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Hine Moana : histoire d'un périple avec des femmes d’un autre genre


Hine Moana : histoire d'un périple avec des femmes d’un autre genre
Rien ne prédestinait vraiment Diana Tchung au voyage de Pacific Voyagers, projet expérimental, à la fois pédagogique et environnemental initié par Ditte Jorgensen, homme d’affaires allemand. Sept pirogues venant de 7 communautés du Pacifique voyagent actuellement en flottille, parmi lesquelles la pirogue Faafaite, qui représente la Polynésie française.
Diana Tchung fait partie de l’équipage de Faafaite, elle s’est tout d’abord investie dans cette aventure au contact de son mari, Jean-Claude TEREROITERAI, homme féru de culture polynésienne qui a tout récemment recomposé la carte des étoiles tahitienne. Il y a deux semaines environs, pour le trajet Bora Bora- Aitutaki, Diana a rejoint HINE MOANA une pirogue dont l’équipage fut uniquement composé de femmes. Une première dans l’histoire de la navigation polynésienne. Retranscription du témoignage de Diana Tchung, transformée par ces 5 jours, au contact de femmes hors du commun.

Photo : Rui Camilo sur www.pacificvoyagers.org
Photo : Rui Camilo sur www.pacificvoyagers.org
« Un équipage de femmes, c’était inespéré. »

« Le matin même, à Bora Bora, le capitaine Duncan fait une réunion. Il me regarde et me dit : « Diana, est-ce que ça t’intéresserait d’intégrer une pirogue de femmes ? De Bora Bora jusqu’à Aitutaki ». Aitutaki est une île au nord est de Rarotonga. Ça fait partie des îles Cook. Sans hésiter j’ai accepté. Ils devaient choisir deux femmes de chaque pirogue pour aller sur Hine Moana. Nous sommes 16 à bord. Magnus, capitaine et responsable de la flottille, était là surtout pour la sécurité, mais le véritable capitaine, c’était une femme. Une Tongienne, Onaufo, une belle femme, avec une prestance et un charisme extraordinaire.
Je ne peux pas expliquer vraiment cet enthousiasme que j’avais à aller naviguer sur une pirogue avec uniquement des femmes. Je trouvais cela extraordinaire, cet équipage de femmes, qui devait se débrouiller comme ça sur une pirogue à voile, seules, sans l’aide des hommes, c’était un véritable challenge. Déjà c’était un défi de pouvoir faire ce voyage avec que des hommes, mais là, un équipage de femmes, c’était inespéré.
Je savais que Ditter avait ça en projet : il en avait parlé quand on était en séminaire à Fare Hape. C’est sa pirogue Hine Moana. Mais il ne nous en avait pas dit plus que ça : sur quel tronçon ? Comment ça allait se passer ? C’était la surprise totale. C’était un tel bonheur. Je ne les connaissais pas du tout, ces femmes.
Deux d’entre nous ont été choisies. Il y a eu une réunion, à 13h avec toutes les femmes qui partaient et aussi les capitaines de chaque pirogue. On nous a annoncé que les Néozélandaises voulaient rester sur leur pirogue Haunui … Il n'y avait plus de place, alors j’ai demandé à avoir une 3ème femme de Faafaite : Astrid Hoffman devait descendre à Bora Bora et elle a saisit sa chance pour continuer.
A 16h, on devait être sur Hine Moana. Soit 3 heures seulement après la réunion.


