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Élisabeth Hermant, une vie au service des femmes


“La Polynésie et les Polynésiens m’ont beaucoup apporté. Je me sens, d’une certaine manière, redevable”. C’est pour cette raison qu’elle continue à lutter, prévenir, aider les victimes de violence. Crédit Grégory Boissy.
“La Polynésie et les Polynésiens m’ont beaucoup apporté. Je me sens, d’une certaine manière, redevable”. C’est pour cette raison qu’elle continue à lutter, prévenir, aider les victimes de violence. Crédit Grégory Boissy.
TAHITI, le 14 septembre 2022 - Élisabeth Hermant est la fondatrice et la présidente de Vahine Orama no Moorea-Maiao. Elle se bat pour prévenir les violences faites aux femmes. Les moyens manquent, elle s’épuise mais elle tient bon. Elle est entourée d’une équipe dont elle loue l’engagement et le soutien.

Je suis formatrice pour adultes”, décrit Élisabeth Hermant. “Et, finalement tout est parti de là.” Tout, c’est la prise de conscience de la fréquence des violences faites aux femmes, puis le rapprochement avec l’association Vahine Orama Tahiti Nui, la mise en place d’actions de prévention et enfin, la création de Vahine Orama no Moorea-Maiao.

Voyager et transmettre

Martiniquaise d’origine, Élisabeth Hermant a grandi aux Antilles. Elle s’est rendue en métropole pour passer une licence puis une maîtrise de langues. Ce qui l’intéressait dans ce domaine d’apprentissage, c’était les portes qu’il ouvrait sur le monde. “J’aimais et je voulais voyager.” En 1986, elle a choisi de devenir professeure d’anglais. “Car j’aime transmettre, j’ai toujours aimé l’enseignement.” Elle a donc concilié ses deux grands centres d’intérêts. Elle a obtenu le Capes en 1986. Elle a travaillé à Marseille, “en lycée surtout”, elle a voyagé. En 2003, elle a s’est octroyée une année sabbatique pour être en famille, avec ses enfants. Elle est venue en Polynésie. Elle n’est jamais repartie. “Ça fait 19 ans que je suis là”, comptabilise-t-elle.

Retards et absentéismes

Élisabeth Hermant a assuré (et elle assure toujours) des cours de communication et d’anglais dans des formations pour adultes. Elle a également donné des cours au lycée agricole de Moorea, assurant des remplacements dans l’établissement.

En arrivant en Polynésie, elle a été frappée par l’important taux d’absentéisme, voire d’abandon par les stagiaires inscrits en formation pour adultes. “Les groupes sont composés en majorité par des femmes, ce sont elles qui désertaient ou s’arrêtaient. Je ne comprenais pas. On me répondait, pour justifier la situation : c’est personnel.” Parfois, Élisabeth Hermant entendait un “c’est à cause de problèmes familiaux”. Puis, elle a vu arriver des femmes blessées, elle a vu des maris surveiller les faits et gestes de leur femme. “Ils passaient la journée à les attendre à la sortie de la salle de formation. Je ne savais plus quoi faire.” Démunie, elle a contacté Vahine Orama Tahiti Nui qui existait depuis 2002.

Alexandra David et Sandra Lévy-Agami sont intervenues auprès des stagiaires d’Élisabeth Hermant. “En discutant avec Alexandra et Sandra, j’ai vraiment atterri. J’ai découvert la fréquence des violences faites aux femmes, l’ampleur du phénomène, mais aussi sa banalisation finalement.” Au lycée, la violence au sein des jeunes couples n’était pas anecdotique. “Chez les jeunes, comme chez les moins jeunes, cette violence se fait sur fond de jalousie, elle est exacerbée par la consommation d’alcool et de drogues.” Élisabeth Hermant s’est lancée dans des actions de prévention.

Tour de l’ile d’une partie de l’équipe pour informer le public lors de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes. L’idée était de les sensibiliser à la situation des femmes victimes de violences et les informer sur les actions menées par l’association et ses partenaires.
Tour de l’ile d’une partie de l’équipe pour informer le public lors de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes. L’idée était de les sensibiliser à la situation des femmes victimes de violences et les informer sur les actions menées par l’association et ses partenaires.
Elle abordait le sujet de la violence dans ses cours, rassurait ses stagiaires. “Je leur disais que si elles se formaient, c’était pour aider leur foyer et non pour le détruire comme elles pouvaient l’entendre chez elle.” Elisabeth Hermant parle des victimes au féminin, mais elle tient à souligner que des hommes aussi sont concernés. Au lycée, elle a monté une grosse cellule de prévention. L’association Vahine Orama no Moorea-Maiao a vu le jour officiellement en 2009. Sur cette île où vivait Élisabeth Hermant, il n’existait alors aucune structure, aucun lieu d’accueil, aucune association pour aider les victimes.

