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Dans l'Arctique, un archipel tire un trait sur son passé minier


Crédit Viken KANTARCI / AFP
Crédit Viken KANTARCI / AFP
Ancienne mine de Svea, Norvège | AFP | jeudi 25/10/2023 - Défoncés, les rails sont envahis par les herbes folles et ne mènent plus nulle part. De la mine de Svea dans l'Arctique et de la centaine de bâtiments et constructions alentour, il ne reste presque plus rien.

Le charbon, la pire des énergies fossiles pour le climat, a fait la fortune puis la malédiction du Svalbard. Niché dans la région qui se réchauffe le plus vite sur la planète, cet archipel norvégien de 3.000 âmes gomme aujourd'hui l'une après l'autre les traces de son passé minier.

A 40 minutes d'hélicoptère au sud-est de Longyearbyen, le chef lieu du groupe d'îles, la mine de Svea vient d'être rendue à Mère Nature après des travaux herculéens. 

"Au plus fort de l'occupation humaine, les baraquements comptaient 300 personnes, il y avait une cantine, une piste pour avions avec 35.000 passagers par an, une centrale électrique, un atelier, des hangars...", témoigne Morten Hagen Johansen, en charge du projet de réhabilitation de la mine où il a lui-même travaillé.

Après le plus vaste projet de restauration naturelle jamais entrepris en Norvège, ne demeurent plus qu'une poignée de vestiges humains protégés car datant d'avant 1946: des bâtiments en briques effondrés, un antique véhicule à chenille rouillé, des rails sur lesquels circulaient jadis les wagonnets remplis de charbon.

"De nombreux mineurs étaient ici chez eux pendant des décennies", explique Hanna Geiran, cheffe de la Direction norvégienne du patrimoine culturel. "Préserver ces objets et ces éléments contribue à la compréhension de ce qu'a été ce site".

Avalanches 

Ouverte par une compagnie suédoise en 1917, la mine a été officiellement fermée 100 ans plus tard après avoir produit 34 millions de tonnes de charbon, et rendue à son état naturel moyennant 1,6 milliard de couronnes (140 millions d'euros) déboursés par l'Etat norvégien.

"L'idée, c'est de laisser la nature reprendre ses droits, que la nature se recrée elle-même", précise Morten Hagen Johansen. 

"Cela veut dire laisser les ruisseaux apparaître, se faire librement. S'assurer que les avalanches se produisent, qu'elles transportent les sédiments en bas de la vallée, que cela crée de nouvelles rivières", dit-il.

Dans la région de la mer de Barents où baigne le Svalbard, le réchauffement est jusqu'à sept fois plus important que sur la planète, selon une étude publiée l'an dernier dans Nature.

A Svea, un éboulement spectaculaire a créé une profonde crevasse dans une colline.

"C'est le résultat de très fortes pluies qui ont eu lieu l'été dernier où il a plu entre 50 et 60 millimètres en seulement 24 heures", décrypte le géologue Fredrik Juell Theisen. "Ce qui était très inhabituel avant que le climat ne commence à changer ici".

Présence russe

Le retour de bâton est cruel pour l'archipel qui veut aujourd'hui en finir avec les énergies fossiles. 

Sept autres mines situées sur les hauteurs de Longyearbyen ont presque toutes fermé au fil du temps - la dernière le sera en 2025 - et le village a définitivement débranché sa centrale à charbon ce mois-ci au profit d'une installation au diesel, moins polluante, avant de passer aux renouvelables. 

Dorénavant, le Svalbard se concentrera sur ses deux autres piliers: le tourisme et la recherche scientifique.

Seul subsistera alors un filon de charbon exploité à Barentsburg, une communauté minière russe, où vivent un peu moins de 500 Russes et Ukrainiens essentiellement originaires du Donbass.  

Une bizarrerie du traité international qui a reconnu la souveraineté de la Norvège sur le Svalbard en 1920 fait que tous les ressortissants des parties contractantes ont le droit d'y exploiter les ressources naturelles sur un pied d'égalité. 

C'est à ce titre que la Russie, via la compagnie d'Etat Trust Arktikugol, maintient depuis des décennies une présence sur ce territoire stratégique appartenant à un pays membre de l'Otan.

Selon certains observateurs et les Russes eux-mêmes, c'est donc aussi pour limiter cette présence encombrante que la Norvège a mis en place de strictes régulations environnementales: environ les deux tiers des terres du Svalbard bénéficient d'une forme de protection.

Difficile de dire si de telles motivations ont joué un rôle dans la décision d'Oslo de restaurer, à grands frais, le site de Svea, note Mats Kirkebirkeland du think tank norvégien Civita.  

"Mais", dit-il, "il est indéniable que certaines des politiques environnementales norvégiennes et les politiques géostratégiques au Svalbard sont alignées".

le Jeudi 26 Octobre 2023 à 04:31 | Lu 514 fois