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Eva Lachhar à l'aube d'une vie de pianiste


TAHITI, le 27 octobre 2021 - Début octobre, Eva Lachhar a obtenu son doctorat en musicologie à l’Université de Montréal. Elle souhaite rester encore quelques années sur le continent américain ou "il y a tellement de choses à faire !" Goutant une période de liberté, elle est en pleine réflexion et ne manque pas de projets.

Le doctorat lui ouvre la porte de l’enseignement à l’université, "mais je ne l’ai pas forcément préparé pour ça", explique Eva Lachhar. Diplômée en musicologie à l’Université de Montréal, elle considère son cursus comme une "espèce de preuve, de capacité à maîtriser l’instrument". À savoir, le piano.

"Ma mère dit que c’est moi qui ai voulu pratiquer cet instrument", raconte Eva Lachhar qui ne se rappelle plus très bien comment tout cela a commencé. Elle était jeune. Aux alentours de ses 6 ans, elle a intégré l’École musicale de Tahiti. "C’était tout à côté de chez nous." À l’adolescence, elle a passé une audition pour entrer au Conservatoire artistique de Polynésie française (CAPF). Elle a consacré des heures et des heures à la pratique du piano. "Il m’arrivait même de faire semblant d’être souffrante pour pouvoir rester à la maison et jouer."

À l’âge de 15 ans, sa décision était prise : elle mettrait son instrument au cœur de sa vie professionnelle. L’un de ses enseignants, apprenant son dessein, l’a encouragée à partir en Métropole dès que possible. "Il me disait : 'La concurrence est rude !' Mais j’ai préféré rester à Tahiti."

À la place, Eva Lachhar a passé ses vacances scolaires de juillet-août en Métropole pour suivre des stages. L’occasion de rencontrer des professeurs de renom, mais aussi des élèves qui, comme elle, envisageaient de "faire de la musique plus tard", d’écouter des concerts de haute tenue. "J’arrivais de mon bout du monde et… je pleurais car je constatais que, oui, à Tahiti j’avais un certain niveau mais qu’au sein des académies, les autres étaient bien meilleurs." Eva Lachhar s’est accrochée.

En parallèle à l’étude du solfège et du piano, elle s’est prise d’intérêt pour la batterie. Elle a intégré un groupe de musique pop rock fondé par un groupe de copines. Ce groupe a assuré quelques concerts à Tahiti. "On a fait peu de dates, mais on s’est vraiment bien amusées !"

"Tout est quand même possible"


L’année de sa terminale au lycée Raapoto, Eva Lachhar a quitté le groupe de musique pour se consacrer à ses études et au piano. Elle préparait la suite. Son baccalauréat en poche, elle est allée en Métropole et a passé le concours d’entrée en cycle spécialisé au Conservatoire régional de Paris. "J’ai pu entrer dans l’établissement malgré tout", malgré la concurrence, l’éloignement, l’isolement. "En France, il y a plein de jeunes très bons, très motivés, très passionnés. C’est quelque chose qu’on ne voit pas depuis nos petites îles." Pour autant, cela ne doit pas être un frein. C’est un fait, un obstacle à la limite, mais ce n’est pas un mur infranchissable. "Tout est quand même possible", dit Eva Lachhar la diplômée.

Au Conservatoire régional de Paris, qui se trouve dans le 5e arrondissement, elle a passé deux ans. "C’est là que l’un de mes enseignants m’a transmis sa passion pour le contemporain", rapporte Eva Lachhar. Elle cite Pierre Boulez, compositeur et chef d’orchestre français. Elle aime la musique classique, mais lui préfère la musique contemporaine qui "défait toutes les traditions". Et puis, "elle est comme neuve, il n’y a pas le poids des interprétations, il y a une certaine liberté qu’il n’y a pas avec la musique classique." Elle a mené à cette époque deux cursus de front. En plus de ses cours au conservatoire, elle s’est inscrite en licence en musicologie à la Sorbonne, avec au programme : de l’analyse d’œuvre, de l’histoire de la musique…

Après ces deux années d’étude, Eva Lachhar a cherché à entrer dans un conservatoire supérieur de musique. Elle a visé celui de Lyon. Il y avait, là-bas, un professeur dont elle voulait suivre l’enseignement. Elle a passé le concours trois fois. La première fois, elle n’a même pas été admise au second tour du concours. Les deux fois suivantes, oui, mais en vain. "Nous étions nombreux, le jury nous disait que nous avions le niveau, mais qu’il n’y avait pas assez de place, malheureusement." En parallèle, elle a passé une audition pour entrer à l’Université à Montréal. Pourquoi cette ville ? "Car mon frère était là-bas", répond-elle. En 2015, elle a traversé l’Atlantique, l’établissement québécois l’attendait.

Elle vient tout juste d’obtenir son doctorat. Elle regarde ses années passées avec beaucoup de bonheur. La ville lui plaît, l’établissement lui a offert des conditions d’apprentissage remarquables. "Il y a de très bons pianos à queue, d’excellents enseignants !" Elle a déjà pu donner plusieurs concerts, éprouver le plaisir de la scène. À ce propos elle décrit : "La scène procure de drôles de sentiments. Le présent y est plus fort que tout, c’est un peu comme de la méditation. Tu es connectée avec l’instant présent, avec le public qui est venu là seulement pour t’écouter. Alors tu joues, et cela va au-delà de la salle."

À Montréal, elle a consacré une partie de ses études à la pratique du piano bien sûr, mais également aux compositions de l’Américain Georges Crumb. Il a fait l’objet de son mémoire. Elle a eu la chance de le rencontrer en 2019 pour cela. Il a une technique très étendue en dehors du jeu traditionnel. Il joue avec les cordes de l’instrument, "il les pince, les gratte, les frappe avec des marteaux de percussionniste, des feuilles des balais, il joue de la voix, parle, chuchote. Je suis tombée en amour pour son œuvre." Plus qu’une œuvre en réalité, un véritable univers.

Des projet et un rêve

À présent, Eva Lachhar imagine la suite de ses aventures. Elle se retrouve du jour au lendemain, ou presque, libre. Elle qui étudie depuis des années, évolue au sein du campus, entourée, et qui pratique l’instrument non stop se retrouve désormais avec elle-même et sans obligation. "C’est une période de transition. Une drôle de période." Elle continue à donner des cours. "C’est le repli de tous les musiciens pour payer les factures", justifie-t-elle. Elle aimerait poursuivre un projet de concerts qu’elle donnerait en duo avec Félix Vilchez. Lui aussi a étudié la musicologie à l’Université de Montréal. Ils ont imaginé se retrouver sur scène peu de temps avant le Covid. Elle pense aussi monter un ensemble avec des collègues musiciens, travailler avec des compositeurs de sa génération. Elle va faire une demande de visa et profiter des trois années qui devraient lui être octroyées pour concrétiser ses idées.

Plus tard, elle aimerait par ailleurs se présenter au concours international de piano d’Orléans. "C’est vraiment un rêve." Dédié au répertoire contemporain, le concours est ouvert aux pianistes de toutes nationalités nés à partir du 1er janvier 1984. Eva Lachhar a vu le jour en 1993. Elle peut s’y inscrire. Sachant que "tout est quand même possible", elle ira. Avant, "j’ai d’autres chats à fouetter". Elle sait que cet objectif lui demandera une préparation accrue.


Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 27 Octobre 2021 à 21:12 | Lu 2259 fois