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Docteur Philippe Biarez : "Toutes les îles doivent se préparer"


Tahiti, le 9 août 2021 - Le docteur Philippe Biarez, directeur de l'hôpital de Moorea, détaille la situation dans les archipels. Situation qu'il qualifie de “très préoccupante”. Il explique qu'empêcher le virus de se propager dans les îles “serait illusoire” et en appelle à la solidarité : “C'est le moment de s'entraider, d'être bienveillant et d'avoir de la compassion.”
 
Tous les archipels de Polynésie sont-ils touchés par le Covid ?

“L'ensemble des archipels est clairement touché, la situation est très préoccupante, elle va s'étendre encore, c'est malheureusement logique. Il va falloir que l'ensemble des professionnels de santé des îles, les élus communaux et la population des îles, travaillent réellement ensemble pour maîtriser ce phénomène. Bien évidemment avec l'appui et l'aide de toutes les institutions des archipels et à Tahiti. Une organisation est en train de se mettre en place très rapidement pour avoir une filière de soins la plus logique possible par rapport aux difficultés actuelles. Toutes les îles doivent se préparer à avoir du covid, comment le gérer, comment se protéger, comment se vacciner. Il ne faut pas s'imaginer que ça va s'arrêter à une île ou une autre, malheureusement on n'en est plus là.”
 
Y a-t-il selon vous, des mesures particulières à prendre pour protéger les îles ?

“Oui, complètement. Protéger les îles pour empêcher le virus d'arriver, ce serait illusoire. À moins que les autorités décident dans les prochains jours de mettre des limitations aux voyages ou une obligation vaccinale. Sans cela, il y aura bien sûr des cas de Covid dans toutes les îles. Le Covid est maintenant là, partout bientôt. Les services de Santé, nous devons préparer nos équipes et la population doit elle aussi se préparer, se vacciner et s'isoler pour limiter l'impact, la gravité du phénomène dans leur île. Maintenant que l'épidémie est bien en place, on ne peut pas l'arrêter, on n'y arrivera pas, mais on peut diminuer l'importance, c'est-à-dire d'avoir le moins de cas possible dans un même moment. Il faut étaler l'épidémie afin de permettre aux services de gérer les malades sereinement les uns après les autres. L'objectif est d'aplatir la courbe, étaler l'épidémie, afin qu'elle dure malheureusement plus longtemps mais qu'elle soit moins forte pour un impact moins grave.”
 
Quelle est la situation dans les hôpitaux périphériques ?

“Ce sont des hôpitaux à petite capacité. Raiatea peut monter à plus, mais le problème, tout comme au Taaone, est au niveau des ressources humaines. Les équipes se mettent en place très rapidement, on peut d'ailleurs les féliciter pour ça, elles ont réagi très vite. Néanmoins on travaille sur des options afin de sortir des hôpitaux périphériques les patients covid quand ils vont mieux, même s'ils ont besoin d'oxygène, pour qu'ils soient surveillés à domicile ou en centre d'isolement.”
 
Justement, l'approvisionnement en oxygène est-il problématique ?

“C'est un point extrêmement important. Justement la direction de la Santé s'est préparée l'année dernière pendant le premier confinement. Les approvisionnements sont surveillés de très près. La logistique est là, elle fonctionne mais elle a ses limites. Il n'y a pas de tension actuellement, on a beaucoup de marge. C'est une logistique très complexe et on y travaille scrupuleusement tous les jours.”
 
Est-ce que le CHPF refuse déjà les patients, ou on n'en est pas encore là ?

“Il est très important de prendre conscience partout dans toutes les îles et pas seulement à Tahiti, que cette épidémie n'a pas un impact que sur le Covid mais sur l'ensemble des soins et des maladies, puisque les équipes médicales ne vont pas pouvoir prendre en charge toutes les maladies. On ne refusera jamais les patients nulle part, on acceptera toujours tout le monde mais il va y avoir des priorisations. Toutes les personnes seront prises en charge pour être soignées, mais effectivement on va prioriser pour soigner les bonnes personnes au bon moment.”
 

"Ce n'est pas le moment de tomber malade !"

Quelle est la situation des évasans ? Le CHPF va-t-il pouvoir continuer à absorber tous les patients évasanés ?

“C'est un point fondamental dans le parcours de soins. Les évasans restent un point difficile en raison du faible nombre d'avions ou d'hélicoptères. Ils demandent une organisation très précise. Les priorisations commencent là. Elles commencent déjà, c'est tout le travail des médecins régulateurs du 15 qui ont un travail extrêmement difficile d'organiser les transferts des patients Covid mais aussi des autres. C'est un grand travail de collaboration. Encore une fois, il ne s'agit pas de refuser des patients mais de prioriser, les uns après les autres, en fonction de l'importance.”
 
Sur les cas positifs, connaissons-nous la part de variant Delta ?

“Non, on ne cherche plus à savoir si c'est du Delta ou pas. Il est très clair que le virus qui circule actuellement est beaucoup plus contagieux que celui de l'année dernière et c'est très clairement un variant. Il n'y a plus lieu de chercher qu'est-ce que c'est exactement. Ce n'est pas le même que l'année dernière. Il n'est pas nécessairement plus grave mais il est plus contagieux et donc va donner lieu à beaucoup plus de malades en même temps et donc plus de malades graves que l'année dernière.”
 
Avez-vous un message à faire passer à la population ?

“Il faut que les populations des îles, plus que jamais, fassent attention à leur santé, à leurs proches, c'est très important. Ce n'est pas le moment de tomber malade ! On demande à tous d'avoir du courage et de la patience, pour soutenir les professionnels de santé. On comprend vraiment les difficultés des longueurs d'attente, le fait qu'on ne prenne pas les patients tout de suite. On en est conscients. D'autre part, il faut s'isoler quand on est malade. Dans bien des cas cette maladie, fort heureusement, n'est pas bien grave et donc les gens ne sont pas très motivés pour rester enfermés, isolés alors que c'est tellement important ! C'est le moment de s'entraider, d'être bienveillant et d'avoir de la compassion.”
 
Et aux communes ?

“On demande aux élus d'aider tous les professionnels de santé des îles, encore plus que d'habitude, on a besoin de toute la communauté des îles : les élus, l'administration, les associations religieuses pour pouvoir accompagner tous ces processus. Et surtout nous aider à convaincre la population à se faire vacciner. Au sujet de l'isolement, pour les communes qui le veulent bien, il serait important d'ouvrir des centres communautaires d'isolement pour les personnes qui seraient positives qui ne pourraient pas s'isoler à domicile ou qui ont des personnes fragiles à la maison. Cela aiderait beaucoup les soignants à maîtriser le phénomène épidémique.”

Rédigé par Julie Barnac le Lundi 9 Août 2021 à 21:11 | Lu 6311 fois