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L'APC refuse le rachat de Bolloré Logistics Polynésie par l'armateur CMA CGM


L'Autorité polynésienne de la concurrence a conditionné structurellement le rachat de la filiale polynésienne de Bolloré Logistics par l'armateur français CMA CGM. Crédit photo : Archive TI.
L'Autorité polynésienne de la concurrence a conditionné structurellement le rachat de la filiale polynésienne de Bolloré Logistics par l'armateur français CMA CGM. Crédit photo : Archive TI.
Tahiti, le 5 février 2023 - L'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) a dévoilé ce mardi sa décision dans le rachat de la branche polynésienne de Bolloré Logistics par CMA CGM. Dans ce deal mondial où l'armateur français souhaite racheter 100% des 153 filiales de la société de transport de l'homme d'affaires Vincent Bolloré, l'APC a refusé cette concentration sur le territoire polynésien. L'Autorité impose, après la cession, une revente de l'activité de Bolloré Logistics Polynésie, afin de préserver la concurrence du marché local et d'éviter la création d'un système préférentiel direct entre CMA CGM qui possède le quasi-monopole sur la ligne maritime depuis l'Europe, et Bolloré Logistics, qui est leader en Polynésie dans son secteur.

L'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) a montré les muscles en refusant le rachat de la filiale polynésienne de Bolloré Logistics par l'armateur CMA CGM. Pour mémoire, cette acquisition s'inscrit dans le deal mondial du rachat de la filiale logistique du groupe Bolloré par CMA CGM. Une acquisition importante pour l'armateur français puisqu'elle est estimée à 4,65 milliards d'euros, soit environ 554,892 milliards de francs, pour 100% de l'entreprise. Cette transaction, que le groupe de l'homme d'affaires Vincent Bolloré avait annoncée le 8 mai 2023, devait cependant être passée au crible de plusieurs autorités de concurrence, Bolloré Logistics ayant 153 filiales actives à travers le monde. Si toutes les autorités ne publient pas toutes leur décision, celle brésilienne a d'ores et déjà accepté le rachat, comme celle néo-calédonienne qui a accepté le deal, sous condition d'engagements comportementaux. La Commission européenne, qui a également juridiction sur les départements d’outre-mer français, rendra quant à elle sa décision très prochainement sur ce dossier.
 
En Polynésie donc, c'est l'APC qui a autorité sur ce dossier. Ce mardi, elle a rendu sa décision, en conditionnant ce rachat par la revente des activités maritimes Bolloré Logistics après l’opération. En somme, avec cette décision, l'APC oblige CMA CGM à revendre les activités de Bolloré Logistics Polynésie après la vente sans pour autant la faire capoter. L'APC a en effet examiné la position de l'armateur français sur chacune des routes, d'une part au départ de la Polynésie et de l'autre à destination du Fenua, et en a conclu que cette acquisition aurait “dégradé la compétitivité des concurrents de la nouvelle entité sur le marché”.
 
Crainte d'un système préférentiel influant sur les prix de consommation

“Nous sommes plus excentrés que la Nouvelle-Calédonie qui possède plus de lignes maritimes que nous. Pour la Polynésie, la ligne en provenance d'Europe est stratégique, et CMA CGM est en position quasi monopolistique”, explique Johanne Peyre, la présidente de l'APC à Tahiti Infos. “De plus, sur l'exploitation au sol de cette ligne, Bolloré est en position dominante localement.” À noter que plus de 40% des marchandises importées en Polynésie viennent d'Europe.
 

La décision de l'APC ne compromet pas le deal mondial entre CMA CGM et Bolloré Logistics, mais permettrait éviter tout risque de verrouillage du marché. Crédit photo : Archive TI.
La décision de l'APC ne compromet pas le deal mondial entre CMA CGM et Bolloré Logistics, mais permettrait éviter tout risque de verrouillage du marché. Crédit photo : Archive TI.
L'APC craint donc qu'après le rachat, CMA CGM mette en place un système préférentiel avec sa propre filiale, en ne faisant plus appel aux autres acteurs qui composent le marché local des transporteurs, comme DHL ou Geodis, ce qui renforcerait encore plus son influence et sa position dominante sur le marché. “In fine, CMA se retrouverait donc en position de pouvoir augmenter le prix du transport de marchandises, ce qui se répercuterait sur les prix de consommation courante pour les Polynésiens”, fait remarquer Johanne Peyre.
 
