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En Colombie, bataille autour d'une "station" de garde-côtes sur l'île de la Gorgone


Crédit Luis ROBAYO / AFP
Crédit Luis ROBAYO / AFP
Île de la Gorgone, Colombie | AFP | vendredi 16/12/2022 - C'est un mélange fascinant de nature magique, à mi-chemin entre Jurassic Parc et "l'Île mystérieuse" de Jules Verne. Pour les quelques chanceux qui y passent, l'île de la Gorgone, dans le Pacifique colombien, respire et vit, telle une mère nourricière.

Paradis de la biodiversité et parc naturel national, la Gorgone est pourtant au coeur d'une polémique entre militaires colombiens et défenseurs de l'environnement. Un projet de l'armée, notamment la construction d'une longue jetée de béton sur la principale plage de l'île, suscite l'ire des écologistes.

Lancé en juin 2019, ce projet de "station" des garde-côtes comporte "trois phases", explique à l'AFP, au cours d'un voyage organisé par l'armée, le commandant en chef de ces unités de la marine, Javier Bermudez.

"La première était la construction d'une tour radar de 55 mètres", déjà achevée et dont la structure métallique, plantée au sommet de la montagne noire, domine désormais tout l'île.

"La seconde phase est la construction d'une jetée" de 132 mètres de long sur trois de large, dont les travaux ont débuté. Et la troisième étape "le réaménagement des logements de nos militaires", détaille M. Bermudez.

L'objectif est d'avoir une position avancée, "un avantage tactique sur la criminalité sous toute ses formes" dans "une zone environnementale gravement affectée" par la pêche illégale, la déforestation, les trafics d'espèces, les pollutions maritimes, et bien sûr le narcotrafic. Les travaux sont financés par les États-Unis, principal partenaire anti-drogue de la Colombie.

"Radar américain" 

Rocher volcanique couvert de jungle tropicale, paradis des baleines à bosse et autres tortues ou requins, le Parc de la Gorgone est l'une des soixante aires protégées du pays.

Comparable par sa richesse à l'archipel voisine des Galapagos, la Gorgone abrita dans les années 60 un bagne infâme, qui a fermé en 1984. Les touristes ont désormais remplacé les bagnards, pour observer les baleines qui s'ébattent près du rivage, plonger au milieu des poissons sur des récifs coralliens enchanteurs, et se promener dans l'épaisse forêt.

L'île se veut une vitrine de l'éco-tourisme: alcool et plastiques y sont interdits, les activités strictement encadrées, pour éviter accessoirement les accidents avec les nombreux serpents (qui lui ont donné son nom).

Conséquence des pluies quasi-quotidiennes, l'eau douce coule de partout, donnant à l'île verdoyante des allures de jardin d’éden, objet de nombreuses missions scientifiques.

Pour toutes ces raisons, la construction d'un quai de béton au pied de l'île est une hérésie, selon les opposants au projet.

"Ce qu'ils s'apprêtent à faire ici est un saccage (...)", un "acte irresponsable", s'insurge Jorge Robledo, ex-sénateur qui a pris la tête de la fronde. "Il ne doit pas y avoir de base, ni de radar de guerre américain, cela fera d'immenses dégâts", affirme M. Robledo, dont l'appel a été relayé par plusieurs parlementaires.

Il dénonce un projet dont l'autorisation a été obtenue à la va-vite un "31 décembre" de 2015, et qui reviendrait à une militarisation de l'île dans le "seul intérêt des États-Unis".

A l'initiative de l'ex-sénateur, une "action populaire" a été engagée le 30 novembre en justice, qui entend dénoncer une "violation de la Constitution et de la loi", ainsi que la "corruption" de l'agence environnementale (ANLA).

M. Robledo demande des mesures "conservatoires" d'urgence avant les vacances judiciaires de cette fin d'année, ceci alors "qu'il y a déjà eu des dégâts" causés par les travaux.

"Une petite unité" 

Pour Felipe Guhl, biologiste à l'Université des Andes, il est "certain que des dommages seront causés" par les travaux sur la petite île, un "sanctuaire biologique" et "trésor" naturel très "fragile".

Pourquoi ne pas avoir construit cette base sur la côte, s'interroge ce spécialiste de la Gorgone, qui lance un "appel très net" à l'arrêt du projet.

Le directeur du parc, Daniel Alberto Osorio, juge pour sa part le projet de ponton "réalisable", car pouvant contribuer à un meilleur "débarquement" des visiteurs (6.400 visiteurs l'an dernier). Il rappelle cependant les "recommandations" pour "déplacer cette jetée" loin du corail. 

"La marine développe ce projet depuis plus ou moins dix ans" dans cet "endroit stratégique qui est un couloir pour la criminalité", plaide le chef des garde-côtes colombiens, assurant que son impact sur les écosystèmes serait "minimal".

"Il ne s'agit pas d'une base navale, mais d'une petite unité militaire de 28 personnes", renchérit-il, jurant au passage qu'"il n'y aura pas de présence militaire américaine (...)".

"Si nous ne mettons pas en oeuvre ce projet, les gagnants seront les criminels", prévient l'officier, pour qui la Colombie "ne peut se contenter de zones protégées juste sur le papier". "Nous avons besoin du travail de l'armée pour exercer cette autorité environnementale" et faire face à "des menaces concrètes".

Peu importe pour le sénateur Robledo, pour qui "il faut "cesser immédiatement les travaux". 

Elu à l'été 2021 "avec les votes de tous les écologistes", le président de gauche Gustavo Petro doit montrer un "minimum de cohérence" et pourrait, "comme chef suprême des forces armées, arrêter ce projet en une seconde", juge M. Robledo.

le Lundi 19 Décembre 2022 à 06:01 | Lu 384 fois