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Haute saison, la peur du vide


Haute saison, la peur du vide
Tahiti, le 18 mai 2021 – Stupeur dans les rangs des professionnels du tourisme. Toujours en attente d’une échéance pour la réouverture des frontières vers la métropole, premier marché émetteur, ils ne comprennent pas sur quelle “base scientifique” s’appuie la condition des 70% d’adultes vaccinés. La crainte de voir s’envoler la haute saison, qui concentre 80% du chiffres d’affaires pour certains hôtels, est à son comble.
 
Ils attendaient une date, le ministre des Outre-mer leur a donné un chiffre : 70% de la population adulte vaccinée d’abord. La réouverture des frontières après. Il n’en fallait pas plus pour plonger les professionnels du tourisme dans un brouillard autrement plus épais. “On a quand même été abasourdi par ces propos. On se demande d’où sort cet objectif qu’on estime irréalisable”, s’impatiente le directeur de Tahiti by Pearl Resorts et coprésident du CPH (Conseil polynésien de l'hôtellerie) Christophe Guardia. Dubitatif comme l’ensemble de la profession, il ne comprend pas non plus sur quelles “données scientifiques” s’appuie cette condition à l’ouverture du ciel, notamment vers la France et l’Europe, premier marché émetteur devant celui des États-Unis. D’autant que la Polynésie accueille à nouveau les visiteurs américains depuis le 1er mai. “Pourquoi les touristes américains peuvent venir et pas les autres ?” interroge le coprésident du CPH.

“Pourquoi les outre-mer sont traitées à part alors qu’on a un taux d’incidence beaucoup plus faible que la métropole et un taux de vaccination plus élevé ? Pourquoi autoriser aux Métropolitains ce qu’on nous interdit à nous ?”, lui fait écho le P-dg d’ATN, Michel Monvoisin. “Ça nous a fait un choc”.

L’objectif des 70% est d’autant plus troublant que selon les premières projections, il ne sera pas atteint avant quatre à six mois sans une accélération de la campagne, qui semble au contraire se tasser. Difficile dans ces conditions d’espérer sauver la haute saison. Les conséquences de l’absence de perspectives risquent d’être “immédiates”, avec “des annulations en masse” craint le patron de la compagnie au tiare. “On a tout un petit portefeuille de réservations mais qui sera au moins divisé par deux si les Européens ne peuvent pas venir. On ne pourra même plus parler de haute saison”, renchérit Christophe Guardia.

-82% de fréquentation touristique

Déjà au plus mal, la fréquentation touristique poursuit sa descente aux enfers. Selon la veille des marchés de Tahiti tourisme, elle accuse une chute vertigineuse de 82% entre le 1er janvier et le 14 mai 2021, soit un grand total de 6 516 voyageurs, contre plus de 33 000 en 2020. “Les Américains seuls ne suffiront pas à nous permettre de tenir la barre de nos entreprises. Alors c’est sûr, on nous promet des aides, mais on ne veut pas vivre des aides qu’il faudra rembourser un jour”, rappelle le coprésident du CPH. “La haute saison représente au moins 80% du chiffre d’affaires pour certains hôtels et certaines îles, où la saisonnalité est très marquée.”
Sombres prédictions également du côté de l’InterContinental Tahiti. “Si aujourd’hui on ne peut pas rouvrir le marché européen pour la haute saison, on va perdre 30 à 40% de réservations confirmées”, indique le directeur régional du groupe, Guillaume Epinette. “Il faudrait au moins une date”. Une échéance qui permettrait notamment aux tour-opérateurs de se retourner, leur évitant ainsi une perte de temps et d’argent. “Ils savent qu’ils vont avoir besoin de staff pour annuler, refaire les itinéraires, ou se réajuster par rapport au nouveau planning des vols internationaux. Ce n’est pas productif pour eux”.

Une catastrophe

A ce rythme, le directeur de l’Aranui n’écarte même plus un licenciement économique. “On est pris entre deux feux croisés, en 2020 près de 60% des clients ont reporté à 2021, ces reports, on est en train de les annuler et on a n’a pas de nouvelles réservations, c’est la catastrophe, déplore Philippe Wong. On va commencer à rembourser les PGE, on a entamé notre trésorerie, alors qu’on a aucune entrée d’argent. Même si on a eu des aides comme le FSE, elles sont largement insuffisantes”.

Mais ce que les professionnels appréhendent par-dessus tout, c’est de perdre la confiance des marchés émetteurs au profit de destinations concurrentes, à l’instar des Maldives. “Si les agences envoient leurs clients ailleurs, il va falloir mettre les bouchées doubles et mettre beaucoup plus de budget pour les reconquérir”, redoute Guillaume Epinette.

Vivre du travail, pas des aides

Néanmoins conscients et reconnaissants des aides déployées par l’État et le Pays, la profession rappelle qu’après 18 mois d’activité au ralenti, il devient urgent de “pouvoir travailler”. “Tant qu’il y a le Diese il n’y aura pas de licenciement, mais il ne durera pas ad vitam aeternam, souligne Christophe Guardia. Mais surtout il faut qu’on remette nos employés au travail. On veut vivre de notre travail et pas des aides.” 

Dans cet état général de lassitude, le directeur de Tahiti tourisme, Jean-Marc Mocellin, invite à ne pas focaliser sur les 70% évoqués par le ministre. “Il disait ça surtout pour inciter la population à se faire vacciner pour soutenir l’économie et c’est normal, c’est son rôle”.

En tenant compte des chiffres de l’enquête de prévalence, soit “25% d’immunité déjà acquise à Tahiti et Moorea”, il estime que la Polynésie n’est pas si loin du compte. Ainsi confiant dans les capacités du Pays à atteindre “un bon niveau d’immunité collective” via la politique de vaccination, il suggère au contraire de maintenir le cap sur une réouverture du ciel au 1er juillet. “C’est l’objectif, ce qui ne veut pas dire que c’est une date ferme et définitive, mais c’est cette date-là qu’il faut donner aux tour-opérateurs, en expliquant aux voyageurs le protocole et les formalités d’entrée qui privilégient les personnes vaccinées ou immunisées d’une précédente contamination”. C’est d’ailleurs ce discours que Tahiti tourisme tient aux chefs de produits qui commercialisent la destination. Si toutefois cette date tombait à l’eau, le directeur l’admet : “on ne serait pas bien”.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Mercredi 19 Mai 2021 à 17:23 | Lu 3142 fois