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Des tensions politiques entre le Pays et les communes


Le ministre des outre-mer Victorin Lurel avec quelques uns des maires de Polynésie le 29 novembre dernier lors de sa visite. Une rencontre de deux heures qui a compté.
Le ministre des outre-mer Victorin Lurel avec quelques uns des maires de Polynésie le 29 novembre dernier lors de sa visite. Une rencontre de deux heures qui a compté.
PAPEETE, mardi 17 décembre 2013. Les coups de griffe ne cessent de se multiplier entre le Pays et les communes. Les unes reprochent au Pays de ne pas verser les arriérés du FIP avec assez de diligence et veulent changer la gestion de ce fonds de péréquation. Le Pays renvoie les communes à leurs responsabilités, notamment en matière de gestion des déchets. A quelques mois des élections municipales de mars 2014, c’est l’amour vache entre le Pays et les communes. Au point même que le président polynésien est presque sorti de ses gonds en pleine séance de discussion du budget 2014 à l’Assemblée de Polynésie le 4 décembre dernier et qu’il a fait une mise au point musclée au représentant d’A Ti’a Porinetia, Gaston Tong Sang, par ailleurs maire de Bora Bora.

Les élus discutaient alors des compétences transférées aux communes depuis la nouvelle loi organique statutaire de 2004. Selon cette loi, la gestion des déchets ménagers devait être assumée par les communes depuis 2012, l’adduction en eau potable devra l’être en 2015 et la mise en place d’un réseau d’assainissement pour 2020. Autant de compétences qui finissent par peser lourdement sur les recettes des communes, or, les recettes des communes via le Fonds intercommunal de péréquation (FIP) ne sont pas allées en s’améliorant, au contraire, puisque les recettes fiscales du Pays elles-mêmes ont perdu plusieurs milliards de Fcfp en quelques années.

En tout cas, cette attitude de la main tendue des communes vers le Pays n’a pas été appréciée du tout par le président polynésien. «Jamais le Pays n’a transféré ces compétences sur les déchets, l’eau et l’assainissement. La loi organique n’a pas été votée par le Pays ! Qui a voté la loi organique ? C’est l’Etat qui a transféré ces nouvelles compétences à partir de 2004. Pour les déchets, c’est l’Etat qui vous y oblige. Pareil pour les eaux usées… Jamais le Pays n’a transféré ces compétences, le Pays a assumé les déchets car aucune autre instance ne le faisait. Mais retournez-vous vers l’Etat, vers ceux qui vous ont transféré des charges nouvelles ! Demandez à l’Etat de payer ces charges nouvelles». Gaston Flosse a repris sa diatribe contre les communes quelques jours plus tard en conférence de presse : «Dès qu’il y a le moindre bobo on pointe le doigt sur le Pays. Pourtant c’est très clair, les communes sont de la compétence totale de l’Etat. Nous n’avons aucune compétence et nous n’avons jamais rien demandé. L’Etat renvoie systématiquement sur le Pays et les communes ont pris l’habitude de ce pli».

Or, le transfert de compétences de l’Etat vers une collectivité territoriale doit s’accompagner normalement «de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice» un principe inscrit dans la constitution que nombre de collectivités locales, avant les communes polynésiennes, ont vécu comme chimérique au cours des dernières années, la décentralisation se faisant bien souvent sans que les exactes compensations financières ne soient versées.

Les tiraillements entre le Pays et les communes ne sont pas nouveau en Polynésie, le plus souvent sur fond d’argent. Le FIP qui absorbe 17% des recettes fiscales prévues au budget du Pays, soit 13 milliards de Fcfp en 2014, est souvent l’élément de cristallisation de ce conflit larvé. On voit régulièrement les tavanas se plaindre de la gestion du FIP (qui leur échappe grandement) au Congrès des maires de France. A la dernière visite du ministre Victorin Lurel, ils auraient même obtenu de l’Etat, via le Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française, qu’un bilan de 30 ans d’autonomie polynésienne soit effectué. Le ministre des outre-mer ne serait ainsi pas opposé à «un toilettage ou une révision (du statut d’autonomie) pour que les choses soient plus équilibrées, plus efficaces». Le sujet est donc extrêmement politique.

Le fait que le sénateur Richard Tuheiava ait déposé le 19 septembre dernier, devant la présidence du Sénat, une proposition de loi «renforçant le principe de libre administration des collectivités locales en faveur des communes de la Polynésie française» est en un autre marqueur. Le sénateur souhaitant suivre l’avis des maires qui demandent que la gestion des recettes du FIP leur soit confiée et que la présidence du Comité de finances locales leur soit acquise.

La proximité des prochaines élections municipales de mars 2014 ajoute encore un peu de sel sur ces questions où l’équilibre est loin d’être trouvé. La preuve en tout cas qu’après 30 ans d’autonomie, des interrogations majeures continuent d’envenimer les relations entre les différentes strates des collectivités polynésiennes et que les difficultés de trésorerie (de l’une et des autres, par ricochet) révèlent avec encore plus d’acuité. La dette accumulée du Pays vers les communes polynésiennes, de près de 8 milliards de Fcfp dûs pour les années 2010, 2011 et 2012 ne s’apaisera au mieux qu’en huit ans, c’est-à-dire deux années de plus que la durée du prochain mandat des tavanas.




Ordures ménagères : en 2014, la SEP se fondra dans le SMO


En apparence en ce qui concerne les ordures ménagères et leur gestion par les communes : tout va bien. Depuis la création, le 1er novembre 2012 du SMO (syndicat mixte ouvert) pour le traitement des ordures ménagères, les 12 communes de Tahiti et Moorea assument leurs compétences en matière de traitement des déchets.

En apparence seulement, car le SMO n’est pour l’instant qu’une interface entre les communes, la SEP (société d’environnement polynésien) qui ramasse et traite les ordures ménagères et le Pays qui est actionnaire à 79,5% de cette société d’économie mixte créée en octobre 1997. A terme, il faudra que les 12 communes qui fondent le SMO puissent devenir actionnaires à 100% de la SEP pour que cette SEM -via une fusion-absorption- poursuive son travail sous une autre entité administrative.

Le principe de cette fusion-absorption de la SEP en SMO a été acté au début du mois de décembre. Le Conseil d’administration de la SEP a ainsi autorisé le SMO à devenir actionnaire majoritaire de la société d’économie mixte. Mais il faudra plusieurs étapes techniques et administratives avant que ce processus ne soit achevé. Au premier rang desquelles, comment le SMO (et donc les communes qui le composent) va-t-il racheter les 15% de parts privées du capital de la SEM ? Quelles compensations le Pays pourrait-il obtenir pour tous les investissements réalisés depuis 16 ans via cette société d’économie mixte pour le traitement des déchets des communes de Tahiti, qu’il a pris à sa charge depuis tout ce temps, alors que la compétence ne lui ait pas dévolue ? Les motifs de friction ne manquent pas.

Rédigé par Mireille Loubet le Lundi 16 Décembre 2013 à 17:02 | Lu 1651 fois