Tahiti Infos

Des tarifs bancaires en trompe-l‘œil


Tahiti, le 29 juin 2022 - En 2020, un accord triennal de modération tarifaire avait été signé entre l’État et les établissements bancaires polynésiens visant à réduire petit à petit trois lignes tarifaires d’ici 2022. Si l’engagement a été tenu, il est de portée limitée. Les tarifs des offres groupées de service, qui couplent notamment la gestion d’un compte bancaire, l’utilisation d’une carte et l’accès à un service web au sein d’un pack, ont notamment augmenté sur la même période. 
 
Dans un communiqué commun, le haut-commissariat et l’Institut d’émission d’Outre-mer (IEOM) se sont félicités le 24 juin dernier du respect de l’accord de modération sur les tarifs bancaires proposés aux particuliers par les banques locales signé en février 2020. Cet accord prévoyait une baisse graduée de trois tarifs sur la période 2020-2022 ainsi que le gel de cinq autres lignes tarifaires. Au niveau des baisses, les frais de tenue de compte devaient ainsi baisser de 5% sur la période de même que les frais de détention d’une carte de paiement international à débit différé. L’abonnement mensuel permettant une gestion des comptes sur Internet devait quant à lui baisser de 41% pour être proposé à un tarif maximal de 190 Fcfp par mois. Après avoir mis à jour les données de son Observatoire des tarifs bancaires, l’IEOM “constate le respect des engagements de cet accord”. Mais cette baisse des tarifs cache cependant encore de gros écarts avec la métropole et la Nouvelle-Calédonie. Elle masque également une hausse du tarif des packs des services bancaires.  
 
Des tarifs toujours supérieurs 
 
L’ensemble des mesures prévues dans l’accord de 2020 devaient “permettre de réduire l’écart avec les tarifs hexagonaux d’au moins 14% à horizon 2022”. Difficile deux ans plus tard de voir un rapprochement des tarifs entre le fenua et la métropole. L’examen des tarifs de l’extrait standard permet à cet égard de faire des comparaisons entre les territoires. Les frais de tenue de compte sont en moyenne de 4 190 Fcfp par an en Polynésie contre 2 305 Fcfp en métropole et 2 018 Fcfp à Nouméa. Des écarts qui se sont sensiblement accrus par rapport à 2020 et qui sont donc deux fois supérieurs à ceux pratiqués en Nouvelle-Calédonie. Même constat mais dans une ampleur moindre pour la fourniture d’une carte internationale à débit différé. La moyenne polynésienne relevée par l’IEOM est de 5 575 Fcfp par an alors que le même service bancaire est proposé à 5 055 Fcfp en métropole et à 4 820 Fcfp en moyenne sur le Caillou. Là encore, l’écart tarifaire entre territoire s’est accru par rapport à 2020. Le communiqué diffusé par le haut-commissariat et l’IEOM est d’ailleurs muet sur ce point. 
 
Portée très limitée de l’accord 
 
L’accord en lui-même n’avait qu’une portée limitée. La baisse ne concernait ainsi que trois lignes tarifaires, certes correspondantes à des services de base, mais les tarifs publiés annuellement par les établissements bancaires comprennent plusieurs centaines de lignes couvrant notamment toutes les opérations de gestion, d’utilisation des moyens de paiement ou encore de traitement des incidents. 
 
Mais surtout, l’offre bancaire a changé depuis quelques années. Les établissements bancaires développent en effet depuis plusieurs années des offres groupées de service, aussi appelés “Pack” ou “Package”. Prévues par le code monétaire et financier, ces offres permettent à une banque de proposer dans un pack un ensemble de prestations couvrant justement notamment l’ouverture et la gestion du compte, l’utilisation d’une carte locale ou internationale ainsi que l’accès à des services web ou téléphoniques qui permettent la consultation et la réalisation d’opérations. Un combo auquel chaque établissement apporte quelques touches personnelles proposant ainsi par exemple une deuxième carte bancaire ou l’émission gratuite de chèque de banque.
 
La réduction des frais de tenue de compte, des abonnements mensuels de gestion des comptes par Internet ainsi que des frais des cartes de paiement internationales auraient dû conduire à une baisse mécanique de ces offres. Il n’en est rien.  
 
Offres groupées en forte hausse 
 
Les tarifs de ces services groupés ont en effet fortement augmenté depuis 2020. A la Banque Socredo, la communication se fait principalement autour des nombreux “forfaits Hiva” qui proposent “l’essentiel de votre banque en un seul compte”. Les packages regroupent ainsi un compte à vue, une carte bancaire ainsi que des services d’assurance et d’accès Internet ou téléphonique. Proposé à 800 Fcfp par mois juste avant la crise épidémique, le forfait Hiva Essentiel est désormais à 900 Fcfp par mois (+12,5%) avec désormais un espace client sur l’application mobile en plus. Idem pour le forfait Hiva Premium qui passe de 1 900 à 2 100 Fcfp par mois (+10,5%). A la Banque de Polynésie, les Packs Jeunes ont ainsi tous augmenté de 10% sur la période. La Pack 2 est ainsi passé de 364 à 400 Fcfp par mois entre 2020 et 2022 et le Pack 3 de 727 à 800 Fcfp par mois sur la même période. L’offre Manava, destinée au plus de 18 ans, a connu des variations de moindre ampleur. Cette offre avec une carte Visa Classique est ainsi passée de 1 505 à 1 573 Fcfp par mois (+4,5%). Les autres packs sont proposés avec des hausses comprises entre 3 et 4% depuis 2020. A la Banque de Tahiti, peu de packs sont proposés et essentiellement pour les jeunes. Si l’offre Taurea’ Nui a baissé, la cotisation devient cependant plus élevée à partir de la deuxième année de +2% par rapport au tarif 2020 pour la formule avec la carte internationale. 
 
Des exemples loin d’être exhaustifs qui témoignent d’une capacité, tout à fait légale, des établissements bancaires à contourner les effets de la baisse des tarifs actée d’un accord de modération. Les offres de services groupées ne sont ainsi soumises à aucun engagement en matière de modération ou de gel tarifaire. Les hausses sur ces produits bancaires, parfois à deux chiffres, passent ainsi sous les écrans radars de l’État et de l’IEOM. Le prochain accord de modération qui sera négocié devra ainsi, pour être pertinent, mettre en place une régulation des prix qui tiennent compte de la pratique commerciale effective des établissements. 
 
 

Rédigé par Sébastien Petit le Mercredi 29 Juin 2022 à 21:05 | Lu 4990 fois