À l’origine, elles étaient quatre, s’appuyant sur un réseau de contacts pour fonctionner, se faire connaître, repérer les situations. “C’est indispensable, sans réseau on ne peut rien faire.” Élisabeth Hermant et son équipe intervenaient la plupart du temps le soir, après 21 heures, “pendant les crises”. Mais “tout cela était vain, intervenir en urgence ne change rien, l’écoute est difficile”. Aussi, a-t-il fallu mettre en place des formations pour les membres de l’association tout en tissant des liens avec des partenaires comme la gendarmerie, l’hôpital, les affaires sociales. “Car souvent, il y a des enfants dans ces histoires”. Il a fallu plusieurs années pour faire évoluer les interventions de Vahine Orama no Moorea-Maiao, mais “petit à petit on a commencé à être visible, à pouvoir faire du travail de sensibilisation et d’information pour agir en amont”. L’événement phare de l’association est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes qui a lieu le 25 novembre. “Nous organisons une marche à cette occasion.”

Des règles à respecter

Les membres de Vahine Orama no Moorea-Maiao ont pris la parole dans les établissements scolaires, les églises, les lieux d’accueil pour personnes handicapées. L’équipe s’est, un peu, agrandie. Elle compte aujourd’hui une trentaine de membres. “Nous n’avons jamais été très nombreux car la cause est délicate, nous sommes amenés à gérer des situations parfois extrêmement difficiles, contraints par un exigent devoir de confidentialité.” Il y a des femmes, et des hommes “qui font tous un travail formidable”, se réjouit Élisabeth Hermant. La présence d’hommes bénévoles est relativement récente, elle est particulièrement appréciée, car “ils peuvent parler plus aisément aux hommes violents ou victimes”. Elle souligne l’engagement de toutes et tous, insiste sur les liens qui tiennent l’équipe. Il y a des règles à respecter comme toujours intervenir à deux dans un souci d’objectivité, respecter strictement la confidentialité des situations, ne jamais recevoir de personnes en détresse chez soi. “On se protège.”

En 2014, Élisabeth Hermant, a pris la décision de quitter l’association. “Pour mes enfants, il fallait que je m’occupe d’eux.” Ils avaient besoin d’attention. “Être engagé dans une association comme Vahine Orama demande du temps et de la disponibilité. Nous sommes bénévoles et faisons ce que nous pouvons avec nos moyens, nous sommes très sollicités.” Vahine Orama no Moorea-Maiao s’est fixée plusieurs missions. Elle fait de la prévention. “C’est très important, et il faut commencer très tôt. Il faut changer les stéréotypes sexuels, l’image de la femme dès le plus jeune âge.” Elle aide d’autres associations à se monter, comme celle de Raiatea née après un gros drame en 2012 ou bien celle qui pourrait voir le jour sous peu aux Australes. Elle continue à gérer les urgences. Lorsqu’une femme en détresse appelle, qu’elle se retrouve à la rue, il faut lui trouver un toit. “Nous avons un lieu, confidentiel, qui sert en cas d’extrême urgence sur Moorea.” Il faut également contacter l’hôpital et divers services du territoire, organiser les transports, trouver des places en foyers. Les frais sont tous pris en charge par l’association. Vahine Orama no Moorea-Maiao fonctionne grâce à des subventions et des dons. L’association refuse d’être récupérée politiquement, elle prend position pour tous les droits des femmes, comme celui du choix à l’avortement, elle est sur le front des violences faites aux femmes en entreprise.

L’association fonctionne grâce à une équipe de référentes motivées.
L’association fonctionne grâce à une équipe de référentes motivées.
“On manque de tout”

Élisabeth Hermant a fini par revenir au sein de Vahine Orama no Moorea-Maiao après quatre années d’absence. Elle a repris sa place de présidente. Elle sait qu’elle compte parmi les piliers. En son absence, l’association a bien failli disparaître. “Nous avons dû retrouver la confiance des gens.” C’est chose faite. Mais “tout cela m’épuise, on manque de tout”, regrette-t-elle. Elle avoue sa lassitude. “Il y a beaucoup de réunions, de constats, d’études mais si peu d’action sur le terrain.” L’association attend une salle depuis plus d’un an et demi, elle aimerait une ligne d’appel téléphonique, un contrat d’aide à l’emploi (CAE). “Heureusement, les gens sont extrêmement généreux.” De plus en plus, la misère s’aggrave, de même que l’isolement, l’ice fait des ravages, “nous n’y sommes pas habitués. J’ai souvent envie de partir”. En plus de son travail de formatrice à temps plein, elle court pour venir en aide aux victimes. “En moyenne, on reçoit 5 à 6 appels par semaine avec, derrière, des situations à gérer.

Mais pourquoi Élisabeth Hermant reste-t-elle ? “Bonne question”, répond-elle, songeuse. Puis elle ajoute : “depuis que je suis en Polynésie, j’ai reçu énormément, j’ai beaucoup appris à tous les niveaux, la Polynésie et les Polynésiens m’ont beaucoup apporté. Je me sens, d’une certaine manière, redevable. Le pays est magnifique, les gens autour de moi sont dévoués, j’ai l’impression de ne pas être autorisée à rester ici sans donner.” Pour tenir, elle s’autorise des moments d’évasion. Elle joue du saxophone, “heureusement que j’ai ça”.

Contacts

FB : Vahine Orama no Moorea-Maiao
Mail : [email protected]

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 14 Septembre 2022 à 16:25 | Lu 1423 fois