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Frais d’hospitalisation : Les assureurs l’emportent sur la CPS


Tahiti, le 16 juillet 2020 - Au terme de plusieurs années de procédures opposant la Caisse de prévoyance social (CPS) aux assureurs, la Cour de cassation a rendu le 23 juin une série de huit arrêts qui viennent clore le débat de la tarification des frais d’hospitalisation des victimes d’accidents ou de violences. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a en effet donné raison aux assureurs, qui estimaient que la CPS avait indûment appliqué des tarifs trop élevés à ses affiliés.
 
Depuis plusieurs années, la Caisse de prévoyance sociale (CPS) et les assureurs de Polynésie française s’affrontent devant différentes juridictions sur le tarif appliqué aux frais d’hospitalisation du Centre hospitalier par la CPS, lorsque cette dernière entame des recours contre des tiers en matière d’intérêts civils pour ces mêmes personnes. Concrètement, il s'agit typiquement des coûts d'hospitalisation payés par les assurances de coupables d'accidents de la route envers leurs victimes…
 
Saisie de plusieurs pourvois formulés par la CPS, la Cour de cassation l’a déboutée le 23 juin dernier en rendant huit arrêts qui viennent définitivement clore ce conflit. Elle a effectivement estimé que la CPS avait surévalué l’estimation des frais d’hospitalisation de victimes d’accidents ou de violences en appliquant un tarif destiné aux non-ressortissants, (pris en charge par la Sécurité sociale nationale), à des patients qui devaient bénéficier du tarif réservé à ses ressortissants.

Transfert du CHT au CHPF

Ces décisions de la Cour de cassation sont à inscrire dans un litige qui a vu le jour en 2010, lorsque le centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) a été transféré de Mamao à Taaone. A cette époque, et depuis 1998, l’estimation des frais d’hospitalisation fonctionnait sur un système double qui distinguait les ressortissants de la CPS des non ressortissants affiliés majoritairement à la Sécurité sociale. Or si le paiement des hospitalisations des ressortissants de la CPS est globalement intégré dans une allocation de dotation globale de fonctionnement (DGF) versée annuellement par la CPS au Centre hospitalier, les hospitalisations des non ressortissants de la CPS font l’objet d’une facturation spécifique à la journée fixée par arrêté en conseil des ministres. Problème, lors du transfert de l'hôpital en 2010, les responsables du Centre hospitalier ont été confrontés à une importante augmentation des frais de fonctionnement, tout en se heurtant au refus de la CPS d’augmenter la DGF. Pour faire face à la hausse de ses frais de fonctionnement, le CHPF avait alors décidé d’augmenter les tarifs des frais d’hospitalisation des non ressortissants. Des tarifs multipliés par cinq entre 2010 et 2015 !
 
Le rapport avec les assureurs nous direz-vous ? C'est que la CPS a choisi –assez arbitrairement– d'appliquer les tarifs d'hospitalisation réservés aux non ressortissants dans tous ses litiges en matière d’intérêts civils, même pour des personnes parfaitement affiliées à la CPS. Une situation qui n'a pourtant gêné personne tant que les tarifs entre ressortissants et non ressortissants étaient globalement les mêmes, mais qui a provoqué l'ire des compagnies d'assurances lorsque que les tarifs d'hospitalisation ont explosé sans véritable raison objective et uniquement pour les non ressortissants…
 
Cette augmentation a connu un premier coût d’arrêt en septembre 2016, lorsque le tribunal correctionnel, lors d’un jugement sur intérêts civils, a donné raison à un assureur qui avait soulevé la problématique. La juridiction avait alors estimé que ce dernier avait démontré "sans être sérieusement démenti, l’explosion des frais d’hospitalisation mis à la charge des patients relevant de la sécurité sociale métropolitaine dans ce qui pourrait s’apparenter à un transfert de charge". Le tribunal correctionnel avait par ailleurs affirmé que "la pratique de se calquer sur cette tarification pour l’exercice du recours contre les assureurs" était de "nature à leur faire supporter un coût d’hospitalisation supérieur au coût réel". Ce jugement avait été suivi par trois arrêts de la cour d’appel de Papeete en date du 23 février à l’issue desquels cette juridiction avait également reconnu que les tarifs d’hospitalisation applicables aux patients non ressortissants n’étaient pas applicables pour les patients ressortissants.

Révolte des assureurs

Par un jugement rendu le 19 septembre 2017, le tribunal administratif de Polynésie française avait lui aussi statué dans le même sens en affirmant que les tarifs d’hospitalisation destinés aux non ressortissants de la CPS ne "pouvaient fonder légalement les demandes présentées au titre de la prise en charge d’un ressortissant du RSPF". Un mois, jour pour jour, après ce jugement, le Pays avait adopté un arrêté autorisant l’extension des tarifs réservés aux non-ressortissants au recours contre tiers exercés par la CPS au nom de ses ressortissants. Ulcérés par le contenu de cet arrêté, le Comité des Entreprises d'assurances (COSODA) avait engagé un recours en excès de pouvoir contre le texte. Le 26 mars 2019, le tribunal administratif avait annulé cet arrêté en raison de l’incompétence du pouvoir réglementaire pour intervenir dans une matière relevant des principes généraux de la sécurité sociale… Le Pays n'est pas revenu à la charge.
 
