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L'école à distance, défi impossible dans les bidonvilles de Manille


Manille, Philippines | AFP | lundi 14/03/2021 - C'est dans le taudis d'un bidonville de Manille où il vit avec sa grand-mère qu'Andrix Serrano tente, tant bien que mal, de ne pas décrocher dans sa scolarité. L'élève de CM1 n'a pas d'Internet, alors pour lui, l'école à distance est encore plus un défi.

Un an après le début de la pandémie qui avait entraîné un mois de confinement dans l'archipel, les écoles n'ont toujours pas rouvert et les enfants ont l'obligation de rester chez eux.

Redoutant que les jeunes ne contaminent les personnes âgées, le président Rodrigo Duterte s'est toujours refusé à autoriser la reprise des cours en présentiel. Les portes des écoles, a-t-il prévenu, ne rouvriront pas tant que la vaccination n'aura pas été généralisée. Ce qui pourrait prendre des années.

En attendant, le gouvernement a élaboré un programme d'"enseignement combiné", mélangeant cours en ligne, exercices sur supports papier et leçons à la télévision et sur les réseaux sociaux.

Il a été lancé en octobre, avec déjà quatre mois de retard, et est depuis plombé par les problèmes. Et pour cause: Aux Philippines, la plupart des élèves n'ont pas d'ordinateur ou pas d'Internet.

- "Très dur" -
"Je ne peux pas le faire. C'est très dur", confie Andrix, dans sa cabane qui jouxte une rivière polluée de la capitale. Au mur, une photo où on le voit dans son uniforme d'écolier.

"L'école, c'est beaucoup plus sympa. C'est beaucoup plus facile pour apprendre."

C'est sur Messenger que Kristhean Navales, son professeur de sciences, dispense son savoir. Problème: moins de la moitié de ses 43 élèves ont accès à un ordinateur ou un smartphone. 

C'est à coup d'emojis, des coeurs ou des pouces levés, que ceux qui ont le privilège d'assister font savoir qu'ils ont compris, ou indiquent qu'ils ont une question.

La couverture Internet, cependant, n'est pas nécessairement stable et tous n'ont pas assez de données pour se permettre de longs appels vidéo.

"Et que peut-on faire sur Messenger dans les matières qui impliquent des expériences, comme les sciences", interroge le professeur.

Ceux qui n'ont pas accès à un ordinateur ou un smartphone dépendent totalement des ressources imprimées par les écoles.

Une fois les cours terminés, une nouvelle journée commence pour M. Navales qui rend visite à Andrix et ceux de ses camarades qui n'arrivent pas à suivre, apportant souvent en même temps des sacs de légumes à leurs familles.

"Le droit à l'éducation sacrifié"

Le maître s'inquiète du décrochage et peste contre ce gouvernement incapable d'organiser le retour à l'école.

"Le droit à l'éducation ne devrait pas être sacrifié à cause de cette pandémie", avance-t-il à l'AFP.

A en croire les chiffres de l'OCDE, les Philippines figuraient déjà dans le bas du classement, pour ce qui est du niveau en lecture, mathématiques et sciences des jeunes de 15 ans.

Mais en un an, l'Unicef estime qu'un million de Philippins ont quitté l'école.

Pas sûr que les élèves déscolarisés reviendront à l'école une fois la crise sanitaire terminée.

"Le Covid pèse sur tous les systèmes scolaires du monde mais ici, c'est encore pire", s'inquiète Isy Faingold, responsable de la branche éducation de l'Unicef aux Philippines.

Car les enfants qui quittent le système scolaire font dans l'archipel face à un risque accru de violences sexuelles, de grossesses précoces et d'enrolement dans des gangs, selon lui.

Stigmatisant un peu plus sa jeunesse, le gouvernement a imposé un confinement à tous les moins de 15 ans.

Beaucoup de parents ne peuvent mettre en oeuvre cette interdiction, permettant à leurs enfants d'aller jouer dans la rue ou dans les parcs. Mais cette interdiction de sortie mine le développement de nombre de bambins.

Dépression, angoisse

Ce confinement avait été brièvement levé en janvier, mais M. Duterte l'a vite réimposé, en préconisant la télévision pour occuper les enfants.

Et les projets de réouverture des écoles ont été abandonnés en janvier avec l'apparition de variants plus contagieux.

"Etre privés des interactions réelles avec leurs camarades et amis a un impact énorme sur le développement émotionnel des enfants", explique Maria Maria Lourdes Carandang, une psychologue pour enfants, qui cite des niveaux "alarmants" de dépression et d'angoisse.

La situation pèse aussi sur les parents et les grands-parents.

Chaque semaine, Aida Castillo, 65 ans, va à l'école récupérer les imprimés sur lesquels plancheront ses cinq petits-enfants, sous sa supervision, pendant que leurs parents travaillent.

Seul le plus vieux des cinq a accès à un smartphone pour ses cours en ligne, quand leur mère rentre.

"C'est comme si j'étais l'enseignante", s'alarme Mme Castillo, qui a quitté l'école à 11 ans. "Que dois-je dire quand je ne comprends pas" le sujet?

Bien qu'elle concerne tous les enfants, la fermeture des écoles a contribué à rappeler les inégalités criantes de la société philippine.

certains parents ont pu engager des professeurs particuliers, allant parfois jusqu'à les héberger.

Mais les plus pauvres, comme Maria Fe Morallos, sont livrés à eux-mêmes.

La jeune fille de 15 ans qui vit dans un quartier crasseux où l'on produit du charbon n'a pas les moyens d'acheter un smartphone. 

C'est sous une ampoule nue jetant une lumière dure qu'elle fait ses travaux sur des feuilles de papier. Et quand elle ne comprend pas, elle passe.

le Mardi 16 Mars 2021 à 03:42 | Lu 311 fois