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Détaxe carburant : Les navires rapides et les autres


Tahiti, le 7 décembre 2022 – Une réforme présentée cette semaine à l'assemblée prévoit de supprimer la distinction de prix des carburants entre les navires desservant Tahiti-Moorea et les navires desservant les îles, pour la remplacer par une distinction entre les navires “à grande vitesse” et les navires “standards”. Le Vaeara'i applaudit, mais le groupe Aremiti se méfie.
 
Petite révolution en vue sur la desserte maritime et notamment la ligne Tahiti-Moorea. Un projet de loi du Pays inscrit à la séance de ce jeudi à l'assemblée prévoit de modifier la nomenclature du Fonds de régulation des prix des hydrocarbures (FRPH) pour supprimer la distinction entre les prix du carburant fixés pour les navires assurant la desserte Tahiti-Moorea et ceux assurant la desserte des îles éloignées. Au lieu de ça, le gouvernement prévoit d'opérer une distinction entre les “engins à grande vitesse” et les autres navires. Une réforme qui fait débat, notamment entre le Vaeara'i et Aremiti.
 
Une question de distinction
 
Compte budgétaire destiné à stabiliser les fluctuations des cours du pétrole, le FRPH joue aujourd'hui à plein son rôle d'amortisseur de la flambée des prix des hydrocarbures. Et pour assurer une différenciation du prix des carburants entre les différents types d'usagers –automobilistes, armateurs, pêcheurs, producteurs d'électricité… – le FRPH distingue pas moins de 18 catégories d'utilisateurs. Parmi elles figurent les navettes assurant la desserte interinsulaire entre Tahiti et Moorea, qui paient 90 Fcfp/litre de gazole au prix de gros, et les navettes assurant les rotations vers les îles, qui paient 84 Fcfp/l au prix de gros. Une distinction introduite fin 2011 entre ces deux catégories de navires, puisque les bateaux assurant la liaison entre Tahiti et Moorea étaient “plus consommateurs de carburants” que les caboteurs se rendant dans les îles.
 
Mais aujourd'hui, le gouvernement estime que “cette distinction ne correspond plus à la réalité”. Comme l'explique l'exposé des motifs du projet de loi du Pays, d'une part des navires assurant la desserte Tahiti-Moorea assurent également la desserte des îles. C'est notamment le cas du Vaeara'i. D'autre part, la “typologie” des navires varie désormais sur la ligne Tahiti-Moorea, avec des “engins à grande vitesse” qui permettent de réduire le temps de traversée à près d'une demi-heure et des “navires standards” qui assurent la traversée en une cinquantaine de minutes. De la même façon, la typologie des navires assurant la desserte des îles Sous-le-vent, le Vaeara'i et l'Aremiti V, n'est pas la même.
 
“Or, les deux typologies ne répondent pas aux mêmes conditions d’exploitation et le poids que représentent les carburants dans leur équilibre financier n’est pas le même”, écrit le Pays dans sa proposition de loi du Pays. “Par conséquent, il convient de ne plus distinguer les navires de dessertes interinsulaires selon la liaison assurée mais selon leur typologie.” La réforme proposée par le gouvernement vise donc à distinguer, au sein du FRPH, le gazole destiné à l'alimentation des moteurs des navires de desserte interinsulaire relevant des “engins à grande vitesse” et des navires qui ne relèvent pas de cette catégorie.
 

Vaeara'i sur le même cap
 
Capitaine du Vaeara'i, qui n'est pas un engin à grande vitesse, Tino Fa Shin Chong ne cache pas qu'il demande cette distinction de longue date. “Bien avant l'arrivée de mon navire, je n'ai pas arrêté de le demander. Aujourd'hui, on met enfin cette distinction en évidence. Je suis satisfait.” Surtout, le capitaine du Vaeara'i rappelle que cette différence entre les types de navires existait avant 2011. “Il y avait déjà eu cette distinction à une certaine époque, qui différenciait les navires rapides par rapport aux navires standards. Sur Tahiti-Moorea, il y avait d'anciens ferry et ça avait été bien distingué. Ensuite, quand la ligne n'a été exploitée que par des navires rapides, le texte a été changé. Moi, je suis revenu avec un ferry et j'ai demandé à ramener la situation comme elle était avant.”
 
