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Des milliards de recettes communales définitivement irrécouvrables


La municipalité de Papeete a déjà commencé à effacer petit à petit son ardoise.
La municipalité de Papeete a déjà commencé à effacer petit à petit son ardoise.
PAPEETE, le 24 juillet 2019 – Le Conseil d’Etat vient de mettre un point final au dossier des milliards de Fcfp de « recettes communales irrécouvrables ». Une quarantaine de communes polynésiennes sont concernées pour près de six milliards de Fcfp de recettes municipales qui ne finiront jamais dans les caisses des collectivités.

C’est la fin d’un complexe et faramineux feuilleton juridique pour une quarantaine de communes de la Polynésie française. Celui des six milliards de Fcfp de « recettes communales irrécouvrables », né d’une subtilité du Code général des collectivités territoriales (CGCT) lors de sa mise en application en 2008. A l’époque, la période de prescription pour le recouvrement des recettes communales était passée de 30 ans dans l’ancienne réglementation à 4 ans dans le nouveau CGCT. Problème, un nombre incommensurable de titres de recettes communales se sont retrouvées prescrites et donc impossibles à recouvrir.
 
En effet, en l’absence d’adressage dans les communes polynésiennes, l’identification des débiteurs est extrêmement difficile et le recouvrement des recettes par les comptables publics parfois impossible. « Dura lex, sed lex », les comptables publics sont pourtant responsables sur leurs deniers personnels de l’argent dont ils ont la charge. Et la dernière comptable publique en poste à la Trésorerie des îles du Vent, des Australes et des archipels (Tivaa) au moment du changement de prescription s’est retrouvée mise en « débet » -en obligation de rembourser à la collectivité- des sommes perdues.

​Le Conseil d’Etat valide la Cour des comptes

Dans le cadre de cette procédure, c’est d’abord la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française qui a constaté à partir de 2015 que les recettes non recouvrées depuis ces 30 dernières années étaient désormais prescrites pour les communes polynésiennes. La décision de la chambre a ensuite été affinée en appel par une jurisprudence de la Cour des comptes en mars 2017, considérant que la comptable en question ne pouvait être mise en débet que sur les sommes qu’elle n’avait pu recouvrer après 2009. Les créances antérieures étant trop anciennes.
 
Et le 17 juin dernier, le Conseil d’Etat est venu confirmer cette jurisprudence pour la toute première fois dans une décision concernant la commune de Papeete. Sa décision n’étant pas susceptible de recours, la jurisprudence va s’appliquer à l’ensemble des quarante communes dans la même situation, avec à chaque fois des montants de recettes irrécouvrables variables…
 
Pour prendre l’exemple de Papeete et ses 667 millions de Fcfp de recettes communales non-recouvrées, la comptable publique a été mise en débet de 47 millions de Fcfp. Résultat, les 620 millions de Fcfp de titres de recettes jugés trop anciens pour être réclamés se sont perdus dans la nature. Or, comme ils ont été inscrits dans le budget de Papeete depuis toutes ces années, la municipalité va devoir petit à petit effacer son ardoise. C’est d’ailleurs ce qu’elle a commencé à faire, à raison de 60 millions de Fcfp par an.

​Et maintenant ?

Maintenant que la jurisprudence est définitive, la chambre territoriale des comptes de Polynésie française va pouvoir appliquer la même décision à toutes les communes dont les comptes ne sont pas « fiables », parce qu’ils présentent des titres de recettes qui ne peuvent plus être recouvrés. Une situation totalement unique sur le territoire de la République française. Reste à espérer que les communes les moins dotées pourront éponger leur ardoise sans trop de difficultés budgétaires.
 
Cette affaire aura en tous cas eu le mérite de permettre une « prise de conscience » sur les problématiques de recouvrement en Polynésie, pour reprendre les termes du président de la chambre territoriale des comptes, Jean Lachkar, il y a tout juste un an, puisque : « les comptables des communes se sont retournés vers les ordonnateurs et ont demandé un effort, en améliorant l’adressage, en améliorant la qualité du débiteur et en améliorant les poursuites ». Ce qui a pu permettre, selon le magistrat, « l’élaboration d’un plan de recouvrement des produits locaux qui porte ses fruits ».

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 25 Juillet 2019 à 11:38 | Lu 5664 fois