La vie à bord

A l’intérieur de la pirogue, c’est très serré (rires). Tu descends dans les coques ; il y a 8 couchettes dans une coque et 8 couchettes dans une autre coque ; il y a une allée au milieu, une toute petite allée, et sous ta couchette, il y a un plateau où tu peux mettre tes affaires. Sauf qu’il y a deux endroits où il y a la quille qui gêne, en plus il y a une batterie, il y a la nourriture qu’il faut stocker, bref, tu enjambes tout quoi ! Et en plus, il y a l’eau, les bidons d’eau, les provisions, il y en a partout. On case tant bien que mal, on essaie de se débrouiller pour ranger nos affaires, tu te fais ta place.
Tout le ravitaillement est bien mesuré, surtout l’eau. Pour les longs trajets, 30 bonbonnes d’eau. Il faut que tu utilises deux bonbonnes par jour maximum. C’est 50 litres pour 16 personnes, pour boire et pour faire la cuisine. Il n’y a pas de gaspillage. Quand il y a des longs voyages, par exemple, on ne rince pas les assiettes à l’eau claire.
Il peut survenir des tensions vis-à-vis du ravitaillement, de l’eau. Nous sommes surtout sélectionnés sur notre caractère, notre capacité à vivre avec autrui… Il y a 3 choses qui sont tapu, incontournables : l’alcool, le sexe et la drogue, dont le tabac. Interdits sur la pirogue, c’est primordial. Pour éviter les conflits, il y a des règles à suivre. Déjà, tu obéis au capitaine. Lui, c’est le chef suprême, tu ne peux pas discuter ses ordres. A partir du moment où tu sais ça, il n’y a pas de conflits entre les personnes parce que nous sommes tous sur un même pied d’égalité. On est répartis par quart. On est entre 4 et 5 personnes dans chaque quart. Et donc, il y a une hiérarchie. On obéit d’abord au capitaine, ensuite à nos chefs de quart. Le capitaine répartit les ordres aux chefs de quart… Justement, j’ai trouvé cette expérience vraiment, vraiment enrichissante, parce que j’ai pu comparer ce qui se passait sur ces deux pirogues (Hine Moana/ Faafaite).

Hine Moana : histoire d'un périple avec des femmes d’un autre genre
« Pour te dire comment les femmes sont extraordinaires…»

Dès le début, on nous a toutes réunies : 3 Fidjiennes, 4 Samoanes, la dernière est montée après la passe (rire), elle s’est débrouillée et finalement on s’est retrouvées à 17. Je précise qu’on a un bateau suiveur : Evohe, qui nous suit partout avec un médecin à bord… Donc il y avait 5 Samoanes, 3 Tahitiennes, 3 Fidjiennes, 2 Tongiennes, 1 Maori… Un équipage de 16 femmes, plus le capitaine Magnus. Sur Faafaite on a privilégié la coque des femmes. Le capitaine dort avec les femmes. Toutes les femmes dorment à gauche, c’est comme ça sur Faafaite. Sur Hine Moana, le Capitaine n’avait pas trop le choix. Normalement, la coque de tribord, c’est masculin. Il y a une coque mâle et une coque femelle.
Sur Hine Moana, c’est différent. Là, c’est la 1ère fois qu’il n’y a que des femmes à bord et Magnus était le seul homme, c’est tant pis ou tant mieux pour lui (rire) en plus, toutes les communications se faisaient en anglais. Au début, on avait du mal avec les termes techniques. Il a fallu qu’on apprenne. On rigolait de nos incompréhensions … Nous on connaît ‘babord’ ‘tribord’, eux c’était ‘starbord’ etc., on se disait mais qu’est-ce qu’elle est en train de raconter ?!... RIGHT ! RIGHT ! Ou alors c’est les gestes ! Release ! Release ! Ah punaise et vas-y qu’on éclate de rire ! On riait pour tout et n’importe quoi ! Tout se faisait dans la bonne humeur. Rien à voir avec les hommes !


Organisation de la vie à bord : allier la rudesse de la navigation au réconfort.

Onaufo, dans un 1er temps, a déterminé les 3 chefs de quart. Ma chef de quart était une Tongienne, qui s’appelle Anna, l’autre chef de quart était Fidjienne, et une autre Samoane, Fanny, appelée à être futur capitaine.
Ensuite, Onaufo a dit « Chaque personne sera responsable de quelque chose sur la pirogue ». J’ai trouvé que c’était très bien, nous n’avions pas ça sur Faafaite. Donc elle a nommé deux responsables pour tout : responsables pour le pont, responsables pour la vaisselle, responsables pour le Fare Pora, la cuisine, là où le capitaine travaille, tous les instruments pour naviguer sont là, les cartes pour naviguer et tout… aussi des responsables pour les toilettes.

