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Kakaia, les mutinés du Matava’a


Ua Pou, le 19 décembre 2019 - Le Matava’a qui s’est déroulé à Ua Pou cette semaine est l’évènement culturel fédérateur des Marquises. Ou pas. Le groupe Kakaia, “retiré” de la programmation par l’organisation, a décidé de monter son propre spectacle, une sorte de contre-festival. Le spectacle de Kakaia est nimbé de critique du christianisme. Ses membres revendiquent “leur liberté”, le Hakaiki Joseph Kaiha leur oppose “l’unité”. Il a pris un arrêté pour les faire taire. Ambiance…
 
Chaque Matava’a aux Marquises apporte son lot de surprises et ce qui devrait être un moment de rassemblement et d’unité voit parfois poindre des tensions et des divisions. En 2017 à Tahuata par exemple, seul l’hymne marquisien avait été entonné, ce qui n’avait pas été du goût des personnalités du Pays et de l’État qui avaient quitté la manifestation. Cette année, un groupe quelque peu rebelle, donne dans la récidive. Le groupe Kakaia, lors de l’édition 2015 à Hiva Oa, avait déjà défrayé la chronique et choqué une partie de l’audience. Lors de leur spectacle, ils avaient mis en scène le rejet du christianisme par les Marquisiens. Ils avaient même mis le feu à une croix sur scène.

Cette année à Ua Pou, Kakaia a carrément décidé d’organiser son propre festival suite à leur éviction de la liste des inscrits officiels. Initialement inscrit au programme du Matava’a, Kakaia a été retiré de la liste officielle trois mois avant l’ouverture. Le groupe a aussitôt décidé de se produire sur sa propre scène, située en face du site Anauu, lieu officiel des manifestations. Qui plus est, ils ont fait débuter leur programme la veille de l’ouverture du festival officiel. Et à la fin de la première soirée, dimanche, au cours de laquelle le christianisme a de nouveau été mis à mal, la chorégraphe des filles et nièce du tavana, Gaëlle Kaiha, a annoncé la fin de l’aventure. “C’est notre première et dernière prestation car le tavana de l’île, Joseph Kaiha, a pris un arrêté pour nous empêcher de danser”.

"Je pense qu'on dérange"

Sur le conflit qui remonte à plusieurs mois, elle donne son avis. “Je ne sais pas pourquoi on nous a exclu. Je pense qu’on dérange (…). Ils nous ont reproché de diviser la population. Comment une petite troupe de 15 personnes peut diviser la population ? La présidente du Comité organisateur du Matava’a ne nous a pas donné de réponse satisfaisante donc nous sommes allés voir le maire. Il nous a demandé d’intégrer le groupe de l’île si on voulait s’exprimer. Nous avons refusé car nos costumes et nos danses étaient prêts”. Et concernant l’installation du groupe et de sa scène sur un terrain privé, Gaëlle Kaiha assure que “On ne se produit pas en même temps qu’un groupe qui est prévu dans le programme du festival. On ne veut pas perturber cet évènement (…). On veut juste s’exprimer, c’est tout. On ne fait rien de mal. (…) C’est quoi un festival, c’est une manifestation culturelle. Le festival n’appartient pas à un groupe, à une personne, il appartient à tous les Marquisiens pour former un seul peuple et pour fêter une seule culture. Point”.

Dimanche soir, c’est avec plus d’une heure de retard que le groupe Kakaia a commencé son spectacle. Un des membres du groupe a même annoncé que le spectacle allait être annulé : “On attend l’arrêté stipulant l’interdiction de se produire chez nous, sur nos terres pendant le festival. Et, en attendant cet arrêté, on va vous offrir quelque chose jusqu’à ce que quelqu’un nous arrête ou qu’on nous l’interdise”. Finalement le groupe Kakaia a présenté tout son spectacle devant quelque 150 spectateurs. L’arrêté est ensuite tombé et le reste du programme a été annulé.

"Dans l'art, il y a une certaine liberté"

Pierre Kaiha, le patriarche de la troupe, considère que l’arrêté municipal interdisant toute manifestation “n’est qu’un bout de papier (…). Mais ce soir on a gagné. Pour moi ce bout de papier n’est pas légal, mais tous ceux qui ont applaudi, pleuré ou ri ce soir, ça c’est légal et c’est cela notre but, le partage. C’est cela l’évolution des textes de loi, des articles. (…) Ces jeunes ne font que s’exprimer, il faut accepter l’évolution. (…) C’est avec la joie, la paix et le partage qu’on peut construire. Et tout cela c’est de l’amour, l’amour de la culture, cela facilite les choses. Tu n’as pas besoin de faire la guerre ».

Pour ce qui est du christianisme ciblé par Kakaia, Kahu Kaiha, le leader des garçons du groupe donne sa position. “Dans l’art il y a une certaine liberté et si tu n’es pas libre dans ton art tu n’es pas un artiste. Ce qu’on fait c’est de l’art. C'est de la scène. En plus, il faut dire la vérité i: l y a des choses qui ont été faites avant et qu’il ne faut pas taire. C’est une partie de l’histoire. On n’a rien inventé”.

"J’appelle cela de l’orgueil…"

L’arrêté municipal ayant mis fin aux prestations des mutins, restait à obtenir l’avis de son auteur. Le Hakaiki Joseph Kaiha se défend ainsi : “le Matava’a est un évènement fédérateur donc on ne divise pas un évènement fédérateur tel que celui-là. On a une organisation, un programme d’ouverture et quand tu as une manifestation d’un petit groupe de 20 personnes qui ouvre avant le Matava’a et qui fait les mêmes choses que le Matava’a, je ne peux pas laisser faire ces choses. Pour éviter tout cela j’ai pris un arrêté annulant toutes les activités culturelles et artistiques dans un petit village qui a été créé sans autorisation, sans formalités administratives et sans dispositif de sécurité. (…) Je les ai rencontrés et invités à rejoindre le groupe de Ua Pou. (…) mais ils n’ont rien voulu entendre et ils ont continué à faire les choses comme ils veulent. J’appelle cela de l’orgueil… C’est dommage d’en arriver là mais certains ont préféré rester dans leur petit coin. Il n’y a pas deux Matava’a ”. Le comité organisateur du Matava’a, lui, n’a pas voulu s’exprimer sur ce sujet.

Rédigé par Tahia Ekle le Jeudi 19 Décembre 2019 à 18:59 | Lu 6599 fois