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Corruption : Le ras-le-bol des Polynésiens


Tahiti, le 15 novembre 2021 - L’organisation non gouvernementale Transparency International a rendu public lundi un Baromètre global de la corruption dans le Pacifique Sud à l’issue d’une enquête très détaillée. Cette étude présente la perception de la corruption par la population. En Polynésie française, les chiffres records publiés par l’ONG témoignent d’une perception par les Polynésiens d’une pratique très répandue parmi les gouvernants.
 
Les adeptes du “tous pourris” y trouveront des arguments. Les plus moqueurs s’en amuseront, pensant probablement aux oscillations perpétuelles des hommes politiques locaux entre affirmation d’une nécessaire exemplarité et comparutions au palais de justice de Papeete. Les résultats de la vaste étude réalisée par l’ONG Transparency International et rendue publique lundi sur le Baromètre global de la corruption dans le Pacifique Sud ont été obtenus à l’issue d’une enquête particulièrement approfondie et détaillée (voir encadré). L’ONG, qui lutte depuis près de trois décennies contre la corruption des gouvernements, a ainsi réalisé une étude inédite sur la perception des pratiques corruptives dans dix pays et territoires de la région du Pacifique Sud en interrogeant 6 000 personnes. Les chiffres records recueillis en Polynésie française, au sein d’un échantillon représentatif, témoignent d’une population considérant la corruption comme une pratique très présente localement, notamment auprès des gouvernants. Avec un malaise plus que perceptible.
 
Leaders politiques et achats de voix
 
Arriver en tête d’un sondage n’est pas systématiquement une satisfaction pour les hommes politiques. En témoignent les réponses au questionnaire confectionné par Transparency International. Invités à indiquer quelles sont les personnes et institutions les plus impliquées dans la corruption, les polynésiens ont en effet mis les politiques dans le tiercé de tête avec plusieurs encolures d’avance sur les dix autres catégories proposées. Les membres du gouvernement arrivent en tête avec 44% et devancent d’un nez les représentants de l’Assemblée de Polynésie (40%) puis viennent les tāvana (34%). Des chiffres sur les représentants du pouvoir exécutif et législatif très largement supérieurs à la moyenne observée chez nos voisins. 15% des personnes interrogées considèrent ainsi que tous les représentants de l’APF sont corrompus et 16% ont la même opinion du Président de la Polynésie et de son cabinet.
 
En queue de classement, la police et l’armée, avec respectivement 8 et 9%, apparaissent d’une certaine manière moins corrompus avec des taux très inférieurs à la moyenne régionale. En Polynésie, à l’instar des autres territoires du Pacifique sud, ce sont les responsables religieux que semblent bénéficier d’une bien meilleure image par rapport au problème de la corruption (4%).
 
 
Une perception très négative des politiques qui s’appuie cependant sur des expériences personnelles. En effet, le mythe d’un bulletin dans l’urne monnayé contre une caisse de bières a désormais une réalité. Et elle est chiffrée par Transparency International. En effet, en Polynésie française, “23% des personnes interrogées ont indiqué qu’il leur a été versé un pot-de-vin en échange de leur vote au cours des cinq dernières années” contre 6% en Nouvelle-Calédonie. Près d’une personne sur quatre s’est ainsi vu offrir un pot-de-vin - ou plutôt un pot-de-bière – dans le but de modifier le sens du scrutin. Ils sont sensiblement plus nombreux (26%) à indiquer qu’un membre de leur famille a eu une telle proposition. Une proportion qui laisse supposer que les candidats ont du mal à convaincre avec des arguments et qu’un effort supplémentaire de persuasion doit être réalisé. Une statistique qui peut expliquer la volonté des formations politiques à se constituer un trésor de guerre à l’approche des échéances électorales.
 
Gouvernement : entre défiance et iniquité
 
Mais si les politiques sont plus facilement estampillés comme corrompus en Polynésie, les statistiques révélées par l’ONG s’attardent surtout sur le phénomène de corruption au sein des membres du gouvernement. Ainsi, interrogés sur l’évolution de la corruption au sein du gouvernement au cours des 12 derniers mois, 56% des personnes ont répondu qu’elle avait augmenté contre seulement 8% qui constatent une baisse et 31% une stagnation (5% de sans opinion). Un sentiment qui serait notamment perceptible dans l’attribution des marchés publics. En effet, 75 % des personnes interrogées considèrent que les entreprises polynésiennes utilisent fréquemment ou très fréquemment “de l'argent ou des relations pour obtenir des contrats gouvernementaux” alors qu’elles ne sont que 11% à penser que ce phénomène est rare, occasionnel ou tout simplement inexistant.
 
Une pratique qui conduit les polynésiens à douter fortement de la capacité du gouvernement à agir de façon juste et équitable. Si près de six habitants sur dix du Pacifique Sud ont déclaré “avoir une assez grande ou une grande confiance dans le gouvernement pour faire un bon travail et traiter les gens équitablement”, les territoires de la République française ont l’art de faire chuter lourdement la moyenne. L’ONG note en effet qu’ “en revanche, seuls environ un quart des répondants en Nouvelle-Calédonie (23%) et en Polynésie française (28%) ont confiance dans le fait que le gouvernement fera du bon travail et agira de manière équitable”.
 