“Les engagements comportementaux, qui obligent l'entreprise à faire ou à ne pas faire certaines choses après l'acquisition, n'auraient pas été suffisants dans ce cas-là pour continuer à faire marcher la concurrence. Donc on demande à CMA CGM de vendre l'entreprise en Polynésie. Au niveau mondial, vous avez le droit, mais pas ici avec Bolloré Polynésie”, ajoute Sophie Bresny, rapporteure générale à l'APC. Une décision “proportionnée” pour l'APC qui ne compromettrait donc pas ce gigantesque deal, dont le “closing” est prévu fin mars, et éviterait tout risque de verrouillage du marché.
 
Clause de non-concurrence

Par ailleurs, si l'APC oblige CMA CGM à revendre Bolloré Logistics, elle lui impose également une clause de non-concurrence pour les cinq prochaines années. “Bolloré sera mis en vente, mais on a prévu dans les engagements, un maintien de l'activité avec une clause de non-concurrence qui va perdurer après le rachat, pour faire en sorte que CMA CGM ne revienne pas sur le marché rapidement. Ça va pouvoir préserver la viabilité et la compétitivité de l'activité cédée”, nous explique Maxime Hebting, rapporteur à l'APC.
 
Le rapporteur a également balayé les craintes du rachat par le numéro deux du marché du transport local, en l'occurrence DHL. “S'ils veulent racheter Bolloré, cette opération repassera devant nous et compte tenu des parts de marché, ça soulèverait des problèmes de concurrence et rendrait l'autorisation compliquée”, explique-t-il.
 
L'APC a donc un droit de regard sur le repreneur de Bolloré Logistics Polynésie et s'assurera par conséquent de l'identité et de la crédibilité du futur acquéreur de la société afin de maintenir la dynamique concurrentielle existante. “On ne s'arrête pas simplement à notre décision. On continue le contrôle a posteriori. Chaque demande de concentration nous remet dans la boucle”, conclut Sophie Bresny.
 

"Les négociations ont été très dures"

Les négociations entre CMA CGM et l'APC ont "très dures" d'après Johanne Peyre. Credit photo : Archives TI.
Les négociations entre CMA CGM et l'APC ont "très dures" d'après Johanne Peyre. Credit photo : Archives TI.
Un dossier d'une telle ampleur n'arrive pas souvent sur les bureaux de l'APC. “On a pris nos responsabilités dans ce dossier”, nous affirme Johanne Peyre. “Ça n'a pas été facile de négocier avec un géant comme ça. Les négociations ont été très dures.” Et pour cause, lors des négociations, les rapporteurs de l'APC ont fait face à une flopée d'avocats de prestigieux cabinets parisiens, tous plus spécialisés les uns que les autres en droit de la concurrence. “Ils voulaient que la décision passe en comportemental, mais ce n'était pas possible. Ça n'aurait pas été dans l’intérêt des Polynésiens", ajoute la directrice de l'APC.
 
De plus, selon nos informations, CMA CGM, qui tente ces dernières années de renforcer sa présence dans les ports de manière générale à travers le monde, serait en négociation avec le Pays pour financer des travaux dans le port de Papeete. Pas sûr que l'armateur français ait anticipé et ne soit ravi par cette décision de l'APC, ce qui pourrait, par conséquent, rendre les discussions avec le Pays plus compliquées.
 
“D'où l'intérêt d'avoir une entité administrative indépendante pour faire ce travail-là. On distingue les aspects politiques du reste. On veille au bien-être final du consommateur”, résume Sophie Bresny, rapporteure générale pour l'APC.
 

La ligne maritime avec l'Europe rentable

“Leurs avocats (de CMA CGM, NDLR) n'étaient pas contents de la décision”, nous informe Sophie Bresny.  Et pour cause, l'analyse de ce dossier a également permis de mettre en lumière une donnée pour le moins étonnante. En effet, l'idée que la desserte maritime entre l'Europe et la Polynésie, dont CMA CGM a le quasi-monopole, est déficitaire est fausse, bien au contraire. “On entend souvent que cette ligne n'est pas rentable. Mais on a compris à travers l'examen qu'en fait, la ligne était bien rentable”, révèle l’APC.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mardi 6 Février 2024 à 17:01 | Lu 5324 fois