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François Badie : "Pas de passe-droits, pas d'acharnement, mais pas de complaisance"


François Badie, vendredi lors de l'audience solennelle d'installation. Il est le nouveau procureur général près la cour d'appel de Papeete.
François Badie, vendredi lors de l'audience solennelle d'installation. Il est le nouveau procureur général près la cour d'appel de Papeete.
PAPEETE, le 25 septembre 2015 - Le nouveau procureur général près la cour d'appel de Papeete François Badie, installé dans ses fonctions le 1er septembre dernier, a tenu ce vendredi en audience solennelle son discours de présentation en présence d'élus et de personnalités. Ancien chef du Service central de prévention de la corruption (SCPC) auprès du ministère de la Justice, il a distillé quelques messages.

Le parcours du successeur de Jean-François Pascal à la tête du parquet général de Papeete est riche. Juge d'instruction dans l'affaire criminelle de la French connection et l'assassinat du juge Michel puis dans le dossier du "parrain" Gaétan Zampa à Marseille, François Badie a également eu à connaitre lors de son passage à la chambre d'accusation du parquet général d'Aix-en-Provence les affaires clientélistes des anciens élus du sud de la France Jacques Médecin, Maurice Arrecks, ou encore l'assassinat de la députée Yann Piat.

Observateur électoral sous l'égide de l'ONU dans des pays exposés comme le Salvador ou le Cambodge, ce magistrat de 63 ans sera par la suite détaché au quai d'Orsay comme magistrat de liaison entre la France et l'Espagne sur fond d'activisme terroriste avec l'organisation indépendantiste ETA.

Procureur général à Nouméa de 2004 à 2008, il occupait depuis cinq ans, avant son affectation en Polynésie française, la tête du Service central de prévention de la corruption (SCPC) auprès du ministère de la Justice, à Paris.

Exigence accrue de transparence

L'homme connait son sujet et a profité de son installation solennelle, vendredi devant un parterre de personnalités dans la grande salle d'audience du palais de justice de Papeete, pour distiller quelques messages : "En ce qui concerne l'application de la loi pénale : je ne citerai qu'un seul principe, celui de l'égalité du citoyen devant la loi. Pas de passe-droits, pas d'acharnement, mais pas de complaisance non plus".

Attendu sur le terrain de la corruption, qui secoue régulièrement le paysage politique polynésien, François Badie s'est adressé directement aux représentants du peuple : "Mesdames et messieurs les élus de Polynésie, au-delà des affaires pénales passées ou en court qui visent ou ont pu viser les uns et les autres, et dont la France entière a pu suivre certaines des péripéties, avec leurs conséquences politiques, vous savez que vous êtes redevables envers vos concitoyens des mandats qu'ils vous ont confiés et que votre action doit être guidée par la recherche de l'intérêt général".

Se disant "ouvert au dialogue", le magistrat a rappelé "l'exigence accrue de transparence, d'intégrité, de reddition des comptes" des citoyens et de la société toute entière et qui "n'a pas toujours été perçue par la classe politique".

Un appel aux lanceurs d'alerte

Après avoir rappelé ses cinq années passées à la tête du SCPC, en charge notamment "de développer la prise de conscience, la sensibilisation et la formation des agents publics, des élus, du monde de l'entreprise aussi, à la corruption, et de manière plus générale à ce que l'on appelle les atteintes à la probité (favoritisme, trafic d'influence, corruption active et passive, prise illégale d'intérêts, etc.)", le procureur général François Badie a insisté sur l'objectif "d'améliorer la détection de ces infractions" grâce, notamment, aux "lanceurs d'alertes" : "Ces personnes qui de bonne foi (sinon c'est une infraction de dénonciation calomnieuse punie par la loi) signalent aux autorités, et plus particulièrement à la justice, des infractions ou des soupçons d'infraction dont ils ont appris la possible existence".

Un devoir que le code de procédure pénale impose depuis longtemps déjà aux agents publics dans l'exercice de leur fonction par son article 40 alinéa 2, un article "parfois trop peu utilisé" et "qui doit être rappelé" a indiqué le magistrat : "Nous poursuivons pénalement les délateurs, nous protégeons les lanceurs d'alerte animés par le souci du bien public".

Des magistrats "à demeure" pour les affaires économiques et financières ?

C'est en tout cas l'idée soufflée ce vendredi matin par l'avocate générale, Brigitte Angibaud, dans son discours d'installation du procureur général François Badie. Passant en revue les spécificités qu'a à connaître l'action de la justice en Polynésie française, la magistrate s'est attardée sur les "très nombreux et complexes dossiers économiques et financiers, souvent hors proportion avec la taille de la juridiction, dossiers qui devraient normalement relever de la JIRS (juridiction inter-régionale spécialisée en matière économique et financière".

Après avoir rappelé que le siège de cette juridiction pour la Polynésie française se trouvait à Paris à 18 000 km de là, "rendant illusoire toute saisine utile laquelle impliquerait des déplacements et aboutirait à rendre encore plus complexe une situation qui l'est déjà suffisamment", Brigitte Angibaud a émis l'idée d'une "troisième voie" : "La solution consisterait sans doute à créer en Polynésie française, non une juridiction inter-régionale spécialisée, sans doute hors gabarit pour nos besoins, mais plus justement une antenne de la JIRS de Paris ce qui permettrait de disposer localement de magistrats supplémentaires, recrutés sur profils économiques et financiers, formés en conséquence et en capacité de dédier plus de temps qu'actuellement à une activité particulièrement chronophage et qui handicape sévèrement tant le tribunal de première instance que la cour d'appel".

Les violences domestiques et de rue ont doublé en 10 ans

Les "AVIP", comprenez "atteintes volontaires à l'intégrité physique", ont doublé en 10 ans, n'a pas manqué de relever le procureur général François Badie dans son allocution de présentation, sans pour autant dresser le bilan exhaustif de l'activité judiciaire, exercice réservé aux rentrées judiciaires de janvier.

"Les violences domestiques y compris sexuelles, les violences de rue et physiques, comme celles que Papeete a connu récemment dans la rue, ou le décès tragique et criminel du jeune Sandy, montrent qu'il existe à ce sujet un risque réel qu'il nous faut maîtriser". A ce titre comme à d'autres, le magistrat n'a pas caché l'importance qu'il accordait à la prévention. "Dans tous les secteurs de la délinquance (...) la délinquance routière où les efforts accomplis ont déjà porté leurs fruits mais doivent être poursuivis dans le temps sans relâche (...) la délinquance des mineurs où le rôle de l'éducation, à tous les niveaux, de l'école primaire jusqu'à la fin de la scolarité est ici essentiel, mais doit être accompagné tant que nécessaire".

L'avocat général Brigitte Angibaud, dans son discours d'installation tenu un peu plus tôt, a pour sa part indiqué que le nombre d'affaires que le parquet du procureur de la République avait à connaitre ne cessait d'augmenter depuis 2009, "à raison de près de 10 % chaque année portant aujourd'hui le nombre d'affaires poursuivables traitées par ce parquet à plus de 12 000 affaires criminelles et correctionnelles".

Un constat inquiétant pour la magistrate qui résulte selon elle de plusieurs facteurs : l'initiative de l'activité des services de police et gendarmerie mais aussi "une certaine dégradation de la situation économique" et "les ravages de l'alcool et du pakalolo".

Rédigé par Raphaël Pierre le Vendredi 25 Septembre 2015 à 17:10 | Lu 2282 fois