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Des archives du CEP refermées


Papeete, le 18 octobre 2019 – Alors que des travaux doivent être menés pour la documentation du futur Centre de mémoire du nucléaire, l’historien Jean-Marc Regnault dénonce la fermeture d’archives du CEP qui étaient pourtant ouvertes en 1998. Un « malheureux retour en arrière » qui entache la volonté affichée de transparence de l’Etat sur ce dossier, regrette le chercheur.
 
Dans une tribune publiée vendredi dans Tahiti Pacifique, l’historien Jean-Marc Regnault dévoile une étonnante difficulté à accéder à des archives du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), ouvertes en 1998 mais refermées en 2019. Un « malheureux retour en arrière » dénoncé par le chercheur associé à l’Université de la Polynésie française, notamment dans le cadre des travaux préparatoire à la documentation du futur Centre de mémoire.

« Ces archives ne me sont plus ouvertes à moi-même, mais surtout elles ne sont plus ouvertes aux chercheurs, et notamment à l’équipe qui a été mise sur pied pour enrichir le Centre de mémoire du nucléaire aujourd’hui à Tahiti », explique Jean-Marc Regnault. « J’ai publié certaines de ces archives. J’ai fait des articles et même un livre ‘La France à l’opposé d’elle-même’ grâce à elles. Et j’ai donc expliqué le cheminement qui avait amené le CEP en Polynésie. Seulement il y a d’autres archives, que je n’ai pas consultées parce que le temps me manquait, qui peuvent approfondir, peaufiner ou apporter des exemples. Donc maintenant, on est bloqué sur le travail que j’avais fait il y a maintenant 21 ans. »

Ces archives du CEP, compilées au service historique de la Défense à Vincennes, démontrent notamment que l’Etat avait décidé dès 1957 de ne choisir que « provisoirement » le site du Sahara pour ses expérimentations nucléaires. Et donc que la décision de transférer les essais nucléaires en Polynésie française était bien antérieure à l’indépendance de l’Algérie, comme le voulait la version officielle à l’époque. Preuve en est avec le rapport du général Ailleret en janvier 1957, qui évoquait déjà la piste des Tuamotu pour ces expérimentations.

Archives fermées

Ce qui semble aujourd’hui bloquer la consultation de ces archives, c’est une loi du 15 juillet 2008. Avant cette loi, quand un dossier d’archive comportait des éléments classés « secret défense », ils étaient retirés avant consultation du dossier par les chercheurs. Mais depuis cette loi de 2008, lorsqu’il y a un élément « secret défense » dans un dossier, c’est l’intégralité du dossier qui est retiré. « C’est ce qu’on nous avait expliqué en 2009 lorsque nous avions travaillé sur l’atelier consacré au nucléaire lors des états généraux », explique Jean-Marc Regnault.

« Je n’avais pas essayé, avant 2008, de redemander des archives, je ne sais pas ce qu’on m’aurait dit. Mais en règle générale, les souvenirs que j’ai, c’est que lorsque des archives étaient ouvertes pour un chercheur, elles restaient ouvertes et elles étaient même ouvertes pour d’autres chercheurs. A partir du moment où on avait commencé à publier, il n’y avait plus aucune raison de les cacher », s’étonne aujourd’hui l’historien.

L’historien s’était déjà vu refuser l’accès à ces archives en 2013. Mais la situation devient réellement préoccupante aujourd’hui avec les travaux sur le Centre de mémoire. « François Hollande avait parlé d’un ‘centre d’archives du nucléaire’. On a voulu retirer l’expression ‘archives’ qui n’était peut-être pas très engageante, mais c’était l’esprit. Donc la question que je pose, c’est : Est-ce qu’on peut faire l’histoire du nucléaire sans les archives ? Est-ce qu’on peut faire les archives du nucléaire sans les archives ? C’est quand même antinomique. »

Rédigé par Antoine Samoyeau le Samedi 19 Octobre 2019 à 17:49 | Lu 6094 fois