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Entre protection et exploitation : Les enjeux de la ZEE


Tahiti, le 7 février 2022 – Un rapport publié lundi et co-réalisé par la Cour des comptes et la chambre territoriale des comptes s'est attaqué à la politique de gestion et de protection de la zone économique exclusive de Polynésie française, menée conjointement par le Pays et l'État. Le constat est celui d'une ambition forte avec la création d'une spécificité polynésienne, l'aire marine gérée. Mais d'une trop faible concrétisation de ce projet lancé en 2018 et de moyens trop limités et pas assez coordonnés par l'État et le Pays pour mener à bien l'équilibre “difficile” recherché entre protection et exploitation de la ZEE.
 
Avec son dernier rapport consacré à la “gestion et la protection de la zone économique exclusive (ZEE) de la Polynésie française”, c'est à un vaste et complexe morceau que se sont attaquées la Cour des comptes à Paris et la chambre territoriale des comptes en Polynésie française. Spécificité de ce rapport, les deux juridictions financières, locale et nationale, ont travaillé conjointement à la réalisation d'un état des lieux et à l'identification des enjeux de cette zone de 4,5 millions de km2, représentant la moitié de la ZEE nationale, constituant “une ressource biologique et minérale d'intérêt mondial” et abritant “le plus grand sanctuaire mondial de mammifères marins”.
 
L'exploitation, l'exploration et la protection de la ZEE polynésienne relèvent en effet, selon les cas de figure, soit de l'État, soit de la Polynésie française, “et le plus souvent conjointement des deux”. La Polynésie dispose depuis le statut d'autonomie de 1996 d'une compétence générale d'exploration, d'exploitation et de protection de la ZEE. Mais l'État reste responsable de sa surveillance et de sa défense. L'État qui intervient également en soutien du Pays par une “assistance technique” via son administration nationale et “plusieurs de ses opérateurs scientifiques”.
 
Protéger et exploiter
 
Une fois ce “cadre institutionnel original” posé, il faut relever que la Polynésie cherche “depuis une dizaine d'années” à diversifier sa politique de développement grâce à l'océan. Deux grandes stratégies sont à l'œuvre : l'exploitation la plus protectrice et raisonnée de la pêche hauturière, qui représente les deux-tiers des ressources de la pêche locale ; et une politique de recherche et de connaissance des ressources minérales sous-marines de la ZEE polynésienne, les fameux encroutements polymétalliques. Sauf que dans ces deux domaines, la Polynésie fait face “à des pressions” internationales, environnementales et économiques qui menacent à la fois son modèle de développement de la pêche hauturière et sa méthode “progressive” d'exploration des fonds marins.
 
Après des tentatives avortées ou laissées à l'abandon d'aires marines protégées aux Australes ou aux Marquises, la Polynésie française a créé depuis 2018 une “Aire marine gérée” dénommée Tainui Atea pour l'ensemble de la ZEE. Un compromis entre une protection absolue de la ZEE et son développement. Sauf que les juridictions financières mettent en exergue le manque de “concrétisation” de ce projet et l'impossibilité d'en mesurer les résultats, un peu plus de trois ans après sa création. Cette aire marine gérée “qui pourrait être un outil structurant” pêche par sa “conception décalée” par rapport aux cadres nationaux comme l'aire marine protégée par exemple, et par “une mise en application qui demeure parcellaire”. Conclusion du rapport sur ce point : “Si une dynamique pragmatique est engagée en ce sens, elle demeure cependant aujourd'hui incomplète et ne répond pas aux exigences de durabilité, tant l'exercice de conciliation entre exploitation et protection est difficile”. 
 
Des efforts “conjoints” État et Pays
 
Le rapport réalisé par la Cour des comptes et la chambre territoriale des comptes appelle “sans délai” à une meilleure coordination de l'État et du Pays, tout en intégrant des acteurs privés comme la société civile et notamment les associations de protection de l'environnement ou les acteurs économiques privés, mais aussi les communes. Si des structures de coordination se sont développées, comme le Cluster maritime en 2016 et la commission mixte maritime en 2020, le rapport recommande quelques efforts supplémentaires côté Pays et côté État. Au plan local, une approche interministérielle et planifiée “fait aujourd'hui défaut” et doit être recherchée par le gouvernement polynésien. Au plan national, le soutien “indispensable” de l'État doit être à la mesure des engagements nationaux de la France. “Quelle que soit la répartition des compétences en la matière”, écrivent les juridictions financières, “la gestion de la ZEE implique la mobilisation de moyens financiers et de savoir-faire, qui ne sont pas toujours disponibles localement”.
 
Plus que jamais, le rapport appelle l'État et le Pays à “mener conjointement” les efforts identifiés pour atteindre les objectifs de protection et d'exploitation de la ZEE.
 

Dix recommandations

Recommandation n° 1 : Concrétiser en 2022 par une convention avec la Polynésie française le partenariat pour les fonds sous-marins fondé sur la stratégie adoptée par le CIMer de janvier 2021.
 
