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Disparition d’une « Grande » dame : Le fenua ènata pleure Liliane Teikipupuni


Disparition d’une « Grande » dame : Le fenua ènata pleure Liliane Teikipupuni
PAPEETE, le 16 juillet 2014 - L’île de Tahuata ( sud des îles marquises ) vient de perdre récemment une grande dame de la culture et du développement des petites vallées. Liliane Teikipupuni s’en est allée avec un sentiment d’accomplissement inachevé car elle avait des projets et des rêves plein la tête. Entre l’artisanat et une volonté de sortir la jeunesse de l’île d’un isolement pesant et d’une oisiveté permanente, elle s’est attelée à faire du petit village de Hapatoni, dont elle a été longtemps maire-adjointe, un lieu d’avenir et de paix tel qu’on le connait aujourd’hui.

A Tahuata, tous la surnommaient affectueusement tatie Titi Fati du fait de son embonpoint « mais surtout par humour ! » nous avait-elle confié lors d’une visite dans son fief, Hapatoni. Pour la petite histoire, ce petit village situé au Sud-ouest de l’île est resté longtemps sans route si ce n’est une allée dite « royale ». Longue d’à peine un kilomètre et demi de long, ce chemin pavé il y a plusieurs siècles par les guerriers de la tribu des Ahutini (ancien nom de Hapatoni) a été, selon la légende, aménagée en l’honneur de la reine Vaekehu d’où l’expression « allée royale ».

Liliane a quitté très jeune son village pour habiter l’île de Tahiti. Là, et ce, pendant une vingtaine d’année, elle a été de toutes les manifestations et animations religieuses. Etant une fervente catholique, très pratiquante, elle a très vite rejoint les groupes de jeunes dont elle s’est occupée durant tout son séjour à Papeete, « principalement à l’église Sainte Thérèse, à Taunoa. C’est surtout là qu’elle a beaucoup œuvré en tant que bénévole » nous a expliqué Leonne Tauhiro, sa sœur.

Retour au Fenua ènata, à Tahuata

Aux alentours des années 80, Titi Fati est rentrée au pays, ou plutôt sur son île, Tahuata. A cette époque-là, qui n’est pourtant pas si lointaine que cela au vu de l’histoire des îles Marquises, le village de Hapatoni semblait s’être vidé et inanimé, un souvenir qui a profondément marqué Leonne « Franchement, à cette époque-là, lorsque ma sœur est revenue, Hapatoni était vraiment mort. En plus, on aurait dit que le peu de vie qui existait ici allait disparaître. Les habitants étaient pour la plupart des coprahculteurs et ne vivaient qu’au jour le jour, sans réels projets d’avenir ou d’ambition. »

C’est alors qu’en 1989, l’idée de changer la mentalité des habitants l’a conduit à une profonde réflexion. Son objectif : faire de son village une vallée d’artisans. En ce temps-là, l’activité artisanale était quasi-nulle et les habitants n’étaient guère enclin à un changement dans leurs habitudes bien ancrées. Les activités principales ne se limitaient qu’à la pêche et au coprah, rien de bien motivant en tous les cas pour la jeunesse qui commençait à s’exiler à Tahiti.

Pour pouvoir mener à bien ses projets, Liliane Teikipupuni créé l’association artisanale Mahakatauheipani ( nom d’une princesse de Hapatoni ) en 1992. En peu de temps, les femmes ont commencé à prendre des initiatives, sous le regard parfois perplexe de leurs époux. Le caractère audacieux et surtout innovateur de Liliane a fini par convaincre l’ensemble des habitants. Des sessions de formation ont également été mises en oeuvre. Tout d’abord dans le domaine de la sculpture sur bois avec Eriki Marchand, puis sur os un peu plus tard. Mareko, spécialiste du tressage de la fibre de coco a été invité pour partager son savoir-faire. Les mamans, elles, ont bénéficié d’un apprentissage de la teinture. En tout, une vingtaine de participants ont suivi ces formations.

Diversification d’activités

A partir de 1999 et grâce à une volonté farouche d’avancer, Liliane a réussi à imposer l’artisanat comme activité principale. C’est également à cette même période que l’on a observé un retour en masse des jeunes depuis Tahiti. Voyant enfin une possibilité de se consacrer à une activité passionnante et rentable, ces derniers n’ont pas hésité à revenir dans la vallée, avec leur famille.

Le nombre d’habitants est remonté à une centaine d’individus. L’association décrit cette période comme suit : « Hapatoni compte alors une vingtaine d’artisans dont les principales productions sont : Pani (huile parfumée), parures en os, boucles d’oreilles, bagues, bracelets, sculpture sur bois. Ces produits sont vendus dans les salons et les foires 3 fois par an à Papeete. Plus tard le cargo mixte Aranui amènera dans les 150 touristes toutes les 3 semaines qui grâce à l’accueil unique qui leur est réservé deviennent de bons clients pour les artisans. »

Grâce à la formation permanente, à la qualité et à l’originalité de leurs créations deux artisans ont eu l’occasion d’être sélectionnés durant les années passées pour participer au salon de bijouterie d’art qui se tenait alors à l’hôtel Sheraton à Papeete.

Mais Liliane ne s’est pas arrêtée là. Toujours dans la même période et soutenue par l’ancien maire Tetahi Tetahiotupa, elle a développé la culture du noni. Etant même devenue l’une des représentantes de la firme Morinda installée à Mataiea, elle a pu racheter les stocks disponibles et livrés à quai. Cette nouvelle position lui a permis de payer rapidement les cultivateurs, puis d’expédier sans attendre la cargaison sur Tahiti. Hapatoni revivait enfin comme aux siècles derniers.

Aujourd’hui, Titi Fati s’en est allée à l’âge de 65 ans, mais pas avant d’avoir apporté de la vie dans son petit coin de paradis et surtout beaucoup d’espoir. Le nombre d’habitants est stabilisé à environ 120 et l’âge moyen est de 25 ans car il y a beaucoup de jeunes enfants. C’est 95% de la population qui vit de l’artisanat. En dépit de la crise, les touristes de passages sont toujours aussi nombreux. Ces derniers n’hésitent pas à louer un speedboat pour venir depuis l’île voisine Hiva oa, située à 45 mn environ. Ils peuvent désormais débarquer sur un quai large et spacieux, capable de recevoir des véhicules, chose encore impensable il y a dix ans. Enfin, l’une de ses dernières œuvres reste une belle salle paroissiale où les fidèles peuvent se réunir en grand nombre. Merci Titi Fati pour tes belles œuvres et nul doute que là-haut, les tupuna t’ont accueilli à bras ouverts avec des mave, tout comme lorsque tu accueillais aussi les nouveaux venus dans ton village de Hapatoni. A pae òe e te kui nō Ahutini, te ati ènata.

TP

Rédigé par TP le Mercredi 16 Juillet 2014 à 12:12 | Lu 1680 fois