Tahiti Infos

Il y a 80 ans, les Tamari'i dans l’enfer de Bir Hakeim


Tahiti, le 28 mai 2022 - Le Bataillon du Pacifique est entré dans l’histoire à Bir Hakeim, fin mai début juin 1942. Sous la plume de Jean-Christophe Shigetomi, Tahiti Infos se propose de retracer les dures heures de ces combattants héroïques.  Aujourd’hui, la défense de Bir Hakeim sous le feu ennemi, du 27 au 30 mai 1942.
 
Un point d'eau désaffecté au milieu du désert de Libye. Depuis le 15 février 1942, cela fait trois mois qu’ils attendent dans le camp retranché de Bir Hakeim. Mais dans la nuit du 26 au 27 mai, les Tahitiens et les Calédoniens entendent le ronronnement du moteur des chars ennemis qui se préparent au combat. Et le 27 mai 1942, au matin la division blindée italienne Ariete du général Stefanis se jette sur leur position par le sud-est.
 
L’épreuve du feu
 
“Les chars de la position se ruent sur nos positions”, se souvient Jean Roy Bambridge. “J’attends en pointant ma mitrailleuse tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre. Il y en a, au moins une centaine, et je ne sais pas sur lequel je vais concentrer mon tir. Je crois bien qu’avec ma vieille Hotchkiss, ce sera peine perdue. Mais je me dis également que je ne vais pas me laisser trouer la peau sans réagir et tenter quelque chose.”
 
Soixante-dix chars de type M13/40 du 132e régiment de chars, le 8e régiment de Bersaglieri (tirailleurs) et le 132e régiment d'artillerie foncent sur le point d'appui sud-est de Bir Hakeim. Les Bersaglieri surpris par les tirs fusant des artilleurs de Bir Hakeim ne peuvent prendre part à l’assaut et sont rapidement contraints au repli.
 
“Et voici, que nous ouvrons le feu”, relate Jean Roy Bambridge. “Qu’est-ce que je vide comme chargeurs ! Je ne sens vraiment pas la peur car ça pétarade de tous bords. On est pour ainsi dire excités.”
 
Les blindés italiens chargent sans aucun appui et tentent de traverser le marais de mines.
 
“L’assaut se porte sur les Tahitiens de la compagnie lourde qui était à plusieurs centaines de mètres sur notre gauche”, se souvient Jean Tran Ape. “Nous étions aux premières loges. Nous avions pour instructions de ne pas tirer afin de ne pas dévoiler notre position par la poussière qui aurait été générée par nos tirs. Nous devions tirer qu'à la dernière minute. Nous avons assisté à toute l'attaque : ils y avaient une soixantaine de tanks. Une trentaine fut détruits par l'artillerie et par les champs de mines ou ils sautaient.”
 
“Avec la 1re compagnie et la section calédonienne de Bellec, nous étions positionnés du côté de la chicane tenue par le bataillon”, ajoute John Martin. “C’est la section lourde de la 2e compagnie avec les 75 de Walter Grand qui a accueilli le choc des blindés italiens.”
 
En une demi-heure, trente-trois chars sont immobilisés par les mines, le tir des canons d'artillerie et celui des canons antichars des 3e Bataillon de Légion, du BIM et du BP1 qui convergent en ce point.
 
Six d'entre eux parviennent à s'infiltrer à l'intérieur de la position française. Ils sont détruits à bout portant par les canons de 75 de la 2e  compagnie lourde de Walter Grand ou achevés par les légionnaires à la grenade incendiaire. Des hommes se roulent sur le sable en hurlant. Les assiégés n’ont ni le temps ni l’envie de compatir à leurs souffrances.

Le Tamar'i' Volontaire Georges Durietz.
Le Tamar'i' Volontaire Georges Durietz.
Le Tamari’i Volontaire Georges Durietz nous livre son témoignage en langue tahitienne : “Les Allemands ont essayé d’avancer avec … les chars. Et cette compagnie, elle était italienne, Ariete. Un char est complètement rentré à 6 mètres au milieu de nous, lorsqu’il a été touché. Mais dès 4 heures, ces chars se sont retrouvés entassés, criblés de balles, entassés. Bon, ils n'ont pas réussi. Ah l’infanterie a attaqué, en se rapprochant, avec un tir plus puissant. Ah, les voilà, ils avancent en rampant, nous continuons à tirer à coups de canon. Cela n'a pas non plus réussi.”
Ce témoignage est tiré d’une heure trente minutes d’enregistrements. Avec le concours de Jacques Vernaudon, maître de conférences en linguistique, de Mirose Paia du département Lettres, langues et sciences humaines de l’Université du Pacifique, de Georgette Durietz, sa fille, des deux petites filles de Georges Durietz nées Chicou et de Vahi Tuheiava Richaud, un long travail de retranscription et de traduction a été effectué. L’ensemble de ces retranscriptions doit faire l’objet d’une publication dans une prochaine édition du Bulletin de la société des études océaniennes.
Toti Durietz né le 31 décembre 1914 à Tiarei, fils de Paete et de Temana a Raihauti s’engage le 11 février 1941 dans les Forces françaises libres. Toti Durietz va faire toutes les campagnes du bataillon du Pacifique et sera cité à l’ordre du régiment : Vétéran de toutes les campagnes de la France libre. Excellent soldat, courageux et calme eu feu. Croix de guerre avec étoile de bronze, Médaille coloniale avec agrafes Lybie 42, Bir Hacheim, Tripolitaine, Tunisie. Médaille de la résistance.
Le Néo-calédonien Édouard Magnier témoigne : “Après deux heures de combat, trente-trois chars sont en bouillie ainsi qu’une dizaine de camions. L’ennemi laisse environ quarante morts que nous enterrons.”
 
