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Délinquance juvénile : "Le but reste d’aider le mineur, dans son intérêt et celui de la société"


Delphine Thibierge, juge des enfants depuis quatre ans au tribunal pour enfants à Papeete.
Delphine Thibierge, juge des enfants depuis quatre ans au tribunal pour enfants à Papeete.
PAPEETE, le 12 août 2015 - Dans le cadre de sa rubrique hebdomadaire "Mieux comprendre", la rédaction de Tahiti Infos s’est intéressée cette semaine à la justice des mineurs. En 2014, 1 061 mineurs ont été interpellés au fenua et 474 d’entre-eux ont fait l’objet d’un jugement prononcé par le tribunal pour enfants (TPE), ou par le juge des enfants. Mais le TPE, juridiction des mineurs du tribunal de première instance de Papeete (TPI), ne se contente pas de condamner pénalement ces jeunes délinquants. Il consacre même 80 % de son activité à l’assistance éducative et à la protection de l’enfance. Delphine Thibierge, juge des enfants et vice-présidente du TPI, nous explique son fonctionnement.

Tahiti Infos : Le tribunal pour enfant, qu’est-ce que c’est ?

C’est l’institution judiciaire qui traite de toutes les affaires concernant les mineurs. Que ce soit au niveau civil, c’est-à-dire tout ce qui est assistance éducative et protection de l’enfance, ou au pénal, pour juger les mineurs délinquants.

Qui compose cette institution ?

Deux juges des enfants à temps plein à Papeete, et les deux juges des sections détachées de Raiatea et Nuku Hiva qui ont aussi cette compétence sur leur ressort. Deux greffiers et deux fonctionnaires complètent l’effectif pour l’accueil du public.

Où, quand et sous quelle forme siège le TPE ?

Le juge des enfants peut juger seul les mineurs en audience de cabinet et peut les condamner, mais essentiellement à des mesures éducatives. Cela concerne les affaires simples, ou les très jeunes mineurs, les primo-délinquants. Pour des infractions graves et en fonction de sa personnalité, le mineur est renvoyé devant le tribunal pour enfant. La loi l’oblige, même, quand il s'agit de mineurs âgé de 16 ans révolus pour les délits les plus graves. L’audience se tient une fois par mois dans la grande salle du palais de justice, en publicité restreinte pour protéger la confidentialité des débats et l’identité des mineurs. Le juge des enfants préside, assisté de deux assesseurs. Les mineurs sont obligatoirement assistés d’un avocat. Les parents sont obligatoirement présents dans la mesure où ils sont civilement responsables et peuvent-être amenés à payer des dommages et intérêts. Le tribunal pour enfant dans sa formation collégiale a la possibilité de prononcer à la fois des peines répressives comme pour les majeurs, mais aussi des mesures éducatives.

A partir de quel âge et jusqu’à quand est on mineur aux yeux de la loi, les peines encourues sont-elles les mêmes que pour les adultes ?

Non. Il y a ce que l’on appelle l’excuse de minorité. Les peines encourues sont divisées par deux par rapport aux adultes, sauf dans des circonstances très particulières, aux assises par exemple, et si le mineur a entre 16 et 17 ans. Jusqu’à l’âge de 10 ans, seule une mesure éducative peut-être prononcée. Ce n’est qu’à partir de 13 ans que la juridiction de jugement peut prononcer une peine. Il y a une graduation des peines en fonction de l’âge et de la maturité.

Quel est l’arsenal des mesures éducatives dont dispose le TPE avant de basculer dans la répression pénale des mineurs ?

Il y en a deux types. Il y a les rappels à loi, ou encore la liberté surveillée, qui est inscrite sur le casier judiciaire. Il y a aussi des mesures éducatives qui visent plus précisément à organiser le suivi des mineurs. L’éducatif a toujours la priorité sur le répressif conformément à l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante. Le but recherché étant quand même d’aider le mineur à se construire un avenir pour évider qu’il récidive. Dans son intérêt et celui de la société.

