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Famille : un colloque pour comprendre les évolutions, briser les préjugés


Lucile Hervouet et Louise Protar, chercheuses en sociologie à la Maison des sciences de l’homme du Pacifique, sont co-organisatrices du colloque.
Lucile Hervouet et Louise Protar, chercheuses en sociologie à la Maison des sciences de l’homme du Pacifique, sont co-organisatrices du colloque.
TAHITI, le 24 août 2023 - La Maison des sciences de l’homme du Pacifique et l’Institut national des études démographiques organisent, quatre décennies après les derniers grands travaux sur la parenté polynésienne, un événement intitulé Entre “petite famille” et feti’i : changement social et dynamiques familiales en Polynésie française. Lucile Hervouet, chercheuse en sociologie, co-organisatrice, fait la lumière sur les objectifs et enjeux.

Qui sont les organisateurs de ce colloque ?
Nous sommes une petite équipe de 5 ou 6 chercheuses et chercheurs de La Maison des sciences de l’homme du Pacifique et de l’Institut national des études démographiques. À la Maison des sciences de l’homme, nous nous intéressons à des problématiques, nous répondons à des questions sur la mobilité, le fa’a’amura’a (adoption, NDLR), la violence intrafamiliale… nous avons une approche qualitative des sujets. À l’Ined, l’approche est plus quantitative. Nous avons donc des données complémentaires. L’objectif de ce colloque est de rendre compte des études de terrains, des enquêtes, des interviews, des recensements, tous réalisés avec une vision neutre. Cela permettra, nous l’espérons, de briser un certain nombre d’idées reçues.”

À qui s’adresse ce colloque ?
Au grand public mais aussi aux professionnels du secteur, ce n’est pas un colloque de scientifiques pour les scientifiques. Les communications ont été vulgarisées pour parler au plus grand nombre. Les résultats de nos recherches doivent nous amener à nous poser des questions, à formuler des réponses, des pistes, des stratégies. Nous espérons vivement de riches discussions avec des acteurs de terrain, des gens de la Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité, des représentants de l’assemblée…

Pouvez-vous nous préciser les périodes sur lesquelles vous avez travaillé ?
Nous avons prévu 18 communications de chercheurs de la Maison des sciences de l’homme du Pacifique, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), d’universités… mais aussi de représentants de l’Institut de la statistique de la Polynésie française. Les résultats présentés sont le fruit de cinq années de travail permettant d’avoir une visibilité, disons une photographie de la famille polynésienne aujourd’hui, de son évolution depuis le CEP.”

Les changements ont-ils été brutaux ?
Le CEP et l’aéroport ont entraîné une ouverture très rapide sur l’économie de marché. Rapide et contrainte car elle a vu le jour dans le cadre d’un rapport colonial. On parle de modernité comprimée. Nous avons cherché à savoir comment les familles ont absorbé ses influences.

Ce colloque répond-il à un besoin ?
Je vais parler pour mon domaine de recherche. Je m’intéresse notamment aux violences intrafamiliales. Tout le monde s’accorde à dire qu’elles existent, il y a une prise de conscience depuis le début des années 2000 mais les politiques, éducateurs, professionnels du secteur social, médecins ne savent pas comment y répondre. Ils ont du mal à traiter de ces questions. Jusqu’à présent, nous n’avions pas ou peu d’éléments sur la manière dont les gens vivent. Nous n’avons que des stéréotypes établis à l’aune de la culture ou bien de ce que l’on imagine être culturel.”

Comment avez-vous procédé ?
Il existe des pratiques traditionnelles qui ont évolué, des pratiques ancrées qui ont évolué dans le temps. Nous avons cherché à savoir comment elles avaient évolué pour les reformuler.”

Qu’est-ce qui a fait évoluer les pratiques, qu’est-ce qui explique les changements de structures au sein des familles ?
Il y a des aspects économiques, de mobilité, d’accès au logement, aux ressources, à l’emploi ou à la formation.”

Vous parliez de stéréotypes tout à l’heure, pouvez-vous nous donner des exemples ?
Pour revenir aux violences intrafamiliales, une partie des gens pense que l’inceste est un problème polynésien, ancré dans la culture. Certains font même référence à des mythes, des légendes. De la même manière, il est établi pour certaines personnes que l’homme est naturellement et culturellement violent. Ce qui n’est pas le cas. Dans ce contexte, le risque est la normalisation. Nous questionnerons l’articulation entre famille et changement social en montrant que les liens entre les structures, les pratiques et les représentations de la parenté et le changement social sont étroits.”

Une rupture brutale

Dans la société polynésienne dite “traditionnelle”, la parenté constituait le socle de l’organisation sociale. Les existences et l’activité sociale des individus s’inscrivaient alors pour l’essentiel dans le contexte de la parentèle. L’implantation du CEP (Centre d’expérimentation du Pacifique) au début des années 1960 marque une rupture brutale avec l’ordre ancien : “l’économie du nucléaire” a démultiplié la croissance économique, hyper-concentrée à Tahiti, initié le “boom” urbain sur l’île-capitale, généralisé le salariat, mis en mouvement de grandes migrations à l’échelle du territoire, approfondi la présence de l’État et intensifié les contacts culturels avec l‘extérieur.
Ces phénomènes ont contribué à autonomiser les existences individuelles par rapport au cadre familial, par le biais notamment de l’indépendance économique, dans le cadre du salariat, et des migrations de travail, qui éloignent les migrants de leurs familles. Dans ce contexte, la parenté, comme ensemble organisé de relations sociales, a été profondément transformée. Elle demeure cependant une institution particulièrement structurante de la société contemporaine. Les ressources familiales jouent ainsi un rôle central dans l’adaptation des individus et pallient les difficultés de l’action publique à modérer les effets multidimensionnels de ce changement social abrupt, pour une part importante de la population. Ce colloque a pour objectif de dresser un état des savoirs sur les transformations de la parenté depuis les années 1960, et d’identifier les dynamiques contemporaines de la vie familiale.

Programme

Le colloque sera découpé en 5 sessions qui aborderont différentes thématiques : quel changement social pour quelles dynamiques familiales ? ; Famille et institutions publiques ; Familles, dépendance, solidarités ; Les pratiques familiales : transmissions, ruptures, transformations ; Familles, socialisations juvéniles et individuation.

Pratique

Colloque intitulé Entre “petite famille” et feti’i : changement social et dynamiques familiales en Polynésie française.
Du 28 août, à 8 heures au 30 août, à midi à l’Université de la Polynésie française, amphi A2.
Entrée libre.


Contacts

Mail : [email protected]
Tél. : 89 52 44 48 ou 89 78 09 56

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 24 Août 2023 à 20:25 | Lu 2138 fois