Recommandation n° 2 : Coordonner la mise en œuvre, entre l’État et la Polynésie française, du programme d’exploration des fonds marins 2021- 2023.
 
Recommandation n° 3 : Consolider le plan de gestion de l’Aire marine gérée (méthodologie, périmètre, gouvernance).
 
Recommandation n° 4 : Délimiter, au sein de la ZEE de Polynésie française, des espaces protégés permettant le respect des engagements nationaux et internationaux de mise en œuvre de l’objectif de développement durable n°14.
 
Recommandation n° 5 : Adapter les moyens de communication entre la flotte hauturière polynésienne, le centre de surveillance des pêches et les forces armées pour mieux protéger la ZEE.
 
Recommandation n° 6 : Renforcer la coordination des services des différents ministères polynésiens traitant des thématiques concernant la ZEE.
 
Recommandation n° 7 : Développer la concertation avec les associations locales pour les projets de protection et de développement de l’espace maritime polynésien.
 
Recommandation n° 8 : Adopter un document stratégique de politique maritime intégrée pour la Polynésie française.
 
Recommandation n° 9 : Vérifier la bonne articulation entre les stratégies de la CPF et les stratégies nationales sectorielles (fonds sous-marins, biodiversité, pêche...).
 
Recommandation n° 10 : Coordonner les actions diplomatiques de l’État et de la Polynésie française afin d’assurer une participation française plus active dans les instances scientifiques régionales et internationales.
 

L’économie bleue en Polynésie française

Le poids économique des activités liées à “l’économie bleue”, qui englobe celui de la ZEE, reste relativement faible au regard des potentialités de ce secteur. En 2019, elle représentait un chiffre d’affaires déclaré de 50,4 milliards de Fcfp, soit environ 5,3% du chiffre d’affaires des entreprises polynésiennes et un volume de biens exportés (principalement la perle) évalué à 7 milliards de Fcfp, alors que le tourisme représentait pour cette même année 70,6 milliards de Fcfp de recettes extérieures du territoire (dont 14,7 milliards de Fcfp liées au secteur de la croisière). Le secteur représente 4 000 emplois salariés, soit environ 6% de l’emploi salarié de la Polynésie française.
 

L'aire marine gérée, c'est quoi ?

Présentée le 6 juin 2017 lors de la Conférence des Nations Unies sur la protection des océans par le président Édouard Fritch, le projet d'aire marine gérée est une adaptation polynésienne de la classification internationalement reconnue “d'aire marine protégée”. Il repose sur le concept “d'une zone maritime qui demeure ouverte à la pêche polynésienne, tout en veillant à sa protection”, présente le rapport. Auparavant, en 2014 et 2016, deux autres projets de réserve marine aux Australes et d'aire marine protégée aux Marquises, avaient toutes deux été “rejetés” ou étaient restés “à l'état d'intention”. Le Pays a donc préféré une “gestion centralisée” pour préserver l'unité d'un “espace maritime distant de Tahiti” et “aux caractéristiques environnementales multiples”.
 
Le parti pris de la Polynésie française a été de promouvoir la préservation de l’environnement intégrant l’homme et ses activités, la précaution et la prévision, dans un contexte de forte évolutivité du milieu marin face au changement climatique, précise le rapport. Le projet a été concrétisé en 2018 par un arrêté du conseil des ministres classant l'ensemble de la ZEE en “aire marine gérée” dénommée Tainui Atea, sur le fondement du code de l'environnement polynésien. Le plan de gestion, approuvé en avril 2020 pour trois ans, reprend les actions engagées par le gouvernement depuis 15 ans. Il se décline en quatre grands enjeux, treize objectifs et 33 mesures principales.
 
Le premier enjeu concerne l'accompagnement du développement de la pêche en évitant la surpêche. Le deuxième enjeu, relatif à la mégafaune marine, vise à réduire les menaces. Le troisième enjeu cherche à rassembler les États et territoires du Pacifique autour de la bonne gestion de l’océan pour mieux le protéger et défendre ses intérêts dans les négociations internationales. Enfin, le quatrième enjeu ambitionne d’augmenter les efforts de communication, de sensibilisation et d’éducation pour que l’information circule mieux et que chacun puisse devenir un acteur du changement. Zones de pêches réservées à la pêche côtière, protection des récifs, réserve de biosphère aux Australes, ou inscription des Marquises à l'Unesco sont quelques-unes des douze mesures réglementaires prévues d'ici 2025…
 
Seul hic, de nombreuses actions n'ont pas pu être réalisées, selon le Pays en raison de la crise Covid. Le comité de gestion de l'aire marine gérée ne s'était pas réuni depuis 2020 lors de la finalisation du rapport. Et trois ans après sa création, l'aire marine gérée est encore en construction, sans action concrète mise en œuvre, ni plan stratégique. Un constat qui, selon les juridictions financières, “révèle une forte hésitation du gouvernement polynésien quant aux orientations à retenir pour cette zone” et “témoigne d’une insuffisante maturité du dispositif original pourtant choisi par la Polynésie”.
 


Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 7 Février 2022 à 21:39 | Lu 2212 fois