Si la CTC reconnait que “les filières d’élevage restent une priorité de la collectivité de Polynésie française pour son développement agricole” et que notamment pour le nouveau gouvernement, force est de constater que les résultats escomptés ne sont pas là.
“Les résultats obtenus pour consolider les deux filières principales ont été bien en-deçà des objectifs fixés” par le précédent gouvernement Fritch qui étaient pourtant dressés dans le document de la politique agricole du Pays (2011-2020) explique la Chambre. La production animale locale, couvrant à peine 5% des besoins totaux de la population, reste trop insuffisante pour répondre à la consommation locale.
Au milieu de cette filière qui n’a toujours pas réellement pris son envol, le fonctionnement de l’abattoir de Tahiti pose question. Une SEM “sans que les conditions juridiques ne soient respectées” et “une convention d’affermage irrégulière” conduisent la Chambre territoriale des comptes à s’interroger sur l’opportunité de “réexaminer le modèle juridique et économique de cette structure”.
“L’abattoir étant complètement dépendant des choix du Pays, en raison des tarifs fixés par l’actionnaire public, des investissements menés par la Direction de l’agriculture, et d’une logique d’intérêt général plutôt que commerciale, la Chambre s’interroge sur la pertinence de la forme juridique choisie depuis l’origine (SEM) et invite la collectivité à étudier, le cas échant, une autre forme juridique”, détaille le rapport.
La Chambre brosse alors le portrait peu glorieux d’une SEM “non soumise au contrôle du comptable public” et où des “dysfonctionnements à tous les niveaux de la chaîne de contrôle sont à signaler”.
Besoin de contrôle
De plus, “le manque de culture de contrôle interne au sein de la structure ne garantit pas non plus la préservation des fonds, des stocks et des biens attractifs de l’abattoir pour la période sous revue”.
Aussi, la CTC préconise-t-elle la mise en place d’un “contrôle externe” par le Pays afin de remettre de l’ordre dans cette boucherie financière.
Sous couvert de ne pas fermer l’établissement, le Pays est aussi coupable d’une grande largesse concernant sa SEM. Ainsi, la CTC reproche à la Direction de l’environnement de laisser certaines installations “en contradiction avec les règles relatives aux installations classées et à la protection de l’environnement”.
Heureusement pour le consommateur, “aucun manquement grave en termes d’hygiène ou en matière de protection animale n’est à relever”.
Mais le tableau n’est, là encore, pas si propre que cela puisqu’en matière de sécurité alimentaire, “le bureau de santé environnementale a signalé des activités initiées entre 2019 et 2022, non prévues dans l’arrêté d’autorisation, dont la dernière (hachage et cuisson de terrines) était plus particulièrement susceptible de faire peser des risques pour les consommateurs”.
Enfin, problème récurrent propre aux SEM du Pays, le fait que ce soit le conseil des ministres qui fixe les prix d’abattage ne permet pas à la société de consolider sa rentabilité. “Au final, la SEM Abattage de Tahiti est déficitaire chaque année en raison de charges structurelles toujours importantes et une subvention d’équilibre du Pays est indispensable”, constate la CTC
De sérieuses remises aux normes, autant comptable qu’industrielles, sont donc à envisager.
Les recommandations de la CTC
- Dès 2024, se rapprocher du Pays afin d’assurer un contrôle sur place des installations classées relatives à l’abattoir ;
- Dès 2024, initier, en lien avec le Pays, une nouvelle répartition du capital pour ne pas dépasser les 85% d’actionnariat public ;
- Réexaminer dès 2024, en lien avec le Pays, les statuts de la SEM à l’aune des dernières dispositions de la délibération n° 2023-56 APF du 12 octobre 2023 ;
- Mettre à jour, dès 2024, le document d’évaluation des risques professionnels ;
- Renforcer, dès 2024, le dispositif de contrôle interne de la société ;
- Dès 2024, s’assurer en lien avec le Pays, du respect des obligations de contrôle externe et d’information de la SEM Abattage de Tahiti ;
- Se doter, dès 2024, d’un logiciel de comptabilité performant ;
- Étudier, dès 2024, l’adéquation entre le personnel et l’activité de la SEM, en tenant compte de ses spécificités.
La vie de rêve des directeurs délégués
La mise en place d’un président-directeur général au sein de la SEM n’a pas été fructueuse, ce dernier ayant déjà une autre activité professionnelle. Deux directeurs délégués ont donc été nommés et c’est alors que les dérapages ont débuté.
Teumere Bennett, déjà salariée de la SEM au moment de sa nomination, touchait déjà 300 000 francs en tant que salariée et n’aurait dû percevoir que 150 000 francs complémentaires. Mais son contrat de travail ayant été suspendu, sa rémunération est vite passée à 500 000 francs, puis 600 000 francs, auxquels il fallait alors ajouter des primes (salissure, panier, ancienneté…). 323 705 francs en 2015, 709 367 francs en 2016, 1,7 million de francs en 2017, 2,6 millions de francs en 2018 et 1,4 million de francs en 2019. Des primes qui n’auraient jamais dû figurer dans son contrat et n’aurait pas dû non plus être accordées par le conseil d’administration. Des faits qui ont conduit cette dernière au tribunal.
Toujours au rayon des fraudes, deux cartes de paiement classiques (une carte visa internationale et une carte locale), au nom de la société, ont été mises à disposition de la direction, sans qu’elles ne comportent un paramétrage ou, a minima, des directives fixées par le CA ou le P-dg sur l’étendue et la nature des achats possibles.
Les deux directeurs généraux délégués successifs ont utilisé ces moyens de paiement de la SEM à des fins personnelles.
La première, Teumere Bennett a réalisé, entre août 2019 et août 2020, divers retraits d’espèces, virements en sa faveur ou règlements par carte bancaire pour des achats personnels pour un montant total de 1,6 million de francs. Le suivant, Rémi-Célestin Begon, s’est livré des faits similaires mais à une échelle beaucoup plus importante avec plus de 6 millions d’achats à titre personnel. Il a ainsi financé des vacances en famille dans les hôtels, des achats de bijoux, des sorties en boites de nuit, des jouets pour sa famille ou encore une moto pour son usage personnel, etc.