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Il y a 80 ans : La “religion de l’eau” à Bir Hakeim


Tahiti, le 2 juin 2022 - Le Bataillon du Pacifique est entré dans l’histoire avec les honneurs à Bir Hakeim en juin 1942. Sous la plume de Jean-Christophe Shigetomi, Tahiti Infos se propose de relater les dures heures de ces combattants héroïques. Aujourd’hui, comment les forces de Bir Hakeim ont vécu huit jours pilonnés par les forces de l’Axe et dominées par la soif du 2 au 10 juin.
 
Dans le Sud du désert de Libye, la place forte de Bir Hakeim est organisée autour d'un ancien puit romain asséché, à côté duquel un fort ottoman a été construit. La garnison des forces françaises libres commandée par le général Koenig compte 3 826 hommes, dont ceux du Bataillon du Pacifique. Et malgré un dernier ravitaillement en eau et munitions opéré durant les journées du 28 mai au 1er juin, les réserves du camp retranché français vont s’avérer très limitées et précieuses, particulièrement celles en eau, pendant les huit jours de combat et d’encerclement menés par les forces du général Rommel, du 2 au 10 juin 1942. Car, si dans le désert de Libye l’ensoleillement est très important tout au long de l'année, les températures atteignent 40 à 50°C en juin. Et les pluies sont inexistantes.

Ce qui nous abattait le plus, c’est la soif”
 
Pendant l’installation à Bir Hakeim, le général Koenig avait prévenu les Tahitiens et les Calédoniens : “Mes amis, vous aurez désormais la religion de l’eau”. Et de fait, le précieux liquide est rationné à raison de 3,5 litres par homme et par jour, pour la cuisine et la toilette. Comme tout un chacun, le Tamari’i Robert Hervé économise l’eau. Un quart de litre lui suffit pour effectuer sa toilette. Il s’est même fait raser le crâne pour ne pas avoir à se laver la tête. “Soif. Soif. Malgré les fantastiques bombardements aériens et le pilonnage systématique des gros obus qui ne cessaient de pulvériser tous les jours nos positions, ce qui nous abattait le plus, c’est la soif”, témoigne Roger Ludeau. Benjamin Favreau, se souvient aussi d’une anecdote : “Pétis habitait ma tranchée (…). On le vit bondir hors de son abri, une clé à molette et un bidon à la main, dévaler jusqu’à la chicane puis se mettre à recueillir la vidange de radiateur du camion qui venait de sauter sur une mine. Ce lourd véhicule était chargé de munitions, et les Allemands, un moment surpris, s’étaient mis à l’arroser avec une mitrailleuse lourde. Mais Pétis n’en avait cure : abrité par le radiateur, il buvait à grandes gorgées l’épais mélange d’eau, de terre et de mazout.” Le comportement n’est pas isolé. Les réserves d’eau des radiateurs de véhicules sont régulièrement siphonnées.
 “E 'imi 'oe i te rāve'a. Fa'ati'a noa rā vau nō'u, 'e’ita vau e fa'ati'a nō te ta'ata : Rave vau hō'ē 'ōfa'i na'ina'i mā maita'i, tu'u ai i roto i ta’u quart pape. 'Aita e huare fa'ahou, marō roa.” [On doit se débrouiller pour trouver une solution. Je ne parlerai que de moi, je ne parlerai pas de quelqu’un d’autre : J’ai pris un petit caillou bien propre pour le mettre dans mon quart (de litre) d’eau. On ne salivait plus, on avait la gorge sèche], témoigne Georges Durietz. “'E, 'aita te rāve'a, eita hō'ē goutte. Nō reira tā'u parau ia Ma'itere, e haere vau e tāmata e hi'o i terā mea. Terā pere’o'o, 'aita ānei e toe ra te pape i roto i te radiateur[Oui, pas d’autre moyen, plus une goutte. C’est pourquoi j’ai dit à Ma’itere, je vais essayer d’aller voir ce truc. Dans ce véhicule, pour voir s’il ne reste pas d’eau dans le radiateur.]
Et, de fait : “L’ordre était de toujours tenir les véhicules pleins d’eau et d’essence, se souvient John Martin. Mais le 10 juin, lors de la sortie de vive force, au bout de deux ou trois kilomètres, beaucoup de voitures sont tombées en panne par manque d’eau.”

“Le coup de Bellec”
 
Plus une goutte d’eau. La gorge sèche. La langue pâteuse. Roland et moi avons décidé de boire, coûte que coûte, notre urine”, se rappelle même le Tamari’i Raoul Michel-Villaz. “Il fallait vraiment du courage. Nous avons fait dans notre quart. Nous avons installé un mouchoir avec un peu de sable dedans pour servir de filtre et nous avons passé le liquide dans un autre récipient. Nous avons laissé un peu refroidir pendant un instant et comme toujours avec le sourire, nous avons trinqué. Nous l’avons avalé comme une purge. Ce n’était pas trop désagréable au goût. Nous ne demandions qu’à attaquer pour partir ?”
 
Une nuit de brouillard permet un ravitaillement providentiel du camp de Bir Hakeim au cours de ces huit jours de siège de la place forte. Elle permet l’arrivée d’un dernier convoi dans la nuit guidé par l'audacieux et téméraire aspirant Bellec. Jean Bellec, l’intrépide navigateur du désert, rejoint le bataillon du Pacifique en juin 1942. Il donnera toute sa mesure comme navigateur au sein des Jock colonnes et comme conducteur de convois de ravitaillement en montrant, en toute circonstance, une intrépidité vite devenue légendaire. Ce soir-là, il passe à travers les lignes allemandes pour aller du camp retranché au convoi. Après avoir passé toute la nuit dehors, échappant à la surveillance de l’ennemi, il ramène au matin cinq camions-citernes pleins d’eau. Le Calédonien Jean Tran Ape participe à cette opération de ravitaillement. “Le coup de Bellec (…). Ça c’est les Pacifiens”, saluera le général Koenig.

Rédigé par Jean-Christophe Shigetomi le Jeudi 2 Juin 2022 à 19:26 | Lu 1059 fois