Qui s’occupe du suivi des mineurs condamnés par le TPE ?
Concernant les mineurs délinquants, c’est le service territorial de Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui met en place cet accompagnement.

Le juge des enfants développe-t-il une écoute particulière eu égard au jeune âge de la population qu’il a en face de lui ?

Oui. Il y a tout l’aspect éducatif que l’on n’a plus avec les majeurs. Ce sont des êtres en devenir que l’on ne peut pas considérer comme des adultes. Quand un adulte inscrit dans la délinquance n’aura rien à faire de ce que pourra lui dire un juge, le mineur, même s’il est dans la rébellion, garde cette part d’écoute. Le passage à l’acte est souvent un appel à l’aide, la recherche d’un cadre structurant, des limites que n’ont pas su poser les parents. Cela peut aller jusqu’à Nuutania éventuellement. On part du postulat qu’un jeune peut encore évoluer, qu’il a des choses à apprendre, qu’il n’a pas forcément la maturité suffisante pour comprendre la portée de ses actes ni la connaissance des interdits. Si le législateur a estimé qu’il fallait diviser par deux la peine pour les mineurs, c’est précisément pour ces raisons-là. Dans 99 % des cas ces jeunes évoluent dans des contextes familiaux compliqués. Quand un mineur envisage un passage à l’acte, cela concerne tout son environnement, ses parents. Il faut alors essayer de mettre en place une dynamique pour aider l’enfant et ses parents à évoluer.

Quelle tranche d’âge pose le plus de problèmes ?

Entre 15 ans et 17 ans. Ils représentent plus de 80 % des mineurs que l’on retrouve au tribunal. Donc en pleine crise d’adolescence.

Comment se passe l’exécution des peines pour les quelques mineurs qui ne peuvent échapper à l’incarcération en Polynésie française ?

Il n’y a pas de quartier des mineurs à la maison d’arrêt de Nuutania. L’administration pénitentiaire fait le maximum pour leur prévoir des conditions de détention conforme aux textes.

Et pour les autres ?

Il y a un foyer qui peut accueillir les mineurs délinquants mais qui n’a pas la capacité de prendre en charge les problématiques lourdes de conduites à risque, toxicomanie et autres troubles graves du comportement. Il n’y a pas à ce jour d’alternative entre le foyer classique d’hébergement et Nuutania. Il y a un manque de structure. Il n’y pas comme en métropole de centre éducatif fermé, ou renforcé. Mais c’est en projet.

Après quatre ans sur le territoire, constatez-vous un durcissement de la jeunesse polynésienne ?

Plusieurs intervenants trouvent que oui. Mais il n’y a pas de statistiques à notre niveau, c’est subjectif. Les infractions les plus commises sont les vols, et les agressions sexuelles. Dont celles de mineurs sur des enfants. Les mineurs les plus difficiles ne sont pas forcément ceux qui ont des pathologies psychiatriques mais aussi ceux qui ont un véritable problème avec l’autorité. Localement, ceux que l’on retrouve le plus souvent sont des jeunes marqués par des ruptures affectives, comme les enfants fa’amu qui passent de parents à l’autre. Ces enfants se sont souvent barricadés pour ne pas souffrir de ces ruptures, ont peu de limites et développent peu d’empathie.

FOCUS

1061 mineurs interpellés en 2014.

474 mineurs ont été jugés en 2014, dont 68 % par le juge des enfants seul (mesures éducatives) et 32 % par le tribunal dans sa formation collégiale (peines répressives).

138 peines répressives ont été prononcées en 2014, soit 30 % de l’activité.

26 peines d’emprisonnement ont été prononcées en 2014 contre 16 en 2013.

80 % de l’activité concerne l’assistance éducative et la protection de l’enfance.

2011 à 2012 a connu un pic d’augmentation avec 20 % d’affaires nouvelles et une hausse de 30 % des mineurs jugés par le TPE. La tendance s’est stabilisée depuis.


Rédigé par Raphaël Pierre le Mardi 11 Août 2015 à 06:05 | Lu 1972 fois