Hine Moana : histoire d'un périple avec des femmes d’un autre genre
Donc tous les responsables sont nommés. Elle nous explique le fonctionnement. Hine Moana est une pirogue un peu améliorée par rapport aux autres : Les toilettes ! Merveilleux ! Alors là ! Des toilettes de luxe ! Ouah ! Qu’est ce qu’on était heureuses, nous les 16 femmes ! Parce que sur nos pirogues respectives, quand tu vas aux toilettes, tu prends ton seau d’eau de mer, tu vas aux toilettes et quand tu as fini, tu verses ton seau et ça part dans l’eau. C’est comme ça. Quand les conditions sont fortes, et la nuit aussi, tu prends ton gilet de sauvetage, et tu t’attaches, et il y a une sangle qui relie comme ça (geste : la sangle passe entre les jambes) alors ça c’est très pratique pour nous, n’est-ce pas ! Tu te sangles à la ligne de vie avant d’aller aux toilettes, après ça bouge, tu te penches, ça bouge, tu prends le seau d’eau, tu te lèves, tu t’accroches où tu peux, tu ne peux pas vraiment t’asseoir alors tu t’accroches partout ! C’est très physique, mais en général, les garçons sont gentils, si la mer est très forte, ils vont chercher ton seau d’eau de mer.
Sur Hine Moana, les toilettes sont sur la coque arrière : On nous a tout bien expliqué, pour nous ça a été une découverte ; tu descends les marches, tu as la chasse d’eau, un lavabo et un miroir, comble du luxe !
Ce n’est pas comme sur les autres pirogues. Les déchets ne partent pas dans la mer, il y a une cuve qu’on vide en haute mer. Donc quand Hine Moana est à quai, on peut se servir des toilettes. Sur les autres pirogues, on est obligés d’aller à terre.
Onaufo nous a dit qu’elle se réservait le nettoyage des toilettes parce que sur la pirogue, c’est la partie la plus importante : il faut que ce soit le plus hygiénique possible. On ne peut pas se permettre en mer d’être malade à cause du manque d’hygiène. C’est la partie la plus ingrate du travail et c’est elle, notre chef, qui s’est réservé ça. Pour te dire comment les femmes sont extraordinaires… Parce que ce n’est pas un homme capitaine qui va penser à ce truc là et dire « moi je me réserve de nettoyer les toilettes », c’est plutôt des ordres, en général c’est ça un capitaine, mais elle, non.

Hine Moana : histoire d'un périple avec des femmes d’un autre genre
La 1ère chose qu’elle a fait, c’est de distribuer les rôles. J’ai trouvé ça vraiment bien. Chacun a son style, vraiment, chacun a sa façon de procéder.

Au niveau humain, ça a changé quelque chose en moi

Quand on est arrivées à Aitutaki, on a toutes pleuré. On ne voulait pas se quitter, on était vraiment bien ensemble. Une entente extraordinaire. On a passé notre temps à rire, à travailler dans la bonne humeur, c’était vraiment exceptionnel.
Jamais vu ça : On ne se connaissait pas mais d’un seul coup, c’était comme si on avait toujours été liées ; on était complices. Par exemple, si l’une d’entre nous n’était pas à l’aise, tout de suite, il y en avait deux ou trois à côté d’elle pour la soutenir, pour l’aider, pour partager… J’ai trouvé ces 5 jours d’ententes, de partages… Je vois le monde autrement.
C’est un autre de genre de femme, sur la pirogue. Ces femmes là, sur Hine Moana, ce sont des femmes extraordinaires qui ont voyagé, qui ont déjà navigué, qui ont des kilomètres, des miles dans le dos, qui ont une ouverture d’esprit autre que la petite bureaucrate qui n’a que sa petite famille, son mari, sa copine, sa rivale… il n’y a que ça dans son monde, un monde fermé.

