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Dépolitiser le fait nucléaire


De nombreux élus de l’assemblée, quel que soit leur bord, se sont réunis se mardi 9 mars pour parler de l’indemnisation des victimes de maladies radio-induites, dues aux essais nucléaires précédemment menés par la France.  Crédit : Tom Larcher
De nombreux élus de l’assemblée, quel que soit leur bord, se sont réunis se mardi 9 mars pour parler de l’indemnisation des victimes de maladies radio-induites, dues aux essais nucléaires précédemment menés par la France. Crédit : Tom Larcher
Tahiti, le 9 avril 2024 - Le fait nucléaire et son passif polynésien font souvent monter le ton dans les bureaux de l’assemblée de la Polynésie. Mais ce mardi 9 mars, à l’occasion de la 3e commission d’information sur le sujet depuis le début de l’année, la tendance est à l’apaisement, témoigne Hinamoeura Morgant-Cross du Tavini huira’atira. L’objectif : regarder vers le futur sans oublier le passé et dépolitiser le débat, afin de pouvoir s’attaquer au problème de l’impact des essais nucléaires en Polynésie de manière éclairée.
 
C’est la troisième fois cette année que les élus de l’assemblée de la Polynésie française se sont réunis autour d’une table, dans le cadre d’une commission d’information sur le fait nucléaire et sur l’indemnisation des victimes de maladies radio-induites en Polynésie. Si les opinions divergent sur la question d’un parti à l’autre, les acteurs de la politique du Fenua semblent s’atteler de plus en plus à la résolution de ces points de discorde. Un soulagement pour Hinamoeura Morgant-Cross, élue Tavini qui milite depuis longtemps pour la reconnaissance et l’indemnisation de toutes les victimes de maladies radio-induites. “Je suis agréablement surprise de la participation en masse d’élus, que ce soit de notre majorité Tavini huira’atira ou de l’opposition, A here ia Porinetia et le Tapura huira’atira, mais aussi des invités comme la CPS (Caisse de prévoyance sociale, NDLR), l’association 193, le président Moetai Brotherson et la déléguée au suivi des conséquences des essais nucléaires, Yolande Vernaudon.” Mais aussi celle de Gaston Flosse, l’homme qui avait réussi à faire passer la pilule des essais nucléaires en saisissant le potentiel des retombées économiques pour le Fenua. Trente ans plus tard, il participe à ces réunions afin de trouver un point d’entente politique entre les différents acteurs.
 
“Des débats constructifs et apaisés” souhaités
 
Évidemment, le sujet divise encore. “C’est toujours explosif comme a pu le dire le président Moetai Brotherson”, retranscrivait Hinamoeura Morgant-Cross à la sortie de la commission d’information. Les points qui fâchent sont nombreux : déjà, les chiffres de la CPS, recueillis entre 1985 et 2024 qui ne satisfont pas le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), alors que ce même organisme refuserait de communiquer les chiffres de ses études sur le sujet, expliquait Patrick Galenon, président du conseil d’administration de la CPS. “Tant qu’ils refusent de communiquer les leurs, ce sont nos chiffres qui sont les bons”, rajoutait Patrick Galenon. Ces chiffres, ce sont 12 584 patients touchés par des maladies radio-induites selon l’enquête de la CPS, et qui ont été soignés à 89% aux frais de la CPS et donc des cotisants polynésiens (95 milliards de francs). Autre point, la loi Morin, pas encore assez précise et efficace pour indemniser les victimes de maladies radio-induites selon certains élus. Et enfin, expliquait Patrick Galenon, le remboursement de sept dossiers par l’État à la CPS de 2011 à 2013, avant que le Conseil d’État ne décrète que ce n’était plus de la responsabilité de la France, en invoquant le principe de solidarité nationale. Tous ces sujets attisent les tensions sur les sièges de l’assemblée de la Polynésie. “Il y a eu des échanges qui se sont un peu enflammés, ce que je regrette, mais ce que je souhaite vraiment, c’est que nos débats soient constructifs et apaisés”, déclarait Hinamoeura Morgant-Cross.
 
Bref, il reste du pain sur la planche des représentants à l’APF, témoignait Nicole Sanquer, présidente du parti A here ia Porinetia. “Ce n’est toujours pas parfait, il y a des choses que l’on doit demander comme l’étude de l’impact transgénérationnel et le remboursement de la CPS… Il faut perpétuer le dialogue avec l’État, et surtout ne pas en faire une histoire politique.” Apparemment, il est là le vrai combat : s’attaquer au problème du nucléaire sans le politiser. “Il y a une réelle volonté de dépolitiser le débat et qu’il n’y ait plus de couleur politique, car comme disait Moetai Brotherson, les maladies radio-induites ne touchent pas seulement des personnes du parti Tavini huira’atira, elles touchent tout le monde”, ajoutait Hinamoeura Morgant-Cross.
 
Maintenir le débat
 
La situation semble tout de même se débloquer, petit pas par petit pas. Patrick Galenon en témoignait : “C’est bien la première fois que l’assemblée de la Polynésie invite officiellement la CPS à présenter ses chiffres” lors d’une commission d’information. Les différents partis politiques, peu importe leurs convictions, semblent désormais enclins à “maintenir un dialogue apaisé avec l’État tout en apportant de nouveaux arguments”, rajoutait Nicole Sanquer, tandis que le Tavini dispose actuellement de trois députés à l’Assemblée nationale. Hinamoeura Morgant-Cross, elle, se dit “confiante mais pas dans l’attente”. Alors qu'il ne lui reste que quatre ans dans son mandat, elle dit vouloir les mettre à profit pour “continuer à se battre face à la France pour la reconnaissance des faits nucléaires, mais aussi chercher d’autres solutions et une aide internationale”. Comme une potentielle requête formulée au Parlement européen, pour débloquer des aides afin d’effectuer des études épidémiologiques, a-t-elle mentionné.

Rédigé par Tom Larcher le Mardi 9 Avril 2024 à 17:28 | Lu 1523 fois