Tino Fa Shin Chong met en avant la différence de caractéristiques entre son navire et ceux de ses concurrents, principalement sous l'aspect “écologique” avec une moindre consommation de carburant et une capacité de transport jusqu'à 600 tonnes. “Ce sont des navires qui mettent plus de temps à faire les trajets et qui ont un rapport différent aux passagers. Je fais les îles Sous-le-vent également. C'est un bateau polyvalent, poly-archipels même, et bien adapté. On a mis les moyens au niveau de la sécurité pour qu'on soit bien équipés et qu'on puisse aller au-delà de Tahiti-Moorea, contrairement aux navires à grande vitesse qui sont très allégés au niveau de la sécurité.” Le capitaine rappelle qu'il avait obtenu initialement une licence pour neuf rotations annuelles aux îles Sous-le-vent, mais qu'il a dû s'adapte à une forte demande. “Aujourd'hui, avec les difficultés que les îles Sous-le-vent rencontrent par rapport au transport de fret et de passagers, ça a été multiplié presque par trois. On est à 24 voyages. Donc ça mérite un peu plus de considération. On rend des services à pas mal d'archipels. On a fait les Tuamotu également.”
 
Aremiti se méfie
 
Du côté du groupe Aremiti – dont le V, le VI et le Ferry sont des navires à grande vitesse – le son de cloche est très différent. L'armateur Tuanua Degage concède que les conditions d'exploitation de ses navires sont bien différentes de celles des autres caboteurs, mais pas forcément plus rentables. “Faire une différenciation entre nous et les autres, ça n'est pas dérangeant dans le fond. On a une charge qui est importante, qui est la charge carburant. Elle était jusqu'à présent de 30%. Et depuis l'inflation de ce début d'année, elle est passée à 45%.” Problème : le patron du groupe Aremiti affirme ne pas savoir si la réforme va conduire à augmenter ses coûts ou les faire baisser. “On ne sait pas à quelle sauce on va être mangé avec ce texte-là. Est-ce qu'ils veulent améliorer notre prix ? Augmenter notre tarif ? Je n'arrive pas à avoir la réponse.”
 
Mais surtout, Tuanua Degage conteste formellement l'idée selon laquelle ses navires à grande vitesse sont plus consommateurs de carburant que les autres caboteurs, et surtout plus consommateurs que le Vaeara'i. “Il y a une légende urbaine qui court en ce moment. Il y a une désinformation qui est mise en œuvre et qui est pourtant facile à démonter.” L'armateur prend trois arguments : un monocoque est par nature plus consommateur en énergie qu'un catamaran ; un navire en acier comme le Vaeara'i est plus lourd et donc plus consommateur que ses navires en aluminium ; et enfin la puissance moteur du Vaeara'i est de “5 000 kW contre 8 000 kW pour l'Aremiti VI”, pour une différence de vitesse de “16 à 17 nœuds contre 35 à 36 nœuds pour l'Aremiti VI”. Le rapport serait donc, selon lui, très favorable au catamaran. “C'est eux qui ont vendu leur bateau en disant qu'il consomme très peu de carburant, mais c'est faux”, martèle Tuanua Degage à propos du Vaeara'i.
 
Enfin, l'armateur des Aremiti prévient qu'il mettra en œuvre toutes les solutions juridiques à sa disposition pour “veiller à ce que la concurrence ne soit pas biaisée”. Comprenez que le gouvernement devra s'attendre à des recours s'il entend favoriser un carburant moins cher pour les navires standards par rapport aux navires à grande vitesse. “Si on lit le texte, on voit bien qu'on nous accuse d'être trop consommateurs. On va pouvoir le démonter s'il le faut devant les tribunaux. Et si la concurrence est biaisée par un tarif trop avantageux, on va pouvoir le démonter aussi devant les tribunaux.” Tuanua Degage affirme avoir déjà prévenu le gouvernement de ses intentions. “On ne laissera pas faire s'il y a des différences de prix du carburant.”
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mercredi 7 Décembre 2022 à 20:26 | Lu 1624 fois