Après trois mois de patrouilles dans le désert de Bir Hakeim et d’accrochages avec l’ennemi omniprésent, le Pacifique est prêt pour une grande bataille. Le lieutenant-colonel italien Pasquale Prestissimone qui a commandé l'assaut du 132e régiment de chars, blessé, est fait prisonnier.
 
Édouard Magnier : “Parmi les prisonniers, il y avait un colonel et quatre lieutenants. Le nombre de prisonniers, ceux faits pendant l’assaut, puis lors de nos patrouilles d’attaque de voitures isolées se montera à une centaine environ. Ces prisonniers étaient assez mal habillés et leurs véhicules de vieux modèles.”

Blindés de la division italienne Ariete. (Illustration Jean-Louis Saquet).
Blindés de la division italienne Ariete. (Illustration Jean-Louis Saquet).
Bombardés par erreur
 
Le 28 mai 1942, la journée est assez calme. La Royal Air Force, qui croit que la position de Bir Hakeim est investie par Rommel, la bombarde en  visant les carcasses de chars italiens.
 
Sont tués sous leurs obus le sergent François Nicolas, originaire de Métropole, militaire de carrière en poste à Tahiti et engagé dans le contingent tahitien, et le soldat tahitien de 2e classe Siméon Maratai. Robert Asmus est blessé à la tête par un éclat ; il est évacué sur Alexandrie le 1er  juin 1942.
 
Le capitaine de Lamaze fait alors incendier les épaves pour diminuer le risque de méprises. Le Néo-calédonien Gaston Rabot écrit dans son livre de marche : “Malheureusement, (…), il y a deux morts : le sergent- chef Nicolas et un tahitien. L’un des deux a eu la tête coupée par une bombe ; plusieurs blessés, dont le sergent Asmus, bien touché.”
 
Yves Gras : “Il faut une erreur de la Royal Air Force, le 28 au soir (…) Neuf bombardiers Boston survolant le camp retranché à mille cinq cents mètres d’altitude lâchent une quinzaine de bombes sur les positions du BP1, lui causant deux tués et deux blessés.”
 
Benjamin Favreau : “Vu du ciel, dans l’uniformité du désert et le voile permanent de poussière, rien ne devait ressembler autant à une position allemande qu’une position française ou anglaise : il était indéniable qu’il y eût des méprises. Dans l’une d’elles je perdis mon pauvre Nicolas (…) chez Asmus, il y avait un blessé qu’on entourait déjà ; à côté mon sergent-chef gisait sur le bord de son trou, scalpé (…) Pendant, un certain temps, les Tahitiens délaissent la guitare ce qui était, chez eux, avouer un chagrin sincère.”
 
Après 3 jours de combats
Le 29 mai, les blindés anglais et allemands s'affrontent au nord dans le secteur de Knightsbridge.
 
Le Néo-calédonien Roger Ludeau écrit : “Il y a au Nord-est de Bir Hakeim vers El Aden Gazala une formidable bataille de chars, la terre en tremble jusqu’ici. Pourtant nous sommes peut-être à vingt kilomètres (…) près de mille blindés sont aux prises (…) le corps de bataille anglais avec quatre cents de leurs meilleurs chars a été anéanti à Accroma.”
 
Les 15e et 21e Panzers divisions, la 90e division légère de l’Afrika Korps et deux divisions du 20e corps d’armée italien, la blindée Ariete et la motorisée Trieste, infligent des pertes aux unités blindées britanniques de la 150e brigade qui, surprise, ne peut que résister que de façon désordonnée aux germano-Italiens.
 
La 3e brigade indienne est anéantie et deux brigades britanniques, la 4e blindée et la 7e motorisée bousculées doivent se replier sur Bir-el-Gobi et El-Adem, laissant Bir Hakeim isolé. La Brigade française prend sa part de combat en attaquant et détruisant les véhicules isolés, les convois de ravitaillement ou de réparation qui passent à sa portée.

Rédigé par Jean-Christophe Shigetomi le Samedi 28 Mai 2022 à 11:55 | Lu 1282 fois