enseignant, « Nous devons rester connectés. Le câble Natitua nous permettra de mettre en place des formations et un meilleur accompagnement des enseignants. Nous plaçons beaucoup d’espoirs dans le numérique. J’espère que le câble déclenchera pas mal de choses notamment la mise en place de la téléformation et du téléaccompagnement des enseignants dans les îles éloignées. » Outre le câble, la ministre indique compter « sur les inspecteurs qui sont nouvellement nommés pour faire le suivi de ces enseignants. Nous devons rester en contact avec les enseignants qui sont sur des îles aussi isolées que Hereheretue. »

Johnny Biret, Inspecteur de l’éducation nationale pour la circonscription des Tuamotu-Gambier " Nous essayons d’être efficaces avec les moyens mis à notre disposition. "

Johnny Biret est le nouvel inspecteur de l’éducation nationale pour la circonscription des Tuamotu Gambier. Il a débuté sa carrière en tant qu’enseignant à Huahine, puis il a continué à exercer à Papeete avant de devenir conseiller pédagogique aux Tuamotu pendant six ans.

Fort de votre expérience aux Tuamotu, quelles sont les difficultés que peuvent rencontrer les enseignants dans des îles aussi éloignées ?
Le problème principal c’est la géographie qui crée l’isolement. L’isolement c’est ce qui pèse le plus sur la population et cela concerne aussi les enseignants. Un professeur des écoles qui se trouve dans une île difficilement atteignable pour les formations, par exemple. En terme de formation continue, ces îles qui sont réparties sur un territoire de la taille de l’Europe avec des moyens de communication assez faibles posent un souci. Malgré tous les moyens financiers investis par l’Éducation dans les différents outils de formation des enseignants pour qu'ils aient le même niveau de connaissances que ceux de Tahiti, il y aura toujours un petit décalage avec la distance et l’isolement. Les moyens sont assez conséquents et nous essayons d’être efficaces avec les moyens mis à notre disposition.

À Hereheretue par exemple, il n’y a pas de connexion internet et l’enseignant titulaire en poste depuis trois ans a indiqué n’avoir reçu la visite d’un inspecteur et d’un conseiller pédagogique qu’une seule fois…
Hereheretue c’est très particulier parce qu’effectivement notre seul moyen de l’atteindre est soit d’affréter un bateau, soit de profiter des tournées gouvernementales. Si nous prenons la goélette, nous sommes obligés d’attendre la prochaine qui parfois est prévue un mois après. Logistiquement parlant, ce n’est pas possible de bloquer un formateur ou un inspecteur sur une île pendant un mois. Nous avons quand même 43 écoles dans la circonscription, c’est assez complexe.
Le numérique est un moyen de désenclavement notamment en terme de formation pour les enseignants qu’il faut mettre en avant. La visioconférence et la téléformation, et l’application Magistère (en application en métropole), nous permettent de faire des formations à distance avec des vidéos, des documents audio, mais pour que nos enseignants dans les îles puissent accéder à cela, il faut a minima le haut débit…pour l’instant un certain nombre d’îles n’ont même pas encore internet. La connexion est le grand défi des Tuamotu. Si nous arrivons à mettre en place cela, nous aurons une amélioration du suivi des enseignants et des élèves aussi.

Pour vous le haut débit permettrait de faire des écoles du bout du monde des écoles d’excellence et plus des écoles au rabais ?
Les écoles dans les îles éloignées ne sont pas des écoles au rabais, ce sont des écoles qui vivent avec leur temps et avec les moyens qu’ils ont. Attention, internet et le numérique ne veulent pas dire excellence, loin de là. On peut très bien avoir ces outils et ne pas savoir les utiliser, là on n’est pas excellent du tout. Pour moi, l’école de l’excellence est liée à la formation de l’enseignant. Un maître de qualité, même sans internet et haut débit, peut faire des enfants des îles éloignées, des enfants brillants qui réussissent. Nos anciens l’ont prouvé. Notre génération n’a pas vécu avec le haut débit, nous avons réussi. Internet est un atout, un plus, mais ce n’est pas la panacée.

Donc avant qu’internet et le haut débit n’arrivent comment aller vous assurer le suivi de ces enseignants ?
Nous avons le téléphone et le fax qui passent assez facilement. Nous avons toujours fonctionné comme cela. Avant nous fonctionnions avec Radio Mahina à Tematangi par exemple.
Nous organisons aussi des sessions de formation au début des vacances. Nous accueillons les enseignants à l’inspection. Les conseillers pédagogiques sont là pour mettre en place des formations individualisées. L’enseignant prend un peu sur son temps libre pour travailler sur les nouveautés et les dernières directives.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Lundi 13 Août 2018 à 14:35 | Lu 10366 fois