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Face aux toxiques alimentaires, l'intestin en première ligne


TOULOUSE, 2 décembre 2013 (AFP) - Au fur et à mesure que notre alimentation s'industrialise, toutes sortes de nouvelles molécules s'invitent dans nos organismes. Pour évaluer leur pouvoir de nuisance, le laboratoire toulousain de toxicologie alimentaire scrute la paroi de l'intestin, en première ligne face aux nanoparticules ou aux perturbateurs endocriniens.

"La paroi intestinale, c'est la Muraille de Chine du corps", dit-on au pôle de recherche en toxicologie alimentaire Toxalim, sur le site de l'Institut national de recherche agronomique (INRA) à Toulouse.

Jean Fioramonti, que l'INRA a choisi d'honorer lundi à Paris en lui décernant un "laurier" d'excellence, en a été l'un des principaux animateurs. Tout juste retraité à 65 ans, ce Toulousain évoque modestement sa carrière comme celle d'un "chercheur lambda", "passionné du tube digestif", qui débuta en 1972 par un doctorat sur la motricité intestinale chez le lapin puis suivit le fil de ses intuitions de "fana de physiologie". Mais ses collègues le décrivent comme un pionnier qui sut orienter l'INRA sur de nouvelles voies prometteuses telle la "nanotoxicologie".

"Il nous a incités à nous projeter dans l'avenir", relève Eric Houdeau, directeur de recherche à Toxalim. En 2050, la très grande majorité des 9 milliards d'habitants seront des citadins, nourris de produits préparés, emballés, dit-il. Or des particules de taille infime sont déjà directement incorporées à l'alimentation - comme colorants, agents antimicrobiens, texturants - et "on va vers des plastiques de nouvelles générations auxquels seront ajoutées ces nanoparticules".

Depuis janvier, la France oblige les industriels à déclarer l'utilisation des nanomatériaux. Mais "on n'a pas le droit de dire aujourd'hui que les nanoparticules dans l'alimentation sont des contaminants toxiques, souligne M. Houdeau. Il nous faut d'abord prouver qu'elles franchissent la barrière intestinale" et sont redistribuées vers d'autres organes. "C'est une demande expresse de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)".

La sensibilité de l'intestin

Toxalim travaille essentiellement sur les nanoparticules de dioxyde de titane, utilisé comme pigment blanc dans la composition de chewing-gum, dragées de baptême, pâtisseries, sauces de viande, dentifrices, baumes à lèvres... "Des expériences sont menées sur des cellules humaines buccales cultivées in vitro et les données préliminaires permettent de constater un franchissement par des nanoparticules de dioxyde de titane. A nous maintenant de le démontrer in vivo, d'abord sur la bouche du cochon", dit M. Houdeau.

En 2009, son équipe avait démontré pour la première fois la très grande sensibilité de l'intestin au Bisphénol A (BPA), utilisé notamment pour la fabrication des biberons, de certaines bouteilles plastiques et des revêtements intérieurs des boîtes de conserve.

Chez les rats nouveau-nés, les chercheurs concluaient qu'une exposition au BPA augmentait le risque de développer une inflammation intestinale sévère à l'âge adulte. Cette étude aura concouru, avec d'autres, à tirer la sonnette d'alarme. Le BPA a été interdit dans les biberons. Et une loi votée l'an dernier vise à interdire "tout conditionnement à vocation alimentaire comportant du BPA" à l'échéance 2015.

Syndrome du côlon irritable

Mais l'unité Toxalim étudie aussi les bienfaits de probiotiques - bactéries ou levures - pour le traitement de pathologies digestives.

"Tout le monde a un jour expérimenté le mal de ventre lié à l'anxiété", dit la chercheuse Vassilia Theodorou, responsable de l'équipe Neuro-gastroentérologie et nutrition. "Quand on est stressé, une cascade d'évènements neuro-chimiques aboutit à une intensification de la contraction du squelette des cellules intestinales, ce qui les éloigne les unes des autres", augmentant la porosité de la barrière intestinale et provoquant la douleur.

Or, certaines bactéries peuvent contribuer à restaurer cette barrière. La physiologiste Hélène Eutamène a ainsi constaté que des rats stressés auxquels on administrait un certain yaourt au bifidus avaient moins de crampes douloureuses.

Un nouveau médicament, à base de Linaclotide (peptide), pourrait par ailleurs être prochainement commercialisé pour calmer la douleur du syndrome du côlon irritable: "c'est dans ce laboratoire toulousain, relève Mme Theodorou, que les tout premiers travaux avaient été réalisés sur des rats".

Rédigé par () le Lundi 2 Décembre 2013 à 05:49 | Lu 1063 fois