Je dois voir autre chose

Sur Hine Moana, il n’y a pas d’histoires. Au contraire, on s’écoute, on se confie, l’une qui dit « j’ai laissé mon travail pendant un an », l’autre qui dit « J’ai 5 enfants »… Onaufo a 5 enfants, elle m’a confiée que lorsqu’elle est devenue veuve, elle s’est dit « C’est maintenant qu’il faut que je parte, maintenant ou jamais ».
Mais attention, elles n’ont pas été toutes meurtries, c’est juste qu’à un moment elles se sont dit « C’est la chance de ma vie, il faut que je parte, je dois voir autre chose » Je pense que c’est grâce à ça qu’il n’y a pas d’histoires, la vie est acceptée simplement.
Tu n’es pas puissante parce que tu es mère, mais parce que tu peux tenir la barre et puis voilà !
En plus, on se trouvait toutes belles (rire). La Fidjienne a des traits… quand elle est à sa barre… d’une beauté ! L’une d’entre elles aime les femmes, c’est son droit, elle a un look de mec et bien, elle est belle, c’est une belle fille ! C’est une autre forme de puissance : tu n’es pas puissante parce que tu es mère, mais parce que tu peux tenir la barre et puis voilà. La Maori, toute fine, toute menue, elle est forte ! Il faut la voir tenir la barre ! Elle m’a appris plein de chose ! Comment il faut regarder la voile quand tu tiens la barre, il faut que le vent tape toujours sur les voiles.


Les moments d’accalmie

C’est quand on n’est pas de quart. Quand le vent change de direction, là, il faut se relayer surtout au niveau de la barre, toutes les demi-heures. Mais ce n’est pas tout le temps comme ça. Quand c’est calme, on discute, on rigole, on mange, on mange souvent… Quand tu as envie d’être seule, tu es fatiguée, tu vas dormir. Et on t’oblige à aller dormir d’ailleurs. Comme après on prend les quarts à minuit, à 9h du soir, ou 3h du matin.
La seule chose dont je souffrais mais un tout petit peu, c’est plutôt le confort auquel je me suis habituée pendant toutes ces années, les toilettes, la douche, c'est-à-dire l’eau chaude. Quand tu te douches, si c’est calme tu peux aller à l’avant sinon à l’arrière… pour ton linge, tu l’étends là où tu peux à l’extérieur. Aussi, ce qui était difficile à supporter, c’est le soleil de plomb. Quelques fois, on s’obligeait à aller sur notre couchette à cause de la chaleur, même avec le vent. La coque aussi tellement remplie, tu es obligée presque de ramper.
Mais j’ai aussi pris mon petit coussin, j’aime bien dormir avec mon petit coussin ! La Fidjienne, Iva, elle a amené son doudou ! Le petit cochon, Piggo là, notre mascotte ! On s’est amusée avec.
Hine Moana : histoire d'un périple avec des femmes d’un autre genre

Une préférence pour la navigation avec les Femmes

Elles sont plus sensibles, elles devinent tout de suite quand tu es mal, heureuse, quand tu as un petit souci. Tu n’as pas vraiment besoin de parler, tout de suite, elles le ressentent. Elles t’entourent, elles te remontent le moral. On se fait des petits plaisirs à la cuisine, des petites choses, des petits gâteaux, on prend soin les unes des autres, si on a mal aux pieds, des massages… C’est les femmes quoi ! Des petits plaisirs.
Ils pensent qu’on n’est pas assez fortes pour certaines tâches.
Les hommes n’ont pas confiance en nous, alors qu’on est très capable de faire les choses, c’est « laisse, laisse, laisse ! », ils veulent montrer qu’ils sont forts. Ils ne nous laissent pas ou peu l’initiative.
A l’heure des bilans, certaines femmes le disent. Quand on veut travailler, ils se précipitent avant nous alors qu’on est très bien capables de tirer ou de descendre une voile.
Sur Hine Moana, on a tout fait. Arrivées à Aitutaki, on s’est toutes regardées, on s’est dit « On l’a fait, on est capable de naviguer sans les hommes. »


Diana Tchung est remontée sur Faafaite à Fidji, elle devrait faire partie du voyage jusqu’en Nouvelle-Calédonie. Là-bas, les pirogues remonteront la rivière Yengen sur huit kilomètres. Une équipe de tournage, pour le film The Blue Canoe, ainsi que quelques photographes dont Danee Hazama et Rui Camilo, accompagnent les 7 pirogues polynésiennes.
Hine Moana : histoire d'un périple avec des femmes d’un autre genre

Rédigé par Propos recueillis par Stéphanie A. Richard-Vivi le Mardi 26 Juin 2012 à 16:11 | Lu 2621 fois