Le poids des lobbys
 
Une crainte du favoritisme qui conduit logiquement à considérer qu’un gouvernement peut plus facilement favoriser des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général et céder ainsi aux sirènes des lobbys et autres grandes entreprises. Là encore, l’étude de Transparency International met en avant les spécificités du fenua en la matière. Interrogés sur la perception d’un pays qui ne serait gouverné qu’autour des intérêts de quelques puissants, les habitants de la région du Pacifique sud sont en moyenne 40% à penser que “le gouvernement est souvent contrôlé par quelques grands intérêts”. (“run by a few big interests”). Mais là encore, la Polynésie a doublé tout le monde ainsi que cette moyenne. L’ONG note que “cette préoccupation est particulièrement répandue chez les répondants de Polynésie française” avec un taux de 80%. Soit 17 points de plus que les îles Salomon classées en seconde position. Une étude qui fait passer la Polynésie française pour un régime politique oscillant sérieusement entre ploutocratie et oligarchie, avec la forte perception par la population polynésienne de l’existence d’une “République des copains et des coquins” sous les tropiques.
 

Fonctionnaires : Copinage, favoritisme et impunité

Le baromètre sur la corruption dans le Pacifique Sud, réalisé par l’ONG Transparency International, s’est également penché abondamment sur la corruption au sein des administrations. Les résultats de l’enquête en Polynésie française montrent que la fonction publique y est perçue par les polynésiens, dans des proportions records, comme favorisant surtout les amis et les proches sans risquer grand-chose.
 
S’il ressort de l’étude que la classe politique est mal perçue par la population en matière de corruption, les fonctionnaires et agents du service public sont également une catégorie particulièrement ciblée par l’enquête, notamment en Polynésie française. 
 
La Polynésie, royaume du copinage 
 
En effet, parmi les personnes interrogées, un polynésien sur quatre (25%) considère que les fonctionnaires sont corrompus. Un chiffre dans la moyenne régionale et qui s’appuie sur l’expérience des répondants. En effet, 9% des personnes interrogées ont ainsi admis dans le cadre de l’étude avoir soudoyé un agent pour “pour obtenir un document administratif” dont elles avaient besoin. Une pratique qui a permis dans 26% d’obtenir un document qui n’aurait jamais été donné sinon et dans 42% des cas de l’obtenir plus rapidement. Un acte qui n’est pas perçu comme un acte de corruption par les usagers polynésiens. En effet, une personne sur deux (53%) a déclaré qu’il ne lui a pas été demandé de l’argent ou un cadeau mais qu’elle a volontairement donné pour “exprimer sa gratitude”. Une gratitude moins présente dans les autres territoires du Pacifique où ce taux ne dépasse jamais 10%.
 
Mais la corruption de l’administration peut prendre une autre forme selon les polynésiens, pas seulement en tant qu’usagers des services publics. L’étude évoque notamment la perception des recrutements au sein de l’administration pas vraiment fondés sur le mérite. Au sein des dix pays et territoires étudiés, la Polynésie se singularise là encore fortement. En effet, si près de la moitié des personnes interrogées dans la région “pensent que les fonctionnaires influencent une décision d'embauche dans leur service pour favoriser un ami ou un membre de la famille”, ce taux atteint 84% en Polynésie française. Un autre record, de népotisme cette fois-ci, dans le Pacifique Sud. 
 
Totem d’immunité
 
Il existe encore quelques royaumes dans le Pacifique Sud mais l’arbitraire peut encore trouver sa place dans une république. Des pratiques que les polynésiens, plus qu’ailleurs, acceptent comme une fatalité du fait de la perception d’une relative impunité. En effet, l’étude de Transparency International note que, dans le Pacifique Sud, “seules deux personnes interrogées sur dix (18%) pensent que les fonctionnaires qui s'engagent dans la corruption fréquemment payent les conséquences de leurs actions” et 43% pensent que des mesures appropriées contre les fonctionnaires corrompus dans leur pays représentent “un phénomène rare”. Les polynésiens semblent considérer qu’il est plus risqué de manger un casse-croute sur un motu pendant Koh Lanta que de recevoir des petits présents en tant qu’agent public. 66% des polynésiens interrogés considèrent en effet que “les fonctionnaires corrompus ne subissent jamais ou seulement rarement les conséquences de leurs actions”. Là aussi, un record dans la région. Un chiffre qui fait rimer cadeaux des usagers avec totem d’immunité.
 

Une méthodologie sans faille et des Polynésiens très impliqués

L’étude de Transparency International s’appuie sur une méthodologie carrée et transparente, conforme aux normes nationales et internationales. Elle concerne notamment la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Fidji, les Iles Salomon, Samoa, Vanuatu, Kiribati, Tonga, les Iles Cook ainsi que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. En Polynésie française, elle a ainsi été conduite entre le 2 mars et le 29 mars 2021 et a permis de recueillir les réponses de 511 polynésiens. Ils ont été interrogés selon les 36 questions, sur leur perception de la corruption au cours des douze derniers mois ou au cours des cinq dernières années.

La marge d’erreur, avec un intervalle de confiance de 95%, est de 4,4%. Ceci signifie qu’en reproduisant 100 fois le sondage auprès de la population de Polynésie française, les résultats obtenus oscilleraient dans cette fourchette de seulement 4,4% dans 95% des cas. L’échantillon a été établi pour être représentatif, notamment en respectant la répartition de la population entre toutes les communes des îles du Vent. Des personnes des autres archipels ont été interrogées au prorata de la population. La répartition par catégorie d’âge et par sexe a également été respectée.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Mardi 16 Novembre 2021 à 16:04 | Lu 14868 fois