Se basant sur l’annulation de cet arrêté, la cour d’appel a donc de nouveau débouté la CPS de ses demandes au titre de ses frais d’hospitalisation dans le cadre de cinq affaires pénales distinctes. Et c’est à la suite de ces décisions que la CPS a décidé de se pourvoir devant la Cour de cassation pour huit dossiers différents. En la déboutant de toutes ses demandes le 23 juin dernier, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a donc définitivement confirmé qu’aucun cadre légal ou réglementaire ne lui permettait d’appliquer les tarifs destinés aux non ressortissants à ses affiliés. Si le manque à gagner de la CPS dans le cadre de cette affaire est estimé à un milliard de Fcfp au bas mot, elle ne va pas pour autant "perdre" cette somme puisqu’elle l'a déjà intégrée dans la dotation globale annuelle au centre hospitalier...

​« Une victoire décisive contre un système illégal »

Très « satisfait » des arrêts rendus par la Cour de cassation le 23 juin dernier, l’avocat du COSODA et de plusieurs autres assureurs, Me Thibaut Millet, espère désormais qu’elles ouvriront la voie à « un débat sur le financement de l’hospitalisation en Polynésie française ».
 
Initialement, sur quels motifs étaient fondées les revendications des assureurs ?
 
« Les assureurs se sont émus de l’augmentation fulgurante des frais d’hospitalisation dont la CPS réclamait le remboursement. Ces frais ont été multipliés par deux chaque année entre 2011 et 2014, ce qui a abouti à des tarifs d’hospitalisation parmi les plus élevés de la République... En retraçant l’historique, nous nous sommes aperçu que les recours de la CPS étaient exercés illégalement sur de mauvais fondements juridiques depuis 1998, dans la mesure où la CPS appliquait les tarifs d’hospitalisation des assurés de la sécurité sociale et des étrangers, sans y être autorisée par la loi. Les vices juridiques affectant les recours de la CPS étaient cependant sans conséquence avant que l’hôpital ne soit transféré de Mamao au Taaone, car les tarifs appliqués étaient raisonnables. Lors du transfert au TAAONE, la CPS a refusé d’augmenter la dotation globale allouée à l’hôpital, et par conséquent, pour se financer, l’hôpital a actionné un second levier : il a augmenté les tarifs des ressortissants de la sécurité sociale et des étrangers, que la CPS appliquait illégalement à ses recours. Il en résulte que d’un côté la Caisse de prévoyance sociale ne couvre plus la totalité des frais d’hospitalisation du CHPF, mais qu’en plus elle récupère 3 à 5 fois sa mise dans le cadre de ses recours contre tiers. Nous avons mis à jour ce stratagème, et après quelques échecs, les tribunaux ont fini par nous donner entièrement raison, en rejetant unanimement les recours de la Caisse de prévoyance sociale. Aujourd’hui ce ne sont pas seulement les assureurs qui bénéficient de la condamnation de cette stratégie illégale, ce sont aussi des milliers de particuliers qui ont causé des dommages non pris en charge par une compagnie d’assurance, et qui peuvent désormais s’opposer aux demandes faramineuses qui sont parfois formulées au titre du remboursement des frais d’hospitalisation par la CPS. »
 
 
Au terme de plusieurs années de procédure, estimez-vous que les décisions récemment rendues par la Cour de cassation vont faire évoluer la situation ?
 
« Ces décisions de la Cour de cassation sont une victoire décisive contre ce système illégal que nous dénonçons depuis plusieurs années. Nous sommes parvenus à obtenir un revirement massif de jurisprudence, qui a donné lieu à une large publication par la Cour de cassation et nous en sommes très satisfaits. Nous restons attentifs à la réaction de la Caisse de prévoyance sociale et nous espérons que ces décisions ouvriront enfin un débat sur le financement  de l’hospitalisation en Polynésie française, que nous appelons de nos vœux depuis des années. »
 
 
Comment expliquez-vous que cette pratique ait perduré aussi longtemps? 
 
« Le système de financement des frais d’hospitalisation et des recours de la CPS contre les tiers responsables était particulièrement obscure. L’identification des irrégularités a nécessité d’importantes recherches et un travail d’analyse colossal, réalisé en concertation avec des juristes de plusieurs compagnies d’assurance et un médecin expert en réparation du préjudice. Ce travail était difficilement accessible pour des particuliers, et je pense que tant que les tarifs étaient raisonnables, personne ne s’y est vraiment intéressé... » 

Rédigé par Garance Colbert le Jeudi 16 Juillet 2020 à 17:50 | Lu 4583 fois